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Commerce extérieur - Compétitivité
Les eurodéputés exigent un plan "résistant" à l’OMC pour protéger les entreprises européennes contre les importations en dumping de Chine, en vue de l’octroi à Pékin du statut d'économie de marché
01-02-2016


Le 1er février 2016, les eurodéputés réunis en plénière se sont penchés sur les implications de l’octroi du statut d’économie de marché (SEM) à la Chine, en présence de la commissaire européenne en charge du commerce, Cecilia Malmström, venue répondre à une question parlementaire posée à ce sujet par l’eurodéputé Bernd Lange au nom de la commission du commerce international (INTA). Les eurodéputés ont souligné la nécessité d’un plan "résistant" à l’OMC pour protéger les entreprises européennes contre les importations en dumping de Chine, tout en reconnaissant Pékin comme un partenaire commercial stratégique de l’UE.

Le contexte

eu-chinaLa Chine est membre de l'OMC depuis le 11 décembre 2001. A ce moment, la possibilité de traiter la Chine comme une "économie en transition" dans les enquêtes en matière de défense commerciale pendant 15 années au maximum avait été adoptée et inscrite dans le protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC signé en 2001, si bien que cette possibilité arrive à échéance cette année (le 11 décembre 2016).

L'octroi à la Chine, par ses partenaires commerciaux, du statut d'économie de marché devrait rendre plus difficile à ceux-ci le lancement d’enquêtes en matière de défense commerciale, alors que la Chine est aujourd'hui la cible de près de la moitié des enquêtes lancées par l'UE à l'encontre de pratiques commerciales "déloyales" hors de ses frontières. Pékin est en outre ciblé par 52 mesures anti-dumping de l’UE, couvrant 1,38 % des importations européennes de Chine. L'octroi de ce statut modifierait en effet la méthode de calcul utilisée pour évaluer d'éventuelles ventes à prix de dumping des producteurs chinois et réduirait les marges de dumping pour définir des taxes décidées dans le cadre de recours antidumping par les producteurs des pays partenaires de la Chine.

Selon une étude récente, l'octroi par l'UE du SEM à la Chine provoquerait ainsi une baisse de 1 à 2 % du PIB de l’UE (par rapport à 2011, la production annuelle de référence) et menacerait 1,7 à 3,5 millions d'emplois en Europe.

Dans ce contexte, la perspective que l'UE octroie le SEM à la Chine a suscité une levée de boucliers d’une partie de l’industrie (en particulier les secteurs de l'acier, de la céramique, du textile et de l'énergie solaire) et des organisations syndicales européennes au cours des derniers mois. La Commission avait réagi en indiquant, le 13 janvier 2015, qu’elle évaluait attentivement l'impact potentiel de tout changement dans la méthode de calcul des droits antidumping" sur les produits chinois, en "associant pleinement toutes les parties prenantes - y compris l'industrie".

Trois options d’action de l’UE à l’égard de la Chine

Les eurodéputés et la commissaire européenne se sont penchés sur les trois options d’action de l'UE à l'égard de la Chine.

Ne procéder à aucun changement dans la législation européenne

La première consisterait à ne procéder à aucun changement dans la législation européenne, maintenant de ce fait la Chine dans la liste des économies non marchandes, alors que certaines dispositions dans le protocole d’adhésion de la Chine à l’OMC expirent en décembre.

Aux yeux de Cecilia Malmström, une telle option placerait l'UE en violation des règles de l'OMC et mènerait à des mesures rapides de représailles de la Chine, si bien que la violation des règles de l’OMC pourrait avoir des implications économiques importantes pour l’UE.

Retirer simplement la Chine de la liste des pays au statut d'économie de non-marché dans la législation européenne antidumping

La deuxième option consisterait à retirer simplement la Chine de la liste des pays au statut d'économie de non-marché dans la législation européenne antidumping, une option que Cecilia Malmström qualifie comme "irréaliste" en raison des dommages potentiels à l'industrie et aux emplois de l'UE.

Accorder à Pékin le statut d’économie de marché, tout en prenant des mesures d’atténuation

La troisième option consisterait à accorder à Pékin le statut d'économie de marché, tout en prenant des mesures d'atténuation à travers un maintien d’instruments anti-dumping de l’UE efficaces "qui reflèteraient toute la mesure des nombreuses distorsions qui existent dans l'économie chinoise", a indiqué Cecilia Malmström.

"Toutes ces options peuvent avoir un impact économique et social important et elles doivent être adéquatement évaluées", indique Cecilia Malmström

Logo_WTO-OMC.svg"Nous sommes conscients que toutes ces options peuvent avoir un impact économique et social important et elles doivent être adéquatement évaluées. La Commission reste engagée à maintenir un instrument antidumping fort qui protège notre industrie de la concurrence déloyale et qui respecte nos obligations envers l'OMC", a indiqué la commissaire.

Et de préciser que l'avis juridique de la Commission "confirme que notre méthodologie de calcul antidumping doit être changée à la date d'expiration de la période de transition" [prévue dans le protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC, NDLR], avant d’indiquer que la Commission poursuivrait son évaluation approfondie, en consultation avec les parties prenantes, de l'impact de ces trois options sur l'emploi en Europe.

En attendant, selon une estimation préliminaire se basant sur les données et la méthodologie de calcul antidumping utilisées dans le cas des 52 procédures antidumping en cours contre la Chine, en appliquant la deuxième option, c’est-à-dire si aucune mesure d’atténuation est mise en place, entre 34 000 et 77 000 emplois seraient potentiellement menacés dans les secteurs de l'UE actuellement affectés par le dumping chinois, a indiqué Cecilia Malmström. Pour mémoire, ces 52 mesures anti-dumping couvrent seulement 1,38 % des importations européennes de Chine.

À long terme, en prenant en compte d’autres secteurs industriels qui pourraient être affectés, jusqu'à 188 000 emplois pourraient être menacés dans l'UE, et jusqu'à 210 000 emplois pourraient être affectés en prenant en considération les effets possibles pour les industries en amont et en aval de ces secteurs, a signalé la commissaire.

La position des groupes politiques

Si les eurodéputés se sont félicités de la réponse positive à propos des intentions de la Commission d'évaluer de manière approfondie l'impact potentiel de toutes ces options sur l'emploi et l’industrie européens, certains ont toutefois exprimé des doutes quant aux estimations avancées par la Commission européenne. Plusieurs eurodéputés ont en effet avancé des estimations allant jusqu'à 3,5 millions de pertes d'emplois.

Les eurodéputés ont par ailleurs souligné la nécessité d’un plan "résistant" à l’OMC pour protéger les entreprises européennes contre les importations en dumping de Chine, tout en reconnaissant Pékin comme un partenaire commercial stratégique de l’UE. Ils ont appelé à un instrument antidumping efficace et estimé qu'une attention particulière devrait être accordée au secteur de l'acier de l'UE, actuellement "à genoux" en raison de la concurrence déloyale de la Chine.

Au nom du PPE, l’eurodéputé Iuliu Winkler a souligné l’importance de considérer les trois aspects suivants dans ce dossier : l’aspect juridique consistant dans la nécessité d’adapter la législation européenne, comme l’octroi du SEM à la Chine "n’est pas automatique"; les conséquences économiques, des centaines de milliers d'emplois dans l'UE étant exposés ; et le contexte géopolitique, le partenariat stratégique UE/Chine ayant besoin de plus de coopération et de moins d'antagonisme". "Nous avons besoin d'un level playing field dans le commerce entre l'UE et la Chine afin que les forces du marché définissent la concurrence et de non les interventions étatiques", a-t-il encore dit.

"Bien que nous sachions depuis 15 ans qu'une décision sur le SEM de la Chine devait être prise en 2016, la Commission ne semble pas avoir de stratégie claire", a regretté l’eurodéputé David Martin qui s’exprimait au nom du groupe S&D. "Nous exigeons un véritable engagement de la Commission à rassurer l'industrie et les travailleurs européens que l'UE sera bien équipée pour faire face aux surcapacités et au dumping sur notre marché après la fin de cette année", a-t-il ajouté. A ses yeux, "il n'est pas protectionniste" de vouloir "une protection adéquate" contre la concurrence déloyale. "Nous avons besoin de toute urgence d'un arsenal moderne et efficace de défense commerciale", a-t-il encore dit.

Au nom du groupe ECR, l’eurodéputée Emma McClarkin a souligné la nécessité d’adapter la législation antidumping de l’UE à ses engagements à l’OMC. En évoquant les graves difficultés de l’industrie de l’acier européenne, elle a insisté sur la nécessité de faire en sorte que la législation antidumping de l'UE conserve sa capacité à "réagir rapidement et efficacement" aux pratiques anticoncurrentielles.

Pour l’eurodéputée Marietje Schaake (ALDE),  "la question n'est pas de savoir si nous pensons que la Chine est une économie de marché, où les prix sont fixés selon l’offre et la demande – ce n’est pas le cas – mais de savoir comment répondre aux pratiques illégales d'un pays qui est en même temps un partenaire commercial important". Au nom de son groupe politique, elle a souligné la nécessité d’aborder ce dossier "compliqué et technique" en "gardant la tête froide". Elle regrette que "certains veulent en profiter pour imposer leur liste de mesures protectionnistes". "Ils semblent oublier qu'il y à la fois des importateurs et des exportateurs en Europe", a-t-elle signalé.

Au nom du groupe GUE/NGL, l’eurodéputé Helmut Scholz a appelé la Commission à agir au-delà de l’OMC, en proposant à la Chine un accord bilatéral d’antidumping. "Nous pourrions y établir des règles relatives à la formation des prix, mais aussi des règles visant à empêcher le dumping social et environnemental", a-t-il dit.

"Je suis prêt à reconnaître une économie non marchande comme une économie de marché, tant que cela ne débouche pas sur une situation dans laquelle l’économie de marché subit de lourds dommages en raison du dumping de l'économie non marchande", a déclaré l’eurodéputé Reinhard Bütikofer au nom du groupe des Verts/ALE, soulignant que cette situation allait de facto se présenter. Il a avancé des chiffres selon lesquels 3,5 millions d’emplois seraient menacés dans l’UE. "Nous ne devrions pas remplir les exigences chinoises ans poser de conditions, et faire une offre", a-t-il poursuivi, soulignant que le SEM pourrait être octroyé à Pékin seulement si l’UE dispose d’instruments antidumping efficaces.

Eurofer critique la faiblesse des taxes antidumping contre les barres d'armature en acier chinoises, un cas qui selon l’association, doit être examiné à l’aune de l’octroi du SEM à la Chine

Industrie de l'acierLa fragilité du secteur européen de l’acier, telle qu’évoquée par les eurodéputés, est visible dans le cadre de la plainte d’Eurofer qui a conduit la Commission à décider d’imposer, le 28 janvier 2016, des droits antidumping provisoires (de 9 à 13 %) sur les importations de barres en acier chinoises utilisées pour le béton armé. Dans un communiqué de presse diffusé le 1er janvier 2016, l’association des producteurs européens d’acier Eurofer, a critiqué la faiblesse des taxes antidumping contre les barres d'armature en acier chinoises "ne pouvant pas réparer le dommage immense causé par l'essor massif des importations de barres en acier d'armature chinoises qui ont occupé une part de 46 % du marché européen en moins de deux ans en partant de zéro". Aux yeux de l’association, ce cas doit être analysé dans le cadre plus large de l’octroi du SEM à la Chine, qui rendrait plus difficile pour l’UE de calculer des droits antidumping dissuasifs contre les exportations déloyales de produits chinois.

"Si le statut d'économie de marché devait être octroyé à la Chine, les mesures antidumping, qui protègent des centaines de milliers d'emplois de l'UE contre la concurrence déloyale chinoise dans toute une gamme d'industries stratégiques, deviendraient inefficaces. D'autres mesures de défense commerciale de l'UE sont soit en panne, soit insuffisantes pour se défendre contre la marée montante des produits chinois de dumping, en particulier l'acier", avait par ailleurs déjà mis en garde l’association dans un communiqué diffusé le 12 janvier.

Pour mémoire, le 9 novembre 2015, lors d’une réunion extraordinaire du Conseil Compétitivité organisée sous Présidence luxembourgeoise, les ministres de l’UE en charge de la Compétitivité avaient déjà fait état de la gravité de la situation de l’industrie sidérurgique et du besoin de prendre des mesures qui assureront la pérennité du secteur européen de l’acier.