La Commission européenne a présenté le 4 avril 2016 son programme indicatif nucléaire (PINC 2016). "Premier rapport de ce type depuis l’accident de Fukushima en 2011, il est axé sur les investissements liés aux améliorations de la sûreté post-Fukushima et sur la sûreté d’exploitation des installations existantes", résument les services de la Commission au sujet de ce document qui "met également en exergue les besoins de financement estimés liés au déclassement de centrales nucléaires et à la gestion des déchets radioactifs et du combustible usé". Pour la Commission, il offre "une base de discussion et vise à faire participer tous les acteurs concernés, en particulier la société civile, au débat sur les tendances dans le domaine de l’énergie nucléaire et les investissements dans ce secteur pour la période allant jusqu’à 2050".
La Commission y déclare notamment que "l’énergie nucléaire, technologie à faible intensité en carbone qui contribue de façon significative à la sécurité de l’approvisionnement et à sa diversification, devrait rester une composante importante du bouquet énergétique de l’UE à l’horizon 2050". Face à un parc nucléaire "vieillissant, la Commission évalue à environ 650 à 760 milliards d’euros les investissements nécessaires d’ici 2050, que ce soit pour prolonger la durée de vie de certains réacteurs, pour en démanteler d’autres, pour le stockage à long terme de déchets radioactifs ou la construction de nouvelles centrales.
Régulièrement publié par la Commission en vertu de l’article 40 du traité Euratom, le PINC vise à fournir des informations sur la part de l'énergie nucléaire dans l'UE, les objectifs adoptés par les États membres en matière de production d'énergie nucléaire et les investissements que nécessitent ces objectifs. La dernière version de ce document date de 2007, et avait été actualisée en 2008.
Plusieurs semaines avant sa publication, ce document avait déjà fait l’objet de vives critiques de la part de l’eurodéputé Claude Turmes. Il avait en effet commandité avec Rebecca Harms, au nom du groupe des Verts au Parlement européen, un rapport analysant le projet de PINC 2016 de la Commission.
Le PINC 2016 fait un état des lieux du parc nucléaire européen, qui compte 129 réacteurs dans 14 Etats membres offrant une capacité totale de 120 GWe pour une moyenne d’âge proche de 30 ans. Il comptabilise de nouveaux projets de construction dans 10 Etats membres, quatre réacteurs étant déjà en cours de construction en Finlande, France et Slovaquie. D’autres projets font l’objet d’une procédure d’autorisation en Finlande, Hongrie et au Royaume-Uni, tandis que des projets sont en phase préparatoire en Bulgarie, en République tchèque, en Lituanie, en Pologne et en Roumanie.
La Commission note que depuis le PINC de 2008, la principale évolution réside dans la mise en place des stress tests suite à l’accident de Fukushima Daiichi et dans l’adoption de nouvelles règles sur la sûreté nucléaire, la gestion des déchets radioactifs et des combustibles usés, ainsi que sur la radioprotection. Un nouveau cadre législatif qui implique, rappelle la Commission, une plus grande transparence et participation publique, ainsi qu’une meilleure coopération entre les parties prenantes.
Le PINC 2016 fait aussi le point sur le marché du nucléaire, observant la nécessité d’observer le marché européen du nucléaire "dans un contexte mondial". Les services de la Commission constatent que "l’industrie nucléaire de l’UE est devenue un leader technologique mondial dans toutes les branches de l’industrie et emploie entre 400 000 et 500 000 personnes, tout en facilitant environ 400 000 emplois additionnels". Un leadership que la Commission voit comme un potentiel "atout important dans le monde" dans la mesure où les investissements liés au nucléaire sont évalués à 3 billions d’euros d’ici 2050.
Au niveau de l’UE, la Commission table sur un déclin de la capacité de production du nucléaire d’ici 2025 au vu de la décision de plusieurs Etats membres de sortir du nucléaire ou de réduire sa part dans le bouquet énergétique. Une tendance qui devrait "s’inverser vers 2030" du fait de la connexion au réseau des nouveaux réacteurs en construction et de l’extension de la durée de vie d’autres réacteurs. La Commission estime ainsi que la capacité nucléaire atteindrait entre 95 et 105 GWe en 2050, et que la part de l’électricité nucléaire passerait de 27 % actuellement à 20 % d’ici 2050.
Au vu du vieillissement du parc nucléaire, la Commission observe que "sans programmes d’exploitation à long terme environ 90 % des réacteurs existants devraient être fermés d’ici 2030", et elle estime par conséquent que "90 % de la capacité de production d’électricité nucléaire devra être remplacée d’ici 2050". Selon la Commission entre 350 et 450 milliards d’euros devraient ainsi être investis dans de nouvelles centrales afin de maintenir une capacité nucléaire de 95 à 105 GWe d’ici 2050.
Les services de la Commission abordent la question du financement de tels projets de constructions, relevant l’existence de différents modèles de financement actuellement en usage ou à l’examen. Ils citent notamment le modèle du contrat de différence choisi pour la centrale de Hinkley point C au Royaume-Uni, sans que mention ne soit faite de la controverse soulevée par ce projet qui fait l’objet d’une plainte devant la CJUE. Le PINC ne mentionne par ailleurs aucune référence au subventionnement de centrales nucléaires, contrairement au PINC de 2008 qui les proscrivaient explicitement.
Les services de la Commission ne peuvent manquer de tenir compte des retards et des surcoûts que connaissent certains projets de construction de nouveaux réacteurs, et ils relèvent à ce sujet que "les futurs projets utilisant les mêmes technologies devraient bénéficier de l’expérience acquise et des opportunités de réduction des coûts" sur la base d’une politique adéquate. Selon la Commission, celle-ci devrait être basée sur la coopération entre régulateurs au cours de la procédure d’autorisation et, du côté de l’industrie, sur des efforts de standardisation dans la conception de réacteurs nucléaires.
Pour ce qui est de la prolongation de la durée de vie de certaines centrales, la Commission, qui insiste sur la nécessité de respecter les règles en matière de sûreté nucléaire, estime qu’il faudrait investir entre 45 et 50 milliards d’euros d’ici 2050.
En ce qui concerne l’approvisionnement en combustible, le PINC note que "les entreprises européennes comptent parmi les principaux producteurs mondiaux". La demande de l’UE représente environ un tiers de la demande mondiale, rappelle la Commission. Le Kazakhstan a été le principal fournisseur en 2014 (27 %), suivi par la Russie (18 %) et le Niger (15 %). Pour ce qui est des investissements à prévoir en amont du cycle de combustible nucléaire, la Commission observe que l’enjeu va être de moderniser les capacités de conversion et d’enrichissement de façon à maintenir le leadership technologique de l’UE en la matière.
En aval du cycle de combustible, la Commission relève le grand défi qui s’annonce dans la mesure où 50 des 129 réacteurs actuellement opérationnels devraient être arrêtés d’ici 2025. "Des décisions politiquement sensibles devront être prises par tous les Etats membres exploitant des centrales nucléaires au sujet du stockage en couches géologiques et de la gestion à long terme des déchets radioactifs", prévoit la Commission qui insiste sur l’importance de "ne pas reporter les actions et les décisions d’investissements sur ces sujets".
En ce qui concerne le déclassement, la Commission relève qu’il y a "peu d’expériences dans le déclassement de réacteurs nucléaires", puisque sur les 89 réacteurs arrêtés de façon permanente en Europe à la date du 15 octobre 2015, seuls trois ont été complètement démantelés, tous en Allemagne. "Les entreprises européennes ont l’opportunité de devenir des leaders mondiaux en développant les compétences requises dans le marché intérieur", note la Commission qui propose la création d’un centre d’excellence européen impliquant acteurs privés et publics afin de favoriser l’échange de bonnes pratiques.
Il est rappelé dans le PINC que, conformément à la directive de 2011, les opérateurs sont "pleinement responsables de la gestion des déchets radioactifs" et qu’il leur revient de provisionner des financements à cet effet, et ce dès le début de l’exploitation. La Commission note qu’en décembre 2014, les opérateurs nucléaires européens estimaient que 253 milliards d’euros seraient nécessaires d’ici 2050 pour le démantèlement et la gestion des déchets radioactifs, dont 123 milliards pour le démantèlement et 130 pour la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs. Or, selon les données dont dispose la Commission, les actifs censés couvrir ces investissements s’élèveraient actuellement à environ 133 milliards.
Le PINC fait aussi le point sur l’utilisation non-énergétique du nucléaire, en soulignant qu’une approche européenne plus coordonnée est nécessaire dans ce domaine qui couvre le secteur médical, l’industrie, l’agriculture et la recherche. En matière de recherche, la Commission indique que "l’UE doit maintenir son leadership technologique dans le domaine nucléaire, y compris via le réacteur ITER, de façon à ne pas augmenter sa dépendance énergétique et technologique et afin de donner aux entreprises européennes des opportunités économiques".