A l’occasion de la Fête de l’Europe, la représentation de la Commission au Luxembourg a organisé le 9 mai 2016 une table-ronde consacrée à l’Etat social européen.
Venus des différentes entités de la Grande Région, les invités, Nicolas Schmit, ministre du travail luxembourgeois, Antonio Antoniadis, ministre des Affaires sociales de la Communauté germanophone de Belgique, Georges Bach, eurodéputé luxembourgeois du PPE, Guy Berg, représentant de la Commission européenne au Luxembourg et Eugen Roth, vice-président du DGB Rheinland-Pfalz / Saarland, se sont ainsi prêtés à une discussion animéée par les journalistes Sabine Ertz et André Dübbers.
L’intégralité du débat sera diffusée le 29 mai 2016 sur les ondes des radios 100,7 et SR2 Kulturradio.
Parmi les initiatives de la Commission en matière sociale évoquées lors du débat, il a été question du plan d’investissement appelé aussi plan Juncker, ainsi que de la proposition de créer un socle européen des droits sociaux, dont une première ébauche a été mise sur la table en mars 2016 et fait l’objet d’une consultation publique actuellement ouverte. Jean-Claude Juncker a en effet fait du "triple A social" un des mots d’ordre de sa Commission.
Eugen Roth, qui salue la direction prise par la Commission avec ces propositions, observe pour sa part que ses intentions doivent être "animées" pour avoir le moindre effet. Ainsi, pour prendre l’exemple du plan Juncker, il appelle de ses vœux, à l’instar de principaux syndicats européens, "un plan Marshall". Il importe en effet que le volume et la rapidité de mise en œuvre soient suffisants. Antonio Antoniadis lui a fait écho en insistant sur l’importance des volumes investis, faute de quoi de bonnes politiques sociales ne sauraient être mises en œuvre.
"La politique sociale relève de la compétence des Etats membres", a rappelé Guy Berg, tout en soulignant que, du point de vue de la Commission Juncker, il importait de ne pas considérer la politique économique sans la politique sociale.
Nicolas Schmit a précisé qu’il s’agissait d’une compétence mixte, chaque Etat membre ayant la possibilité d’organiser leurs systèmes sociaux, tandis que l’Union européenne a un devoir de coordination, et ce depuis le début du projet européen. Les objectifs sont fixés au niveau communautaire et leur exécution se fait au niveau des Etats membres, a résumé le ministre.
"La politique sociale ne peut pas être la seule variable d’ajustement au sein de la zone euro", a plaidé le ministre, en reprenant l’idée que la politique sociale ne peut être séparée de la politique économique. Or, constate-t-il, les divergences sociales sont de plus en plus fortes dans l’Union monétaire. De son point de vue, il faudrait une Union sociale au sein de l’UEM afin de réduire ces divergences et ‘ancrer plus fortement les aspects sociaux dans la gouvernance économique.
Georges Bach, qui est lui aussi d’avis que politiques sociales et économiques doivent aller de pair, a observé que les objectifs que l’Union européenne s’était fixés dans le cadre de la stratégie Europe 2020 sont loin d’être atteints. Et face à ce constat "effrayant", il note aussi que les attentes des citoyens européens en termes d’actions de l’Europe sur le terrain social sont très fortes.
Le constat des difficultés sociales rencontrées sur le terrain a été partagé par tous les intervenants, avec toutes les conséquences que risque d’avoir ce qui ressemble de plus en plus à une crise sociale héritée de la crise financière et de la crise économique qui l’a suivie.
Antonio Antoniadis a été le premier à évoquer "la peur de la relégation sociale" qu’il ressent chez ses concitoyens. Ce sentiment de relégation sociale est aussi un grand danger aux yeux de Georges Bach. Eugen Roth a pour sa part mis en garde contre la montée des pensées nationalistes qui va de pair. "Si l’on continue ces politiques néo-libérales, il en sera fini de l’Europe", a encore averti le syndicaliste, inquiet notamment de la disparition progressive des classes moyennes. Pour Nicolas Schmit, le constat est amer aussi. "Nous sommes dans une crise sociale", a-t-il affirmé, et "c’est ce qui rend l’Europe malade", déplore le ministre. "Il faut repenser la politique économique", a lancé le ministre en plaidant, comme son Antonio Antoniadis, pour des investissements dans les infrastructures et l’éducation.
Au fil des discussions, la situation de la Grèce a souvent été évoquée. Nicolas Schmit a ainsi rappelé que le pays vit sa septième année consécutive de récession, relevant que le gouvernement avait dû voter une nouvelle réforme de son système de pensions pour pouvoir payer sa dette. Il n’a pas manqué de relever un peu plus tard qu’en se prenant aux retraités grecs, qui restent parmi ceux qui ont encore un peu de pouvoir d’achat dans le pays, on risquait d’affaiblir encore l’économie en l’entraînant dans une spirale déflationniste.
La question des récentes propositions de la Commission en vue de réformer la directive sur le détachement des travailleurs a été évoquée dans la salle. Nicolas Schmit et Georges Bach sont du même avis au sujet de cette proposition, qui ne serait ni un recul, ni une vraie avancée. "Cela va dans la bonne direction, mais ce ne serait qu’un petit pas", a commenté Georges Bach au sujet de ce projet de réformes controversé tant au Parlement européen qu’au Conseil. Nicolas Schmit, qui a rappelé qu’une première discussion informelle avait eu lieu au Conseil, a expliqué que l’enjeu n’était "pas de remettre en question la libre circulation", mais bien de "s’attaquer à la criminalisation du marché du travail" qui découle de l’utilisation que font certains des règles actuelles.
Interpellé sur la question du référendum britannique du 23 juin prochain, Nicolas Schmit a évoqué "un exemple très dangereux" qui "risque de faire école" et "donne raison aux populistes qui critiquent le tourisme social". Il a dénoncé le "chantage" fait à l’Union européenne.
A la question de savoir quels standards il faudrait retenir et appliquer pour que fonctionne une Europe plus sociale, tous les intervenants se sont entendus pour la nécessité de viser plus haut. "Il faut niveler par le haut", a plaidé Antonio Antoniadis en insistant sur l’importance de mener au niveau national des politiques qui apporteraient "une plus-value européenne", contrairement au dumping social pratiqué par exemple par l’Allemagne du fait de sa politique salariale. "Personne ne veut les mêmes standards pour tous", a précisé Nicolas Schmit en plaidant pour l’idée "d’une convergence à la hausse" qui consisteraient à tenter d’améliorer les standards les plus bas. Il propose par exemple d’établir un salaire minimum qui serait "réaliste", basé par exemple sur le salaire médian, la productivité ou encore le potentiel de croissance.
Pour conclure la discussion, les intervenants ont été invités à choisir entre deux options : un Etat social européen ou une Union sociale européenne.
Pour Nicolas Schmit, la réponse est une "Union des Etats sociaux européens". La discussion lancée par la Commission européenne sur un socle de droits sociaux a à ce titre valeur de test : "l’Europe ne doit pas décevoir", estime le ministre qui craint que si la discussion "accouche d’une souris, cela se retournera contre l’Europe, au risque de la placer devant des défis encore plus grands".
Selon Guy Berg, pour la Commission, toute politique sociale fait partie intégrante de la politique économique.
Antonio Antoniadis plaide pour une "Union sociale". Rappelant que le projet européen était un projet de paix et de prospérité, il constate que l’Europe est désormais considérée comme une partie du problème. Or, elle doit à nouveau susciter l’espoir, a insisté le ministre en plaidant une fois encore pour les investissements dans l’éducation.
Pour Georges Bach, c’est "un modèle social européen" qu’il s’agit de définir en créant des standards plus élevés dans tous les domaines, y compris les salaires, les retraites, mais aussi en matière de protection des travailleurs ou de système de santé.
Eugen Roth attend lui "une Union européenne plus sociale", et il a une fois encore lié son appel à une mise en garde contre "d’autres esprits qui risquent sinon de venir et que nous ne voulons pas".