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Commerce extérieur
CETA – La Chambre vote, majorité et opposition unies, une motion dans laquelle elle exige que l’accord soit mixte et n’entre en vigueur provisoirement qu’après un vote du Parlement européen
07-06-2016


ceta-source-chambre-commerce-caLes députés réunis en séance plénière le 7 juin 2016 ont tenu à s’exprimer sur l’accord commercial entre l’UE et le Canada (CETA ou AECG) et ont adopté au terme de leur débat avec 58 voix contre 2 abstentions une motion déposée par Alex Bodry au nom des groupes LSAP, DP et Déi Gréng. Cette motion invite le gouvernement à persister au sein du Conseil de l’UE afin de garantir que les Parlements nationaux aient leur mot à dire concernant la ratification d’un accord qu’elle considère comme mixte. Les négociations sur l’accord sont terminées. Il n’a pour l’instant pas encore été ratifié. Concernant la procédure, les députés réclament que le gouvernement insiste "sur le vote au Parlement européen avant toute application provisoire éventuelle" de l’accord. Un autre point concerne le tribunal permanent des investissements prévu par l’accord. Les députés demandent au gouvernement de veiller à l’impartialité des membres de ce tribunal.

Le débat à la Chambre a eu lieu alors que la phase de toilettage juridique de l’accord est terminée et que la Commission devrait soumettre dans les prochaines semaines au Conseil une proposition formelle de signature de l’accord UE-Canada. C’est à cette occasion que la Commission tranchera sur la nature de l’accord, décidant s’il s’agit ou non d’un accord mixte qui nécessite d’être ratifié par les gouvernements des Etats membres, le Parlement européen, mais aussi les parlements nationaux des 28.

Lors du dernier Conseil CAE – Commerce, les ministres se sont clairement prononcés  pour que l’accord CETA soit reconnu comme un accord mixte, suivant en cela les appels de plus de vingt parlements nationaux, auxquels s’était jointe la Chambre des députés dès juin 2014.

Une première motion déposée par Déi Lénk propose que le gouvernement ne donne pas son accord à la signature du CETA et s’oppose à son application provisoire

Le CETA avait été mis à l’ordre du jour à l’initiative du groupe Déi Lénk dont le député, Marc Baum, avait soumis à ses pairs une motion, finalement rejetée, dans laquelle il souhaitait que la Chambre appelle le gouvernement à refuser de donner son accord à une signature CETA et à s’opposer formellement à toute application provisoire de cet accord. Le gouvernement y était aussi invité à "chercher activement parmi les gouvernements des pays membres de l'Union européenne des alliés pour s'opposer ensemble à une signature de l'AECG et, le cas échéant, à une application provisoire de cet accord".

Dans sa motion, Marc Baum soulignait que "la Commission européenne a fait entendre à plusieurs reprises, et notamment à travers des déclarations écrites au Comité "Commerce International" du Parlement européen, qu'elle envisage de soumettre au Conseil une décision d'application provisoire de l'AECG après accord du Parlement européen et avant une éventuelle ratification de l'accord par les Etats membres". Une option d’ores et déjà rejetée par le Parlement wallon et par la Seconde Chambre des États généraux des Pays-Bas.

Pour l’auteur de la motion, "une éventuelle application provisoire de l'AECG, même après accord du Parlement européen, est politiquement inacceptable vu l'impact potentiel de cet accord sur les Etats membres de l'UE et les inquiétudes qu'il suscite auprès d'une partie importante de la population et vu l'influence considérable qu'une application provisoire aurait sur la prise de décision des parlements nationaux quant à la ratification de l'accord en créant des réalités politiques et économiques établies".

Dans son intervention, Marc Baum a par ailleurs insisté sur le fait que l’on ne peut pas séparer le CETA et le TTIP, l’accord commercial et d’investissement avec les USA. Pour lui, ce type d’accord réduit la marge de manœuvre des Etats et relève d’un modèle social spécifique, le modèle libéral qui mise sur la dérégulation, sert les multinationales et donne à ces dernières les moyens d’aller au-delà des décisions démocratiques et des systèmes judiciaires des Etats. Il voit dans ces accords un danger pour la démocratie et les normes sociales et environnementales en Europe, voire un véritable retournement des valeurs.

Marc Baum s’en est pris au principe des listes négatives et craint que tous les services publics qui ne sont pas inscrits sur ces listes puissent être "libéralisables". Pour lui, la protection de ces services publics n’est donc pas donnée.  Il a aussi critiqué l’instauration d’une justice parallèle avec les tribunaux d’arbitrage qui peuvent être saisis par les investisseurs s’ils estiment que des mesures gouvernementales ou législatives les empêcheraient de réaliser les profits attendus dans un certain domaine. La nouvelle procédure ICS pour Investment Court System qui a été élaborée dans le contexte du CETA et la procédure d’appel lui semblent éloignés des standards reconnus en matière de justice. Le CETA ouvre donc pour lui la porte aux plaintes d’investisseurs canadiens contre les Etats de l’UE, et servira également de cheval de Troie aux 40 000 entreprises américaines installées au Canada. Le CETA et le TTIP auront pour conséquence que les législateurs en Europe devront à chaque loi se poser la question si par leur action, des intérêts d’investisseurs canadiens ou états-uniens ne pourraient pas être lésés. S’y ajoute que dans les comités en charge des normes, les multinationales seront autour de la table.

Pour Marc Baum, une "course vers l’abaissement des normes qui sera progressive et s’étalera sur des décennies" sera lancée, sans retour possible sur les libéralisations déjà effectuées. Regrettant qu’il n’y ait pas d’étude sur l’impact économique, financier et écologique du CETA au Luxembourg, et mettant en avant que "l’opposition très large à ces accords qui minent nos normes en matière d’Etat de droit et d’environnement croît de jour en jour", Marc Baum a exhorté le gouvernement à s’opposer au CETA et à se chercher des alliés en ce sens au Conseil de l’UE.  

Alex Bodry : Le CETA est un accord mixte et les parlements nationaux ont leur mot à dire

Pour Alex Bodry, il importe que la Chambre prenne position sur CETA et communique au gouvernement  sa position et trace les lignes rouges. "Le Canada n’est pas les Etats-Unis et le CETA n’est pas le TTIP", a argué le chef de file des socialistes, pour qui le CETA ne susciterait pas autant de passion s’il n’y avait pas aussi les négociations sur le TTIP qui attisent la méfiance des citoyens à cause de leur caractère peu transparent. "Il est donc juste de laisser le débat politique s’épanouir", pense Alex Bodry, pour qui la Chambre doit prendre position. D’où sa motion présentée au nom des partis de la coalition gouvernementale DP, LSAP et Déi Gréng.

Pour lui, le CETA n’est pas un accord qui relève de la compétence pure de l’UE. Il est mixte par le fait même que la protection des investissements, qui est un de ses objets, touche aux intérêts nationaux, de sorte que les Parlements nationaux doivent être impliqués dans le processus de décision, comme le Conseil et le Parlement européen. Toutes les questions juridiques controversées doivent être éclaircies. Un code de conduite pour les juges siégeant dans le cadre de l’ICS doit encore être ajouté au CETA. Pour aboutir dans ce sens, gouvernement et Chambre devraient travailler ensemble. Le gouvernement devrait consulter avant toute réunion du Conseil la commission parlementaire compétente pour s’assurer du soutien du plus grand nombre possible de parlementaires. Le gouvernement devrait en tout cas s’opposer au Conseil à une entrée en vigueur provisoire du CETA avant toute décision du Parlement européen et également à toute décision de la Commission que le CETA relève de la compétence exclusive de l’UE. La santé, l’éducation et d’autres services publics ne devraient pas non plus être touchés par ce genre d’accords.

Le CSV en ligne avec la majorité

Pour Laurent Mosar de la CSV,  il est important que la Chambre se saisisse de dossiers importants comme le CETA. Tout en remerciant Déi Lénk d’avoir permis le débat, il a insisté sur le fait que les accords de libre-échange (ALE) sont importants, et ne sont pas le diable. Le CETA permettrait de stimuler les échanges commerciaux avec le Canada et de créer un nombre appréciable d’emplois. L’UE est le deuxième investisseur au Canada avec 260 milliards d’euros en 2012, et le Canada le quatrième dans l’UE, avec 140 milliards d’euros. L’accord avec le Canada n’est pas le premier ALE de l’UE, les derniers en date étant ceux avec le Mexique et l’Afrique du Sud. Ensuite, "le CETA n’est pas TTIP". Il est meilleur selon Laurent Mosar, qui souhaite que plusieurs clauses du CETA soient intégrées au TTIP, comme l’accès de toutes les entreprises de l’UE sur les marchés canadiens, la protection des appellations d’origine ou la protection de la démocratie ainsi que des normes environnementales et en faveur des consommateurs. Le CETA n’est donc pas pour lui une porte grande ouverte pour le TTIP, mais au contraire une source de bons éléments qui devraient être intégrés dans un TTIP amélioré.

Pour le porte-parole de la CSV, le plus grand groupe politique à la Chambre et le plus grand parti d’opposition, il y a deux lignes rouges, et ce sont les mêmes que celles désignées dans la motion de  la majorité: le CETA doit être un accord mixte et il ne doit pas entrer en vigueur provisoirement avant que le Parlement européen n’ait voté. D’où le soutien du CSV à la motion de la majorité sur le CETA. Cela ne veut pas dire que le CSV accorde par son vote un blanc-seing au gouvernement sur le TTIP. Vu que les divergences entre les positions des USA et de l’UE sont encore grandes et qu’il n’est pas sûr qu’il y ait accord sur le TTIP, le CSV demeure très réservé sur la question.

Un débat largement consensuel

Après l’intervenant du DP, Gusty Graas, qui a lui aussi apporté son soutien à la motion présentée par Alex Bodry en répétant les arguments des orateurs précédents, Claude Adam de Déi Gréng a jugé que si l’ICS est un meilleur système que l’ISDS prévu par le TTIP, il faudra toujours se demander s’il en faut et s’il est compatible avec l’Etat de droit. Pour lui, il n’y a aucun doute que le CETA soit un accord mixte, dans la mesure où il a un impact sur le processus de décision démocratique et le fonctionnement de la justice, et qu’il est donc mixte. Les Verts ne sont pas systématiquement opposés à la conclusion d’ALE, mais prônent une approche critique du processus de négociation entre l’UE et ses partenaires, en ligne avec la motion soumise au vote, et préféreraient un accord dans un cadre multilatéral comme l’OMC.  Par ailleurs, ils estiment qu’il faut prendre au sérieux les citoyens qui protestent.

Le député ADR Fernand Kartheiser a, en présentant lui aussi une motion, expliqué que son parti penchait en faveur de la conclusion d’ALE tout en prenant au sérieux tous les doutes qui se sont exprimés. Un ALE ne doit pas entamer la souveraineté du pays, et le CETA doit être qualifié d’accord mixte. Il a estimé que le gouvernement ne devrait pas prendre position à Bruxelles sans avoir reçu l’accord de la Chambre. Dans la suite, Marc Baum de Déi Lénk a estimé que le gouvernement devrait consulter toute la Chambre, et pas seulement la commission parlementaire compétente. "Personne n’est contre le commerce avec le Canada, mais c’est une question de règles et de formes".

Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, en charge du dossier, a déclaré que le gouvernement partageait les préoccupations des syndicats, des partis, des  agriculteurs et des associations environnementales, et qu’il n’y aurait pas de dilution des normes européennes "par la porte de derrière". Il a narré l’origine du système ISDS de protection de l’investissement, prévu dans une centaine d’accords que le Luxembourg a signés. Même s’il n’y a pas eu d’entorse aux législations nationales par ce système, le Luxembourg n’en veut plus. L’ICS a été élaboré pour succéder à l’ancien système ISDS et est une chose différente. Les investisseurs pourront y avoir recours s’il y a eu discrimination ou expropriation abusive. Les sessions seront publiques et une procédure d’appel est prévue. Il ne s’agit donc pas d’une justice parallèle et elle n’aura pas le droit d’interpréter le droit européen. L’ICS  ne jugera qu’en fonction des termes du CETA.  

Jean Asselborn a répété ses propos précédents que les services publics sont exclus du CETA comme ils le sont depuis 20 ans des accords de l’OMC. Le CETA n’ouvre donc pas les services publics à la libéralisation. Il permet par ailleurs que ces services publics soient subventionnés. Le principe de précaution est intégré, ne serait-ce que parce que l’accord doit être en conformité avec les traités européens.  Fin juin, la nature de l’accord devrait être déterminée. Il est clair que le Luxembourg estime que le CETA doit être un accord mixte. Le dernier mot appartiendra ici au Conseil. Quant aux relations entre la Chambre et le gouvernement sur le dossier, Jean Asselborn a estimé qu’informer la Chambre et "prendre son pouls" ne posait pas problème avant une réunion du Conseil, mais que le gouvernement ne penchait pas en faveur d’une culture du mandat impératif pour ses prises de position au sein du Conseil, vu les problèmes connus qu’un tel système amène, comme en témoignent les exemples du Danemark et des Pays-Bas.

La motion d’Alex Bodry a finalement été adoptée par 58 voix contre 2 abstentions, ceux des députés de Déi Lénk. Elle implique que le gouvernement luxembourgeois va devoir prendre position sur la question de la nature de l’accord, mixte ou pas, une décision qui réclame l’unanimité, et réclamer l’ajoute à l’accord d’un code de conduite pour les juges de l’ICS. Actuellement, huit gouvernements européens - Royaume-Uni, Finlande, Espagne, Estonie, Suède, Portugal, Lituanie et Chypre- estiment que le CETA est un accord "non-mixte". Les autres vingt gouvernements s’y opposent. La motion votée à la Chambre n’est donc pas sans impact sur le débat, comme le montrent les premiers échos dans la presse internationale.