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Emploi et politique sociale - Marché intérieur
Le maintien par la Commission de la proposition de révision de la directive sur les travailleurs détachés fait réagir
21-07-2016


Détachement des travailleurs - source: PELe 20 juillet 2016, la Commission européenne a décidé de maintenir sa proposition de révision de la directive sur les travailleurs détachés, malgré le carton jaune brandi par onze Etats membres qui avait déclenché le mécanisme de contrôle de la subsidiarité. Cette décision a suscité un grand nombre de réactions.

Du côté syndical

La Confédération européenne des syndicats (CES) a estimé que la Commission avait pris la bonne décision, car "les 11 gouvernements agissaient contre les intérêts de leurs propres travailleurs en essayant de bloquer le principe d'un salaire égal pour un travail égal". "Les travailleurs détachés européens ont été exploités depuis assez longtemps. Ce ne sont pas des citoyens de seconde classe. Ils méritent un salaire loyal égal aux autres travailleurs des pays hôtes", a déclaré la secrétaire de la CES, Liina Carr.

La Confédération se réjouit que le débat démocratique puisse désormais commencer selon la procédure normale. "Nous travaillerons avec les législateurs européens pour assurer que les systèmes de fixation des salaires et de négociation collective nationaux sont complètement respectés, selon une interprétation correcte de la subsidiarité et de la proportionnalité", prévient la CES.

Même son de cloche du côté du syndicat chrétien luxembourgeois, LCGB, qui rappelle que les principes de la directive de 1996, sont "bafoués  tous les jours à travers l'Europe par des employeurs peu scrupuleux qui détournent le système du détachement pour maximiser leurs profits au détriment des travailleurs : non-déclaration à la sécurité sociale, salaires nettement inférieurs au salaire minimum, dépassement des durées de travail légales, hébergement inacceptable…". Le principe d'un salaire égal a aussi été remis en cause par une série de décisions de la CJUE, notamment dans les célèbres affaires Laval et Viking qui ont fortement affaibli la directive actuelle, ajoute le LCGB, pour qui la révision de la directive sur le détachement des travailleurs était devenue "impérative dans l'intérêt des travailleurs, particulièrement des travailleurs détachés,  comme de celui des entreprises honnêtes".

Pour le LCGB, "les travailleurs détachés ne sont pas des salariés de deuxième classe"." La révision de la directive détachement doit permettre d'arrêter l'exploitation des travailleurs et consacrer le principe que les éléments d'un salaire qui doivent être payés à un travailleur local doivent également être payés à une personne qui est détachée", dit le syndicat qui demande au gouvernement luxembourgeois de donner son soutien à cette révision de la directive.

Du côté du patronat

Du côté des organisations professionnelles, les positions divergent. BusinessEurope, représentant organisation européenne représentant 39 fédérations patronales membres de 33 pays européens dont la Fédération des industriels luxembourgeois (FEDIL), regrette la décision de la Commission européenne. "La Commission a décidé de maintenir un autre débat qui divise les Etats membres, avec celui sur le détachement des travailleurs. Nous devons nous concentrer sur le combat contre les pratiques illégales et les abus, et utiliser les règles existantes pour cela – plutôt que d'ajouter de l'incertitude, de la bureaucratie et des coûts supplémentaires", a dit son directeur général, Markus J. Beyrer.

La Confédération européenne de construction (EBC), représentante de 2 millions de PME du domaine de la construction et dont est membre la Fédération luxembourgeoise des artisans, a soutenu la proposition de révision de la directive depuis sa présentation le 8 mars 2016, déplorant les pertes d'emplois provoquées par le dumping social et la concurrence des travailleurs détachés. A l'annonce de la Commission, l'EBC s'est réjouie sur twitter, soulignant que les PME ont besoin "d'une concurrence loyale".

Du côté des partis politiques européens

"En jugeant non-recevable le 'carton jaune' des Parlements de 11 États membres, la Commission renvoie chaque acteur à son propre rôle. C'est au Parlement européen et au Conseil des ministres de travailler sur le fond de ce texte, c'est l'essence même de la démocratie européenne" a déclaré Elisabeth Morin-Chartier, eurodéputée française PPE et co-rapporteur du projet. "La subsidiarité interviendra ensuite, lorsque chaque État membre devra mettre en œuvre cette révision, et surtout faire respecter les droits de tous les travailleurs, détachés ou non. La Commission a décidé "qu'à l'avenir l'Europe sera faite avant tout pour ses citoyens". Cette révision doit être "le socle de l'Europe sociale". "C'était la seule réponse possible : entre Brexit et europhobie rampante, l'Union européenne doit affirmer sa dimension humaine", a-t-elle déclaré.

Sur Twitter, l'eurodéputée luxembourgeoise membre du PPE, Viviane Reding, a déclaré que Marianne Thyssen avait eu "raison", de tenir sur les principes d'un salaire égal pour un travail égal, et la limitation à deux années de la durée d'un détachement.

Les Socialistes & Démocrates (S&D) constituent le seul groupe politique à avoir réagi à la décision de la Commission. Son président, Gianni Pittella, a déclaré que le combat contre la concurrence déloyale et la discrimination au travail était la "raison d'être" de son groupe. " De nombreuses entreprises sans scrupules se sont servis de la directive sur les travailleurs détachés comme un moyen d'utiliser des travailleurs low-cost d'Europe de l'Est en les détachant sur des emplois dans des pays européens à coûts plus élevés, contournant les lois et accords nationaux sur le travail. Nous ne pouvons laisser cela se poursuivre. Nous devons montrer aux citoyens européens que nous sommes investis dans la chasse aux abus des règles de libre circulation", a-t-il affirmé. "La compétition salariale entre les Etats membres sape la solidarité européenne. Si nous voulons lutter contre cette course vers le bas, nous devons défendre le principe d'un salaire égal pour travail égal au même endroit", a ajouté Agnes Jongerius.

Le rapporteur fictif du projet de directive, l'eurodéputée tchèque Martina Dlabajová (ALDE), membre de la commission de l'emploi et des affaires sociales du Parlement européen, a déclaré qu'elle n'était pas satisfaite de la décision et qu'elle continuerait à se battre contre le "protectionnisme" dont témoignerait une décision qui prive des pays comme le sien de leur "avantage concurrentiel".

L'eurodéputée verte autrichienne, Monika Vana, membre de la commission parlementaire pour l'emploi et les affaires sociales, est satisfaite d'une telle décision. "Faire cavaliers seuls, comme le souhaitent quelques Etats membres, est déplacé. La protection des travailleurs détachés dans d'autres Etats membres ne peut être assurée que s'il existe des solutions transfrontalières. Pour cela, il faut une réforme courageuse de la directive existante", a-t-elle dit. Toutefois, l'eurodéputée pense que la proposition est "loin d'être orientée vers le futur". Tout changement devrait inclure la libre circulation des travailleurs auquel son parti est attaché et renoncer au protectionnisme. Il faudrait ainsi renforcer l'inspection du travail transfrontalière, interdire les détachements à la chaîne de travailleurs ou encore assurer une représentation syndicale aux travailleurs détachés.

Du côté des Etats membres, et notamment d'Europe de l'Est, le vice-ministre polonais des Affaires étrangères chargé des affaires européennes, Konrad Szymanski, a déploré le choix de la Commission. "Si la Commission n'est pas en mesure de percevoir le poids politique de l'opposition exprimée par onze pays membres de l'UE, cela veut dire que l'expérience du Brexit ne lui a rien appris. Elle continue à croire qu'elle sait toujours mieux que les autres ce qu'il faut faire pour réguler le marché, ce qui n'annonce rien de bon", a-t-il dit, selon des propos rapportés par l'AFP.