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Concurrence - Fiscalité
Aides d’État - La Commission européenne ouvre une enquête approfondie sur le traitement fiscal accordé par le Luxembourg à GDF Suez (devenue Engie)
19-09-2016


La Commission européenne a ouvert le 19 septembre 2016 une enquête approfondie concernant le traitement fiscal accordé par le Luxembourg au groupe GDF Suez (devenu Engie). La Commission craint que plusieurs décisions fiscales anticipatives émises par le Luxembourg aient potentiellement conféré à GDF Suez un avantage injustifié par rapport à d’autres sociétés, en violation des règles de l’UE relatives aux aides d’État.

ides d'Etat: la Commission enquête le traitement fiscal accordé par le Luxembourg à  GDF Suez  (devenue  Engie )Par cette enquête, la Commission entend déterminer, en particulier, si les autorités fiscales luxembourgeoises ont dérogé de façon sélective à des dispositions de la législation fiscale nationale dans des décisions fiscales anticipatives adressées à GDF Suez. "De toute évidence, ces décisions traitent une même transaction financière entre sociétés de GDF Suez de manière incohérente, en la considérant à la fois comme un emprunt et comme une prise de participation", indiquent déjà les services de la Commission dans le communiqué annonçant le début de l’enquête approfondie. À ce stade, la Commission estime par conséquent que "le traitement avalisé dans les décisions fiscales anticipatives a permis à GDF Suez de bénéficier d’avantages fiscaux auxquels ne peuvent pas prétendre d’autres sociétés soumises aux mêmes règles fiscales nationales au Luxembourg".

"Les transactions financières peuvent être imposées de différentes manières, en fonction de leur nature - emprunt ou prise de participation - mais une même entreprise ne peut pas gagner sur les deux tableaux pour une seule et même transaction. C’est pourquoi nous allons examiner attentivement des décisions fiscales anticipatives émises par le Luxembourg en faveur de GDF Suez. Elles semblent être en contradiction avec les règles d’imposition nationales et permettre à GDF Suez de payer moins d’impôts que d’autres sociétés", a expliqué à la presse Margrethe Vestager, commissaire chargée de la politique de la concurrence.

GDF Suez est une compagnie d’électricité française qui, dans l’intervalle, a changé de dénomination et est devenue Engie. L'Etat français détenait 32,76 % du capital d'Engie au 31 décembre 2015, selon son site internet. L’enquête concerne plusieurs filiales du groupe établies au Luxembourg. GDF Suez Treasury Management est une société de trésorerie du groupe qui perçoit des intérêts versés par d’autres sociétés européennes du groupe. GDF Suez LNG Supply exerce ses activités dans le secteur de l’achat, de la vente et du trading de gaz naturel liquéfié (GNL) et de produits dérivés du gaz. LNG Luxembourg et Electrabel Invest Luxembourg sont des sociétés du groupe GDF Suez qui agissent principalement comme intermédiaires pour les transactions financières du groupe.

Deux transactions financières sont traitées à la fois comme des emprunts et comme des prises de participation, ce qui fait qu’une part significative des bénéfices enregistrés par GDF Suez au Luxembourg n’est pas imposée du tout, estime la Commission

Depuis septembre 2008, le Luxembourg a émis plusieurs décisions fiscales concernant le traitement fiscal de deux transactions financières similaires effectuées entre quatre sociétés du groupe GDF Suez, toutes basées au Luxembourg. Ces transactions financières sont des emprunts convertibles en actions pour lesquels le prêteur ne perçoit aucun intérêt. Le premier de ces emprunts convertibles a été accordé en 2009 par LNG Luxembourg (le prêteur) à GDF Suez LNG Supply (l’emprunteur); le second l’a été en 2011, par Electrabel Invest Luxembourg (le prêteur) à GDF Suez Treasury Management (l’emprunteur).

La Commission considère à ce stade que dans les décisions fiscales anticipatives, les deux transactions financières sont traitées à la fois comme des emprunts et comme des prises de participation. Une même transaction est donc traitée de façon incohérente sur le plan fiscal, analyse la Commission. D’un côté, les emprunteurs peuvent constituer des provisions pour les intérêts dus aux prêteurs (transactions traitées comme des emprunts). De l’autre, les revenus perçus par les prêteurs sont considérés comme une rémunération de capital similaire à un dividende versé par les emprunteurs (transactions traitées comme des prises de participation).

Ce traitement fiscal, explique la Commission, entraîne une double non-imposition, du côté des prêteurs et des emprunteurs, de bénéfices générés au Luxembourg. "Cela est dû au fait que les emprunteurs peuvent réduire sensiblement leurs bénéfices imposables au Luxembourg en déduisant à titre de dépenses les intérêts débiteurs (provisionnés) générés par la transaction. De leur côté, les prêteurs échappent à l’imposition des bénéfices qu’ils tirent des transactions, parce que les règles fiscales du Luxembourg exonèrent de toute imposition les revenus générés par les prises de participation", indiquent les services de la Commission.

"Au final, il semble qu’une part significative des bénéfices enregistrés par GDF Suez au Luxembourg par l’intermédiaire de ces deux montages ne soit pas imposée du tout", concluent les services de la Commission.

L’évaluation préliminaire de la Commission est que GDF Suez a la possibilité de ne pas payer d’impôts sur ce type de transactions du fait des décisions fiscales anticipatives. Elle bénéficie apparemment d’un avantage économique considérable dont ne peuvent pas bénéficier d’autres sociétés soumises aux mêmes règles fiscales nationales. Si cela devait se confirmer, cela voudrait dire que GDF Suez a bénéficié d’une aide d’État illégale.

Rulings fiscaux : l’approche de la Commission

La Commission enquête sur les pratiques des États membres en matière de rulings fiscaux (selon le pays, on parle de "décisions anticipées en matière fiscale", de "décisions fiscales anticipatives" ou de "rescrits fiscaux") depuis juin 2013. Elle a étendu sa demande de renseignements initiale à tous les États membres en décembre 2014. Les rulings fiscaux ne constituent pas un problème en soi au regard des règles en matière d’aides d’État de l’UE lorsqu’ils se limitent à confirmer que les arrangements fiscaux entre sociétés appartenant à un même groupe sont conformes à la législation fiscale applicable. Toutefois, ceux qui confèrent un avantage fiscal sélectif à certaines entreprises, et qui leur accordent ainsi une subvention, peuvent fausser gravement la concurrence dans le marché unique de l’UE et enfreindre les règles en matière d’aides d’État de l’UE.

Dans ses décisions, de même que dans ses enquêtes formelles en cours, la Commission s’intéresse à différents problèmes posés par les rulings fiscaux qui sont de nature à conférer des avantages sélectifs à des entreprises:

  • les prix de transfert non conformes à la réalité économique: les décisions adoptées par la Commission en octobre 2015 au sujet du traitement fiscal accordé à Fiat au Luxembourg et à Starbucks aux Pays-Bas ont conclu que les décisions fiscales en cause avaient approuvé des prix de transfert non conformes aux conditions de pleine concurrence qui prévalent entre deux sociétés indépendantes. Elles ont accordé des avantages fiscaux sélectifs aux entreprises concernées en violation des règles de l’UE relatives aux aides d’État. La Commission a également ouvert une enquête au sujet d’un accord en matière de prix de transfert accordé par le Luxembourg à Amazon. Cette enquête est toujours en cours. Enfin, la décision de la Commission concluant à l’incompatibilité du système belge de décisions fiscales anticipées relatives aux "bénéfices excédentaires" est également motivée par des dérogations au "principe de pleine concurrence".
  • les méthodes de répartition des bénéfices non conformes à la réalité économique: en août 2016, la Commission a décidé que la société Apple bénéficiait d’avantages fiscaux illégaux en Irlande, du fait de rulings fiscaux avalisant une méthode de répartition interne des bénéfices au sein de deux sociétés irlandaises du groupe qui n’avait aucun fondement factuel ni économique.
  • l’application incohérente de la législation nationale entraînant une double non-imposition discrétionnaire: l’enquête ouverte au sujet du traitement fiscal accordé par le Luxembourg à GDF Suez porte sur une application présumée incohérente de la législation fiscale nationale, approuvée par voie de décisions fiscales anticipatives et entraînant une double non-imposition. La Commission enquête aussi actuellement sur des décisions fiscales anticipatives du Luxembourg bénéficiant à McDonald’s. Ces dernières exonèrent de toute imposition la quasi-totalité des revenus des sociétés du groupe au Luxembourg au motif que ces revenus sont imposés aux États-Unis, alors que les autorités fiscales luxembourgeoises savent qu’en réalité, ce n’est pas le cas.

Le Luxembourg estime qu'aucun traitement fiscal particulier ou avantage sélectif n'a été octroyé à des sociétés du groupe ENGIE à Luxembourg

La réaction du gouvernement luxembourgeois a été immédiate. "L'adoption de cette décision d’ouverture est une étape procédurale qui ne préjuge en rien de l'issue de l'enquête", précise, comme la Commission d’ailleurs, le Ministère des Finances qui ajoute que cette enquête "est sans lien avec toute autre procédure actuellement en cours".

"Le Luxembourg estime qu'aucun traitement fiscal particulier ou avantage sélectif n'a été octroyé à des sociétés du groupe ENGIE à Luxembourg", indique le communiqué qui annonce que les autorités luxembourgeoises fourniront toutes les informations requises par la Commission dans le cadre de l’enquête.