Après avoir ouvert une première enquête en profondeur sur des allégations de traitement fiscal privilégié accordé à l’entreprise Fiat Finance and Trade, la Commission européenne s’apprête à lancer une seconde enquête formelle approfondie visant le Luxembourg et visant cette fois le géant américain de la vente au détail en ligne, Amazon, dont il accueille le siège depuis 2003.
Selon le Financial Times (FT), qui a dévoilé l’information dans son édition du 7 octobre 2014, Amazon serait ainsi également soupçonné d’avoir bénéficié d’un traitement fiscal préférentiel à l’occasion d’un tax ruling (une décision anticipative en matière fiscale) négocié en 2003 entre la firme et le Grand-Duché. Un communiqué de la Commission européenne ainsi qu’un communiqué du Ministère des Finances luxembourgeois ont confirmé dans la matinée l’ouverture de cette enquête.
Pour mémoire, dans un article paru le 4 juillet 2014, le Financial Times affirmait déjà que la Commission européenne avait adressé au Luxembourg une demande d’informations sur le régime de taxation de la société visée afin de vérifier la compatibilité des décisions luxembourgeoises avec les règles de l'UE. Des avantages fiscaux sélectifs peuvent constituer une aide d’État contraire à l’article 107 du TFUE qui prévoit que les aides d’État qui affectent les échanges entre États membres et menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises sont en principe incompatibles avec le marché unique de l’UE.
Dans son édition du 7 octobre, le FT rapporte que la Commission estime que la décision de 2003 pourrait constituer une aide d’Etat potentiellement illégale car elle serait assimilable à des subventions déguisées octroyées indûment à l’entreprise pour ses opérations européennes depuis presque une décennie. Ainsi selon le quotidien financier qui cite "des sources informées du dossier", les enquêteurs soupçonneraient le Luxembourg d’avoir octroyé des conditions favorables à Amazon ayant permis à l’entreprise de limiter son exposition à l’impôt au Grand-Duché et de diminuer sa facture globale à moins de 1 % du revenu européen du détaillant.
Toujours selon ses sources citées par le Financial Times, le Luxembourg aurait permis, d’après la Commission, à Amazon de répartir ses bénéfices de manière indue dans sa structure d'entreprise, d'une manière qui ne répondrait pas aux normes attendues pour une opération sans lien de dépendance entre les filiales de la société. Cela aurait réduit de manière artificielle sa facture d'impôt sur une base sélective, poursuit le quotidien. Et de rappeler que si une aide d’Etat illégale était confirmée, la Commission pourrait exiger du Luxembourg qu’il la récupère.
Dans un communiqué daté du 7 octobre 2014, le commissaire en charge de la concurrence, Joaquín Almunia, confirme le lancement formel de cette enquête et apporte quelques détails sur les soupçons qui frappent la décision anticipative en faveur d’Amazon qui "remonte à 2003 et est toujours en vigueur". Cette décision s’applique à Amazon EU Sàrl, une filiale d'Amazon dont le siège est au Luxembourg et qui enregistre l'essentiel des bénéfices européens d’Amazon.
"Sur la base d’une méthodologie définie dans la décision, Amazon EU Sàrl paie une redevance fiscalement déductible à une société en commandite simple qui est établie au Luxembourg sans y être assujettie à l’impôt sur les sociétés. Par conséquent, la plupart des bénéfices européens d’Amazon sont enregistrés au Luxembourg mais n'y sont pas imposés", lit-on dans le communiqué de la Commission.
À ce stade, la Commission estime que "le montant de cette redevance, qui réduit les bénéfices imposables d’Amazon EU Sàrl chaque année, pourrait ne pas être conforme aux conditions du marché". Elle craint en effet "que la décision anticipative ne réduise artificiellement les bénéfices imposables d’Amazon EU Sàrl, et accorde de ce fait un avantage économique à Amazon en permettant au groupe de payer moins d’impôts que les autres sociétés dont les bénéfices sont alloués conformément aux conditions du marché", poursuit le communiqué.
Selon le commissaire en charge de la concurrence, cité dans le communiqué de la Commission, "les autorités nationales ne doivent pas permettre à des entreprises particulières de réduire artificiellement leurs bénéfices imposables en ayant recours à des méthodes de calcul favorables. Il est juste que les filiales de multinationales paient leur part d'impôts et ne bénéficient pas d’un traitement préférentiel qui équivaudrait à des subventions déguisées".
Joaquín Almunia rappelle encore que cette enquête qui porte sur les accords fiscaux conclus avec Amazon au Luxembourg "s'ajoute à nos autres enquêtes approfondies lancées au mois de juin" et souligne dans ce contexte qu’il "[s]e réjoui[t] que la coopération avec le Luxembourg se soit nettement améliorée". La Commission précise en effet que bien que les autorités luxembourgeoises ne se soient toujours pas pleinement conformées à la demande de renseignements de la Commission, elles ont fourni en août 2014, à la demande de la Commission, des informations sur un certain nombre de cas, dont celui d'Amazon.
Le commissaire chargé de la fiscalité, Algirdas Šemeta, a pour sa part estimé qu’"il est fondamental de garantir une concurrence fiscale loyale afin que le marché unique fonctionne sur des bases saines et que la prospérité économique soit partagée. Alors que nous travaillons tous ensemble pour restaurer la croissance et la compétitivité, il est essentiel de s'attaquer aux pratiques fiscales dommageables qui érodent les assiettes d'imposition des Etats Membres de l'UE. La règle doit être celle du fair play en matière de fiscalité".
De son côté le Ministère luxembourgeois des Finances a réagi par voie de communiqué, le 7 octobre 2014 autour de midi, confirmant l’ouverture d’une enquête sur l’octroi d’une "éventuelle aide d'État fiscale par le Luxembourg à Amazon".
Le Ministère y souligne que l’adoption de cette décision d’ouverture "est une étape procédurale qui ne préjuge en rien de l'issue de l'enquête", mais surtout, conteste les allégations de la Commission. "Le Luxembourg a fourni à la Commission toutes les informations requises et coopérera pleinement avec la Commission dans le cadre de l’enquête. Le Luxembourg est convaincu que les allégations d'aides d'État sont infondées et que l’enquête permettra à la Commission de conclure qu'aucun traitement fiscal particulier ou avantage n'a été octroyé à Amazon", y lit-on.