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Commerce extérieur - Economie, finances et monnaie
Pour la CSL, le CETA comporte toujours "de grands risques pour les normes sociales et environnementales européennes"
29-09-2016


ceta-source-chambre-commerce-caLe 29 septembre 2016, la Chambre des salariés (CSL) a publié une nouvelle prise de position au sujet de l'Accord économique et commercial global entre l'UE et le Canada (CETA). Elle fait suite à la réponse apportée, le 2 août 2016, par le ministère luxembourgeois des affaires étrangères et européennes, à une note qu'elle avait présentée le 2 juin 2016.

La CSL reste convaincue que le texte que le Conseil des ministres de l'Union européenne est sur le point d'adopter comporte "de grands risques pour les normes sociales et environnementales européennes". Elle estime qu'il est "à ce stade prématuré de donner l'accord à ce Traité, sans avoir les garanties et réponses nécessaires aux questions qui se posent", en précisant que "le contenu exact des protocoles additionnels récemment décidés n'est pas connu" et que "leur valeur juridique est incertaine".

Pour le ministère, la capacité de légiférer est garantie par le CETA

La principale crainte de la CSL concernait la capacité de légiférer de manière souveraine de l'Etat luxembourgeois dans des domaines aussi importants que les services publics, sans craindre de devoir payer d'importants dédommagements à d'éventuels investisseurs canadiens.

Dans sa réponse datée du 2 août 2016, le ministère des Affaires étrangères et européennes lui rétorque que, dans le cadre du CETA comme dans celui de tous les accords de libre-échange signés dans les vingt dernières années, les services publics dans leur totalité sont exclus. Ainsi, le mandat du Conseil pour le CETA indique que "les services fournis dans l'exercice du pouvoir gouvernemental tels que définis à l'article I, paragraphe 3, de l'Accord général sur le commerce des services ACGS, seront exclus de ces négociations."

De plus, il est laissé libre à chaque Etat membre de l'Union européenne, de réguler et organiser les services, selon son propre souci de l'intérêt public.

Le ministère fait remarquer que l'intérêt général, mentionné dans l'article 14 et porté au protocole n° 26 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), lie aussi les Etats membres dans la conclusion d'accords commerciaux.

Par ailleurs, depuis la conclusion de l'ACGS, l'UE suit une "même approche" se basant sur quatre niveaux de protection : la clause des "publics utilities", laquelle permet le maintien de monopoles et de concessions publiques dans des domaines comme la santé, l'éducation, l'approvisionnement en eau, d'autres services sociaux ; les réserves sectorielles ; la possibilité de subventionner des services d'intérêt général ; l'effet "cliquet" qui ferait qu'on ne peut pas revenir en arrière après avoir libéralisé, n'est pas destiné aux services publics, puisqu'il ne vaut pas pour l'annexe II où tous les services publics sont inscrits.

La CSL contestait par ailleurs le recours à un système de liste négative dans lequel les Etats membres pouvaient indiquer les secteurs à exclure. "Avec la liste négative et positive le même niveau de protection peut être atteint", affirme au contraire le ministère. 

Par ailleurs, le ministère nomme comme garde-fou la possibilité de retenir des critères écologiques, mais aussi sociaux et de travail, dans l'attribution de concessions. "Le CETA ne met pas en danger l'acquis européen pour la possibilité de fixer les critères d'attributions", affirme-t-il.

Les réserves spécifiques du Luxembourg, qualifiées de "difficiles à comprendre" par la CSL, s'expliquent principalement par le fait qu'il s'agit de réserves formulées par le Luxembourg dans le cadre de l'OMC et que "tous les autres services publics sont exclus des obligations générales et protégées par les niveaux de sécurité que l'UE a définies pour l'ensemble des Etats membres", explique le papier du ministère. Les autres réserves spécifiées par certains Etats membres sont des "clarifications complémentaires, non une protection élargie." Ces clarifications seraient liées à des traditions ou des conceptions juridiques précises de ces Etats.

La CSL avait cité un certain nombre de secteurs et de cas particuliers dans lesquels des acquis sociaux pourraient être remis en cause par des investisseurs canadiens ayant recours au mécanisme de protection des investissements.  A ce sujet, le MAE est d'avis que toute la législation concernant les organismes actifs dans les domaines social, socio-éducatif, familial, médico-social et thérapeutique (dite la loi ASFT) est couverte par les réserves et exceptions", que le logement social et les aides publiques dans la politique du logement ne sont en aucun cas remis en cause par le CETA. Pour ce qui est du logement par exemple, le ministère pense que "le danger", selon lequel la modification d'une formule de calcul du loyer pourrait poser problème et entraîner une perte de revenu importante pour un investisseur canadien propriétaire au Luxembourg d'un certain nombre de logements que l'État luxembourgeois devrait alors compenser, "ne peut très clairement pas survenir". "Dans le mécanisme de protection des investissements modernisé, le simple fait que des législations ont été modifiées ne peut être allégué", dit-il. Le MAE renvoie à l'article 8.9 pt 1 et 2 qui affirme le droit des parties de réglementer dans l'intérêt général ("right to regulate"), ce qui impliquerait qu'un seul changement législatif ayant causé des pertes chez un investisseur ne peut constituer un fondement valable pour une action devant l'ICS.

Pour ce qui est de la cour chargé d'arbitrer les différends, l'ICS (pour Investment court system), présenté le 29 février 2016, n'a rien à voir avec l'ISDS imaginé auparavant et remplit les conditions d'une cour d'un Etat de droit : la publicité des séances, l'accès aux documents essentiels, la possibilité d'interjeter appel, la nomination par les parties de juges qualifiés, neutres et indépendants, ou encore des mesures contre le "treaty shopping" et les plaintes abusives. Le ministère pense également que l'ICS est conforme au droit de l'UE et notamment au pouvoir d'interprétation du droit de l'UE par la CJUE en ce qu'il ne sera amené à interpréter que les dispositions de l'accord conformément au droit international (cf. avis 1/91 et 1/09).

La CSL reste inquiète

Le ministère "n'a pas su balayer les inquiétudes de la CSL, ni répondre aux questions soulevées", dit la CSL. "Il n'existe en effet pas de réponse simple à cette question", dit le communiqué de presse de la Chambre des salariés.

Sur la problématique principale relative à l'impact de CETA sur la fourniture du service public au sens large, on ne trouve "aucun argument convaincant", dit-elle.  L'affirmation du ministère selon laquelle "tous les services sociaux d'intérêt général sont intégrés à la liste négative des domaines exceptés du CETA, et le mécanisme par liste négative procurerait autant de protection et de garanties que le système de liste positive tel qu'il est utilisé dans le GATS (…) peut être mise en doute". LA CSL reste d'avis que le recours à un système de liste positive pour déterminer le champ d'application de l'accord apporterait une sécurité juridique plus grande, dès lors qu'avec ce système, seuls les domaines listés tombent clairement dans le champ d'application du texte. Au contraire, "avec un système de liste négative, seuls les domaines listés sont exclus du champ d'application de la convention visée ; tout autre domaine, non listé, tombe dans le champ d'application du texte. Si les négociants ont omis/oublié d'inclure un domaine dans la liste, alors l'erreur est commise pour toujours. De même lorsque un domaine listé ne l'est pas avec suffisamment de précision." Le système par listes négatives contenu dans le CETA pourrait engendrer "une libéralisation massive du secteur des services selon le principe du "list it or lose it".

"Il semble un peu absurde de vouloir affirmer que l'ajout d'un chapitre sur la protection des investissements et la mise en place d'un mécanisme de règlement des litiges tel que l'ICS n'ait pas d'impact sur la fourniture de services publics", dit encore la CSL, avant d'ajouter : "En outre le simple fait de l'existence des annexes I et II, listant les services expressément exclus, tous autres services étant inclus, confirment les doutes que l'on peut avoir quant à l'affirmation de l'exclusion pure et simple des services publics."

La définition de la notion d'investissement, qui permet de déterminer le champ d'application du chapitre 8 consacré aux investissements pourrait, selon la compréhension de la CSL, couvrir la fourniture de services publics de diverses manières, à savoir par exemple par les investissements directs, les établissements ou encore les concessions de service. Y seraient donc applicables les obligations classiques contenues dans les accords commerciaux.

La CSL pense que la possibilité de règlementer librement et de déroger à l'accord n'est donc garantie que si les secteurs sont listés dans l'annexe II. "Notre pays devra donc essentiellement se contenter des réserves formulées par l'Union Européenne sujettes à des interprétations divergentes", en conclut-elle.

La CSL doute de l'affirmation selon laquelle la législation ASFT tombe sous la notion de service public et est protégée à ce titre, puisqu'elle doute du sens à donner à la réserve relative aux "public utilities", notion "sans aucune définition claire ni dans le droit commercial international ni dans le droit de l'UE" et qui ne couvrirait pas le droit pour les États de poser des exigences telles par exemple l'examen de besoins économiques ou l'exigence de l'adoption par le prestataire de service d'une certaine forme sociale etc. La CSL maintient ainsi ses craintes formulées le 2 juin 2016 concernant la politique du logement, l'éducation ou les services sociaux. La CSL pense que, dans ce contexte, "l'Etat luxembourgeois, même si en théorie il garde évidemment le "right to regulate", risque de se laisser à l'avenir dissuader d'adopter de nouvelles règles pour renforcer les services sociaux par crainte de devoir payer d'importantes compensations financières à des investisseurs canadiens."

"Le "nouveau" Investment Court System ne donne pas plus de garanties que la juridiction arbitrale initialement envisagée", maintient la CSL. Elle est inquiète de l'article 8.10 §4 qui dispose que, lors de l'appréciation d'une éventuelle violation du standard de traitement juste et équitable, le tribunal prendra en considération le fait que l'une des Parties a pu créer chez l'investisseur certaines attentes qui ont par la suite été déçues. "Comment éviter que la perspective d'une condamnation à payer d'importantes compensations ne dissuade les États à adopter les réformes qu'ils estiment nécessaires ?", demande la CSL qui pense que la nouvelle "juridiction» empiètera forcément sur les compétences de la Cour de justice de l'UE en ce qui concerne l'interprétation du droit de l'Union, ce qui posera un certain nombre de problèmes d'ordre juridique.