Le 13 septembre 2016, la question du respect de l’état de droit en Pologne a fait l’objet d’un débat au Parlement européen. Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a lancé un nouvel appel à la Pologne à revenir sur sa réforme du tribunal constitutionnel. Une majorité des groupes politiques ont soutenu la Commission dans sa démarche.
Le 27 juillet 2016, la Commission a adopté une recommandation sur l'état de droit relative à la situation en Pologne, enclenchant par ce fait la deuxième étape de la procédure prévue dans le cadre pour l'état de droit introduit le 11 mars 2014. La Commission européenne y faisait savoir que la nouvelle loi sur le Tribunal constitutionnel adopté par le Parlement polonais le 22 juillet 2016, suite notamment à son avis concernant l’Etat de droit en Pologne adopté le 1er juin 2016, apportait des améliorations par rapport à la précédente loi de décembre 2015, mais continuait à susciter "l'inquiétude pour ce qui est de l'effectivité de la révision constitutionnelle et de l'Etat de droit". La Commission s’inquiétait par ailleurs, à la suite de la commission de Venise, des conséquences de l'absence d'un contrôle effectif de la constitutionnalité de législations récemment adoptées, notamment des lois sur les médias, sur la fonction publique, sur la police et contre le terrorisme.
Depuis lors, la situation ne s’est pas améliorée, puisque le gouvernement polonais n’a pas reconnu un arrêt du Tribunal constitutionnel, daté du 11 août 2016, qui a recalé certaines dispositions de la réforme du 22 juillet 2016. En visite les 12 et 13 septembre 2016 à Varsovie, la commission de Venise doit pour sa part adopter un nouvel avis sur cette réforme en octobre 2016.
La Pologne a trois mois, jusqu'au 27 octobre 2016, pour se conformer aux recommandations de la Commission. Si le gouvernement polonais ne s'exécute pas, la procédure de "l'article 7" du traité de Lisbonne, par laquelle un Etat membre peut être privé de droit de vote au Conseil en cas de "violation grave et persistante" des valeurs de l'UE, pourrait être enclenchée.
Dans son intervention, le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a exhorté de nouveau le gouvernement polonais à revenir sur sa réforme du tribunal constitutionnel. "L'indépendance du pouvoir judiciaire est extrêmement importante pour le respect des droits individuels mais aussi pour le bon fonctionnement de l'économie de marché", a-t-il souligné.
Ivan Korčok, secrétaire d’État slovaque aux affaires européennes, a rappelé au nom de la présidence slovaque du Conseil l’importance de respecter l’état de droit et de préserver l’indépendance des tribunaux dans le pays.
Le vice-ministre polonais de la Justice Marcin Warchol, présent à Strasbourg mais qui n'a pas pris la parole, a déploré devant les caméras de la télévision polonaise que le débat ait pris "une dimension très émotionnelle et agressive", a rapporté l’AFP.
A l’exception notable de l’ECR, les principaux groupes politiques du Parlement européen ont appuyé l’action de la Commission européenne dans le cadre du dialogue avec les autorités polonaises sur le respect de l’État de droit.
Pour le groupe PPE, le député démocrate-chrétien polonais, Janusz Lewandowski, a souligné qu’"il ne s’agit pas d’un débat pour ou contre la Pologne, mais d’un débat autour des abus du gouvernement polonais actuel qui représentent une menace pour l’état de droit, et qui finiront par se retourner contre la société polonaise elle-même". "Il est tout à fait normal que le Parlement européen fasse part de ses inquiétudes", a-t-il affirmé.
"Nous nous battons pour vous et avec vous, pas contre vous. Nous nous battons pour la démocratie", a lancé aux citoyens polonais, le président du groupe S&D, Gianni Pittella, selon des propos rapportés par un communiqué du Parlement européen. Il a par ailleurs déploré une tendance dans certains Etats membres à "redimensionner les libertés fondamentales, à créer une démocratie ‘alibérale’".
Sophia in 't Veld, députée ADLE, a dit son attachement au respect de l’Etat de droit : "Ces questions touchent le cœur-même de ce qu’est l’Union européenne : l’état de droit, les droits fondamentaux et la démocratie". Elle a plaidé pour la mise en place d’un mécanisme de sauvegarde encore plus fort : "La situation actuelle en Pologne illustre les limites et les faiblesses du système que nous avons mis en place pour protéger les droits fondamentaux et l’Etat de droit dans l'Union européenne. Nous travaillons, au sein du Parlement européen, à un mécanisme objectif, non-politique et s’appuyant sur des faits afin de surveiller la conformité des États membres avec ceux-ci", a-t-elle par ailleurs ajouté, selon un communiqué de son parti.
"Je ne pense pas que nous nous ingérons dans les affaires polonaises. Nous ne faisons que rappeler qu’il existe des normes communes que nous avons tous signé en ratifiant les traités européens", a déclaré Barbara Spinelli pour le groupe GUE-NGL. "Aux gouvernements hongrois et polonais, qui ont récemment annoncé une contre-révolution culturelle (LIEN) dans l’Union, je rappelle que l’Etat de droit et la constitution démocratique ont été reconquises après deux dictatures endurés par toute l’Europe au XXe siècle", a-t-elle ajouté.
Pour Judith Sargentini, eurodéputée Verts-ALE, il est dommage que la Pologne, devenue récemment une démocratie, "se tourne désormais vers la direction opposée".
A l’inverse, les groupes politiques siégeant à la droite du PPE, ont critiqué une procédure qui constituerait une immixtion dans les affaires intérieures d’un Etat membre.
"Vous ne parvenez pas à accepter le fait que certains partis ou gouvernements n’aient pas les même avis que vous et qu’ils aient le droit d’exprimer leurs opinions", a lancé pour le groupe ECR, l’eurodéputé Ryszard Legutko membre du parti Droit et justice (PiS) au pouvoir en Pologne. Il a dénoncé un "théâtre de l’absurde" et a qualifié de "baratinage" la procédure sur l’État de droit. "Nous n’avons jamais eu autant de pluralité dans les médias qu’aujourd’hui", a-t-il affirmé, selon l’Agence Europe, estimant que la Pologne était en la matière même devant des pays comme la France, l’Allemagne ou la Belgique.
"Laissez la Pologne tranquille, ce débat est une attaque violente faite à ma patrie", a exhorté Robert Iwaszkiewicz, eurodéputé polonais du groupe EFDD. "Ce n’est pas la Pologne le problème de l’Europe, mais plutôt les politiques désastreuses des élites européennes avec Merkel et Hollande", a-t-il ajouté.
Stanisław Żółtek, eurodéputé polonais du groupe ENL, a estimé que la Commission européenne avait oublié son rôle : "Les Commissaires souhaitent régner sur ce pays, prendre la relève et renverser les gouvernements".
Pour Zoltán Balczó, député non-inscrit hongrois, du parti d'extrême droite Jobbik, intervenir dans la politique de la Pologne signifie contribuer à "garantir que l’Union européenne soit détruite". "Ceux qui ont fait en sorte que nous débattions aujourd'hui de la situation en Pologne montrent qu'il n'ont pas compris le message du Brexit" a déploré le député hongrois Zoltan Balczo. "Beaucoup de citoyens ont dit qu'ils ne voulaient pas que ce soit Bruxelles qui décide de la façon dont ils menaient leur vie, ils veulent que ce soit leur propre gouvernement qui décide", a-t-il estimé.
Dans une résolution adoptée par 510 voix en faveur, 160 contre et 29 absentions, au lendemain du débat, le 14 septembre 2016, le Parlement rappelle au gouvernement polonais que «"l’Union européenne est fondée sur les valeurs [...] qui ont été approuvées par le peuple polonais à l’occasion du référendum de 2003" et qu’elle "agit sur la base de la présomption de confiance mutuelle que ses États membres respectent la démocratie, l’état de droit et les droits fondamentaux".
La paralysie du Tribunal constitutionnel et le refus du gouvernement polonais de publier tous ses jugements "met en danger la démocratie, les droits fondamentaux et l’état de droit en Pologne", dit la résolution. Au-delà de la crise constitutionnelle, le Parlement s’inquiète également des "récentes et rapides évolutions de la législation" dans d’autres secteurs en relation, à savoir : l’indépendance et l’impartialité des médias publics, le droit à la liberté d’expression, le droit à la vie privée, les droits procéduriers ainsi que le droit fondamental à un procès juste, l’impartialité politique de l’administration du pays ainsi que les droits de l’homme fondamentaux, dont les droits de la femme.