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Traités et Affaires institutionnelles
La Commission européenne a adopté une recommandation sur l’état de droit relative à la situation en Pologne
27-07-2016


pologne-ueLe 27 juillet 2016, la Commission européenne a adopté une recommandation sur l'état de droit relative à la situation en Pologne. Prévue dans le cadre pour l'état de droit introduit le 11 mars 2014, dont elle est la deuxième étape, elle fait suite à la concertation intensive entamée avec les autorités polonaises depuis le 13 janvier 2016, qui a initié la procédure. La Commission y énumère des recommandations concrètes sur la marche à suivre pour dissiper ses préoccupations.

La première étape avait été atteinte avec l'adoption par la Commission européenne, le 1er juin 2016, d'un avis concernant l'Etat de droit en Pologne, qui exposait ses inquiétudes et devait servir à orienter le dialogue en cours avec les autorités polonaises en vue d'aboutir à une solution. A cette occasion, le ministre polonais de la Justice, Zbigniew Ziobro, avait déclaré que cet avis confirmait "la façon de voir de ceux qui disent que la Commission s'immisce dans les affaires intérieures d'un Etat souverain, soutient l'opposition et mène une politique contre un gouvernement qui la dérange".

La nouvelle loi polonaise du 22 juillet 2016 sur le tribunal constitutionnel n'a pas rassuré la Commission

Le Parlement polonais a adopté, le 22 juillet 2016, une nouvelle loi sur le Tribunal constitutionnel, remplaçant la loi du 25 juin 2015 et sa révision du 22 décembre 2015. Même si ce texte prend en compte certaines des préoccupations de la Commission, "d'importants sujets d'inquiétude subsistent en ce qui concerne l'état de droit en Pologne", dit cette dernière dans un communiqué de presse. La Commission estime ainsi qu'il subsiste "une menace systémique" envers l'état de droit en Pologne.

Elle constate notamment que la décision rendue par le Tribunal constitutionnel le 9 mars 2016 qui avait jugé anticonstitutionnelle la loi adoptée le 22 décembre 2015 n'a toujours pas été ni publiée, ni mise en œuvre. Le gouvernement polonais conteste la légalité de cette décision parce que le Tribunal constitutionnel n'a pas appliqué la procédure prévue par la loi du 22 décembre 2015.

De plus, "les effets de certaines dispositions de la loi adoptées le 22 juillet, prises à la fois individuellement et ensemble, suscite principalement l'inquiétude pour ce qui est de l'effectivité de la révision constitutionnelle et de l'Etat de droit", explique la Commission dans son Mémo publié à cette occasion. Or, l'efficacité d'un système judiciaire constitutionnel est un élément-clé de l'état de droit, souligne la Commission qui ajoute : "Le fait que le Tribunal constitutionnel se trouve empêché d'assurer pleinement un contrôle constitutionnel effectif, qui constitue l'un des garde-fous essentiels de l'état de droit en Pologne, nuit à son intégrité, à sa stabilité et à son bon fonctionnement".

Certes la nouvelle loi du 22 juillet contient des améliorations telles que l'abandon de la majorité des deux-tiers par un retour à la majorité simple pour l'adoption d'une décision au sein du tribunal, mais elle contient également un certain nombre de nouvelles dispositions qui inquiètent la Commission. Il s'agit notamment de dispositions sur le rôle du procureur général qui pourrait avoir la possibilité "de reporter, voire d'empêcher, l'examen de certaines affaires", sur le report de délibérations, sur les dispositions transitoires pour les affaires pendantes et sur la période, jugée trop courte, de vacatio legis.

Dans sa recommandation, la Commission souligne également les conséquences de l'absence d'un contrôle effectif de la constitutionnalité de législations récentes, notamment les lois sur les médias, sur la fonction publique, sur la police et contre le terrorisme. La Commission cite notamment les inquiétudes de la Commission de Venise au sujet des modifications de la loi sur la police et de certaines autres lois, exprimées dans un avis du 13 juin 2016, qui indique entre autres "que les garanties procédurales et les conditions de fond définies dans la loi demeurent insuffisantes pour empêcher son utilisation abusive ainsi que les ingérences injustifiées dans la vie privée des particuliers". Or, ces craintes suscitées par l'absence de contrôle effectif de la constitutionnalité d'un certain nombre d'actes législatifs "particulièrement sensibles", ont été renforcées par le fait que la loi adoptée le 22 juillet 2016 prévoit que le traitement d'un certain nombre d'affaires pendantes sera suspendu.

Les recommandations à la Pologne

"En dépit du dialogue que nous menons avec les autorités polonaises depuis le début de l'année, la Commission considère que les principaux problèmes qui constituent une menace pour l'état de droit en Pologne n'ont pas trouvé de solution", a déclaré le premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, à l'occasion de la publication de la recommandation. "Nous demandons aux autorités polonaises de s'assurer que toute réforme de la loi respecte le jugement du tribunal constitutionnel et prenne en compte l'opinion de la Commission de Venise", a-t-il poursuivi Frans Timmermans, assurant que "nous sommes prêts à poursuivre notre dialogue constructif".

La Commission recommande aux autorités polonaises de prendre d'urgence les mesures qui s'imposent pour permettre au tribunal d'exercer pleinement les responsabilités qui lui sont attribuées par la Constitution et ainsi éliminer la menace systémique qui pèse sur l'état de droit. Elle demande ainsi au gouvernement polonais de lui communiquer, dans les trois mois, les dispositions mises en œuvre à cet effet. La Commission énumère ainsi cinq recommandations :

  • observer et exécuter intégralement les décisions du Tribunal constitutionnel des 3 et 9 décembre 2015, qui exigent que les trois juges légalement désignés en octobre 2015 par l'assemblée précédente puissent prendre leurs fonctions de juge au Tribunal constitutionnel et que les trois juges nommés par la nouvelle assemblée sans base juridique valable n'occupent pas le poste de juge sans avoir été valablement désignés;
  • publier et exécuter intégralement la décision rendue par le Tribunal constitutionnel le 9 mars 2016, ainsi que toutes ses décisions ultérieures, et de veiller à ce que la publication des décisions futures soit automatique et ne dépende pas d'une quelconque action des pouvoirs exécutif ou législatif;
  • veiller à ce que toute réforme de la loi relative au Tribunal constitutionnel soit conforme aux décisions de cette juridiction, y compris ses décisions des 3 et 9 décembre 2015 et du 9 mars 2016, et tienne pleinement compte de l'avis de la Commission de Venise du 11 mars 2016 ;
  • veiller à ce que le Tribunal constitutionnel puisse remplir de manière effective sa mission de garant de la Constitution sans que celle-ci se trouve compromise par de nouvelles exigences, que ce soit isolément ou en raison de leur effet combiné;
  • veiller à ce que le Tribunal constitutionnel puisse examiner la compatibilité de la nouvelle loi relative au Tribunal constitutionnel adoptée le 22 juillet 2016 avant son entrée en vigueur, et publie et exécute pleinement la décision du Tribunal sur ce point;

Si aucune suite satisfaisante n'est réservée à la recommandation dans le délai imparti, il est possible de recourir à la troisième étape prévue par le cadre pour l'état de droit, qui consiste en l'activation de la "procédure de l'article 7" engagée par une proposition motivée d'un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission. Menée à son terme, cette procédure permet au Conseil de décider de suspendre certains droits d'un Etat membre découlant de l'application des traités, y compris les droits de vote du représentant de son gouvernement au sein du Conseil.

Premières réactions

Selon une première réaction relayée par la dpa, le ministère polonais des Affaires étrangères a fait savoir qu'il considéré comme "prématurée" la décision prise par la Commission européenne et en vient à se demander si cette dernière se tient aux "principes de la coopération loyale avec les gouvernements des Etats membres". Pour cause, "le gouvernement polonais est décidé à retourner à un fonctionnement stable du tribunal constitutionnel", dit la communication, en mentionnant la loi du 22 juillet 2016 en cours de finalisation.

Le chef du parti conservateur au pouvoir en Pologne, Jaroslaw Kaczynski, a de son côté jugé illégale la procédure engagée par la Commission européenne contre son pays au sujet du respect de l'Etat de droit, selon une interview publiée le 28 juillet par le quotidien allemand Bild. "Cette procédure se situe totalement en dehors du cadre des traités de l'Union européenne, ce n'est rien d'autre qu'une occupation pour faire plaisir à la Commission et à ses fonctionnaires", a-t-il déclaré.