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Commerce extérieur
L'UE et le Canada signent le CETA, ouvrant la voie à une longue procédure de ratification
30-10-2016


Jean-Claude Juncker, Justin Trudeau et Donald Tusk © Union européenneLe sommet UE-Canada, initialement fixé au 27 octobre 2016, prévu pour être celui de la signature de l'accord économique et commercial global entre le Canada et l'UE (CETA), avait dû être annulé, en raison du refus des Parlements des trois entités fédérées - la Région wallonne, la Région Bruxelles-Capitale et la Fédération Wallonie-Bruxelles – d'octroyer au gouvernement fédéral belge les pleins pouvoirs pour signer l'accord.

Toutefois, dès le lendemain, un accord était trouvé qui a permis la tenue d'un mini-sommet UE-Canada le 30 octobre 2016, durant lequel le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, le président du Conseil européen, Donald Tusk, et le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, ont signé non seulement le CETA, mais également un Accord de partenariat stratégique.

Ce dernier accord, passé au second plan de l'attention médiatique, "ouvre la voie à une collaboration encore plus solide aussi bien sur le plan bilatéral que dans les enceintes multilatérales", dans des domaines tels que les droits de l'homme, la paix et la sécurité internationales, le développement économique et durable, la justice, la liberté et la sécurité. "Ensemble, nous continuerons à promouvoir un ordre mondial fondé sur des règles, ancré dans nos valeurs communes et le droit international", déclarent les partenaires dans la déclaration conjointe adoptée à cette occasion.

Ce qui a permis l'approbation belge du CETA

D'une part, l'accord obtenu entre les trois Parlements régionaux et le fédéral belge, en vue de l'approbation du CETA, prévoit que la Belgique sollicitera l'avis de la Cour de justice de l'UE sur la compatibilité du  mécanisme d'arbitrage des litiges entre investisseurs et États (ICS) avec le droit européen.

D'autre part, la déclaration interprétative commune du traité a été renforcée. Les ajouts réaffirment la capacité des États à réglementer et à fournir des services publics, tandis que l'ICS y est désigné comme un "changement radical" dans la façon d'arbitrer les différends internationaux liés à l'investissement et comme devant, à terme, conduire à la mise sur pied d'une cour multilatérale. Il est également mentionné, que d'ici à l'entrée en vigueur de l'accord commercial, l'UE et le Canada devront élaborer "un code de conduite afin de garantir davantage l'impartialité des membres des tribunaux, leur méthode de travail, leur niveau de rémunération ainsi que leur processus de sélection".

Paul Magnette, le ministre-président wallon a déclaré devant les députés du Parlement de Namur appelés à voter, que la Wallonie a obtenu "les plus hauts standards juridictionnels". "Le CETA amendé, le CETA corrigé, est plus juste que l'ancien CETA, il offre plus de garanties",avait-il dit.

Dans une interview à la radio socio-culturelle 100komma7, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a estimé qu'il n'y avait là rien de bien nouveau par rapport aux améliorations obtenues par le Luxembourg, la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Autriche, qu'il avait présentée le 10 octobre 2016.

Les déclarations

"Tout est bien qui finit bien", s'est d'ailleurs réjoui le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, constatant notamment que "la substance du traité n'a aucunement changé." Il a insisté sur le respect de valeurs et principes tels que "le travail décent, la santé et la sécurité, la diversité culturelle, la qualité de l'air, (...) la défense des services publics" pour justifier la signature de l'accord commercial avec le Canada, qu'il voit comme "le meilleur et le plus progressiste jamais négocié par l'UE". "C'est en nous ouvrant aux autres, à ceux qui nous sont proches, avec notre approche moderne et progressiste, utilisant les accords commerciaux, que nous arriverons à façonner la mondialisation. (…) Nous établissons aujourd'hui de nouveaux standards, qui détermineront la globalisation pour les prochaines décennies", a souligné le président de la Commission européenne, Jean- Claude Juncker.

Le président du Conseil, Donald Tusk s'est félicité du fait que "les décisions d'aujourd'hui démontrent que (…) nous disposons encore de force et de détermination en quantités suffisantes, au moins certains d'entre nous, pour contrecarrer le fatalisme de la décomposition de notre monde politique".  "Le libre-échange et la mondialisation protègent l'humanité d'un conflit total, mais le problème est que peu de gens le comprennent et le croient", a-t-il estimé. "La controverse autour du CETA a démontré que notre première priorité est de donner aux gens une information honnête et convaincante sur les effets réels du libre-échange. Que l'alternative au libre-échange est l'isolationnisme et le protectionnisme, un retour aux égoïsmes nationaux, et, résultat de tout cela, la menace de conflits violents."

"La signature du CETA est un évènement historique. Cet accord moderne et progressiste resserrera les liens déjà forts entre le Canada et l'Union européenne et créera de nombreuses opportunités pour les Canadiens et les Européens. Il permettra d'ouvrir de nouveaux marchés à nos exportateurs, d'offrir plus de choix et de meilleurs prix aux consommateurs et de forger des liens plus forts entre nos économies", a dit le premier ministre du Canada, Justin Trudeau. "Nous avons travaillé pour mettre au point un nouveau modèle, amélioré, plus progressiste pour assurer que les gouvernements ont toujours le droit de défendre les préoccupations de leurs citoyens." 

Au micro de 100komma7, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn, a évoqué les manières de préparer les prochains accords commerciaux. "Si le CETA est adopté au Parlement européen, nous aurons créé un cadre pour tous les futurs traités avec des pays tiers", a-t-il dit. "Nous sommes au 21e siècle, il n'est pas possible que les mandats du Conseil pour la Commission soient secrets. Même si cela rend peut-être les négociations un peu plus difficiles." Avant que le Conseil donne un mandat, il doit y avoir une grande discussion, même dans les parlements nationaux, pour que "chacun sache, ce qu'il y a dans le mandat et puisse donner son appréciation ֪ même si cela dure quelques mois de plus", pense le ministre.

Dans une interview donnée au "Welt am Sonntag", Jean Asselborn, s'est penché sur l'autre grand traité de libre-échange en cours de négociation, le TTIP. Il a estimé que le mandat de négociation du TTIP devrait avoir des bornes claires, à redéfinir à l'issue des élections américaines. "Nous n'avons publié le mandat du TTIP qu'en 2015. Il ne faut pas s'étonner, si cela a créé de la défiance dans l'opinion publique. Dans la crispation de ces derniers jours, le caractère secret des débuts a été déterminante. La Commission européenne doit à l'avenir négocier sur la base d'un mandat, émis dans une procédure publique". De même, Jean Asselborn a estimé qu'il fallait éviter de parvenir à des accords mixtes. "À l'avenir, il faudra clarifier quelles parties relèvent de la compétence européenne et lesquelles relèvent des parlements nationaux", a-t-il indiqué.

De son côté, le ministre allemand de l'Economie, Sigmar Gabriel, a estimé qu'avec le CETA "commence la mondialisation juste", "avec des standards européens pour la protection des consommateurs et de l'environnement, avec les droits des travailleurs et la protection de l'intérêt général devant la privatisation".

Le secrétaire d'Etat français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, a parlé de la conclusion du CETA comme de "la première fois que nous réussissons au niveau mondial à nous attaquer au scandale démocratique qu'est l'arbitrage privé et de le remplacer par des règles et par de la démocratie", tout en marquant son opposition au TTIP.

Les réactions

Du côté de la société civile

Dans un communiqué diffusé le 28 octobre 2016, la Plate-forme luxembourgeoise Stop-TAFTA s'est dite toujours opposée au CETA, qu'elle qualifie de "danger pour nos acquis démocratiques, sociaux et écologiques". Elle y déplore "l'arrogance avec laquelle l'UE pensait pouvoir ignorer les préoccupations" des 3,5 millions de citoyens qui ont pétitionné contre le CETA. Cela "montre un fossé profond entre les responsables de l'UE et la société civile", ce qui constitue une situation "indigne d'une démocratie et augmente le risque que les populistes dominent toujours plus la scène".

La Plate-forme soumet trois revendications, à savoir que, durant la phase finale d'approbation du traité, les décisions ne soient pas prises de manière précipitée. "Tous les gouvernements, parlements et la société civile doivent avoir l'occasion d'analyser en toute quiétude les changements des dernières semaines", dit-elle.  Ensuite, elle demande au gouvernement luxembourgeois de s'assurer que l'analyse de l'ICS par la CJUE, "jusque-là refusée et qui aurait dû être une évidence depuis le début", soit à disposition des parlements avant qu'ils ne prennent une décision sur les tribunaux. Enfin, elle réclame des règles et procédés plus transparents et meilleurs, dans la discussion de ces dossiers et notamment d'accords de libre-échange, alors que de nombreux autres accords tels TISA, sont encore en cours.

De l'autre côté de l'Atlantique, le Conseil des Canadiens, par la voix de sa présidente Maude Barlow, a signalé que "des problèmes importants demeurent et la Wallonie ainsi que d'autres parlements européens ont dit clairement qu'ils n'accepteraient pas le CETA sous sa forme actuelle". Opposé au CETA, le Conseil fait le compte de la difficile procédure qui s'ouvre désormais : "Cinq régions de Belgique ont d'ores et déjà produit une déclaration rejetant le tribunal d'arbitrage — le mécanisme permettant à une multinationale investissant à l'étranger de porter plainte contre un État qui adopterait une politique publique contraire à ses intérêts — sous sa forme actuelle. Le Bundesrat allemand nourrit de nombreuses inquiétudes vis-à-vis de l'Accord et un référendum sur l'AECG est prévu aux Pays-Bas. Des élections en France et en Allemagne en 2017 ne font que renforcer l'incertitude entourant l'avenir de l'Accord, dont la vaste impopularité dans les sondages pourrait fort bien constituer un enjeu électoral déterminant". Au Canada, les parlements provinciaux et les autres ordres de gouvernement sont "tout aussi préoccupés", ajoute le Conseil des Canadiens, demandant que le Canada tienne des consultations publiques "en bonne et due forme".

Au Parlement européen

Seuls deux groupes politiques du Parlement européen ont publié un communiqué de presse à l'occasion de la signature du CETA. Pour le groupe ALDE, Guy Verhofstad a qualifié l'accord CETA, du "meilleur et plus moderne que l'UE n'a jamais négocié". "Nous devrions avoir en tête le fait que l'UE négocie des accords commerciaux, pour fournir plus d'emplois, de croissance et de choix de consommation à ses citoyens ; ces accords ne peuvent pas remplacer et ne remplaceront pas la politique sociale ou de redistribution des gouvernements, laquelle relève de la compétence nationale et parfois régionale", a-t-il dit avant d'ajouter : "A une époque de globalisation croissante, le retranchement dans le protectionnisme est une alternative bien faible. Nous devrions utiliser les accords comme le CETA pour créer un cadre et des règles pour la connectivité globale. Au lieu d'être effrayés par la globalisation, nous devons la  développer activement nous-mêmes."

Yannick Jadot, pour le groupe Verts/ALE, vice-Président de la commission du commerce international et Porte-Parole Verts-ALE sur le CETA et le TTIP, s'est au contraire emporté contre le CETA. "La signature du CETA par nos chefs d'État et de gouvernement est une mauvaise nouvelle pour l'Europe. En évaluant sérieusement et en contestant le contenu de l'accord, le parlement wallon s'était fait le héraut des salariés, des consommateurs, des juristes, des citoyens, des villes et régions, des agriculteurs et des PME qui rejettent un accord qui cèdera encore plus de notre souveraineté démocratique et juridique à des firmes multinationales qui nous le rendent si mal. Un accord qui sacrifiera un peu plus la perspective d'un projet européen social, écologique et économique à la fois efficace et responsable." Concernant le vote à venir au Parlement européen, Yannick Jadot déclare : "On sait la fascination de la Commission européenne pour les multinationales qui accueillent généreusement ses anciens dirigeants une fois leur mandat achevé. Les députés européens sont comptables de l'intérêt général devant les citoyens européens. C'est le moment de le prouver!"

Les prochaines étapes

Le 5 décembre 2016, la commission Commerce du Parlement européen s'exprimera sur l'accord. Le vote au Parlement européen réuni en plénière devrait intervenir durant la deuxième semaine de décembre 2016 ou la troisième de janvier 2017. En cas de vote positif, le CETA pourra être appliqué provisoirement pour ses parties relevant de la compétence européenne, qui, selon l'estimation de Justin Trudeau, "représente 98% de ce qu'il y a dans le CETA".

Parmi ces mesures pouvant entrer en application avec l'approbation du CETA par le Parlement européen, figure la disparition de la quasi-totalité des barrières tarifaires, qui doit permettre aux entreprises européennes d'économiser 500 millions d'euros par jour, comme l'a indiqué Jean-Claude Juncker. Donald Tusk, a pour sa part signifié que l'application provisoire de l'accord commercial avec le Canada allait constituer "le meilleur outil pédagogique pour convaincre les opposants".

Pour ce qui est de la partie mixte de l'accord, pas moins de 38 parlements nationaux et régionaux seront appelés à ratifier le CETA afin que celui-ci soit totalement applicable. Parmi les dispositions relevant de cette partie de l'accord, figure le controversé mécanisme ICS. Cette procédure pourrait durer deux à quatre ans.