Le 30 novembre 2016, la Commission européenne a présenté un paquet d’hiver très dense, baptisé "Une énergie propre pour tous les Européens", qui consiste en une série de propositions visant à réorganiser le marché de l'énergie, en particulier renouvelable, afin de respecter les engagements pris par la signature de l'accord de Paris sur le climat.
Avec l'accord de Paris, l'UE s'est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40% d'ici 2030. Mais elle s'est aussi fixée, en octobre 2014, un cadre d'action de l'UE en matière de climat et d'énergie à l'horizon 2030, deux autres objectifs, 20% d'énergies renouvelables dans la production d'électricité en 2020, puis au moins 27% en 2030, et de 20% à au moins 27% pour les économies d'énergie dans les mêmes délais.
Pour atteindre cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'ici à 2030, la Commission a déjà présenté, en juillet 2015, une proposition de réforme du système d'échange de quotas d'émission (SEQE) afin que le secteur de l'énergie et les industries à haute intensité énergétique réalisent les réductions d'émissions nécessaires. Le 20 juillet 2016, elle a présenté plusieurs propositions visant à accélérer la transition vers de faibles émissions de carbone dans d'autres secteurs clés de l'économie européenne. Ces propositions sont "les dernières pièces maîtresses", selon les termes de la Commission, pour mettre pleinement en œuvre le cadre à l'horizon de 2030 pour l'énergie et le climat, en particulier sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique.
Les propositions sont conçues pour montrer que la transition vers l'énergie propre constitue "le secteur de croissance de l'avenir, le segment idéal pour placer intelligemment son argent", dit le communiqué de presse. Elles portent sur l'efficacité énergétique, les énergies renouvelables, l'organisation du marché de l'électricité, la sécurité d'approvisionnement électrique et les règles de gouvernance pour l'union de l'énergie. En outre, la Commission propose une nouvelle piste concernant l'écoconception ainsi qu'une stratégie concernant la mobilité connectée et automatisée. Le Paquet présenté consiste en la révision de huit législations communautaires. La quantité de documents a fait dire avec ironie au commissaire que c’est "une lecture pour la pause de Noël".
En mobilisant jusqu'à 177 milliards d'euros de fonds publics et privés par an jusqu'en 2021, ce paquet pourrait susciter jusqu'à 1% de hausse du PIB au cours de la prochaine décennie et créer 900 000 nouveaux emplois, dit la Commission.
Le paquet prévoit également des actions en vue d'accélérer l'innovation pour l'énergie propre et de rénover les bâtiments en Europe, ainsi que des mesures visant à encourager les investissements publics et privés, à promouvoir la compétitivité des entreprises de l'UE et à atténuer l'impact sociétal de la transition énergétique. "Nous étudions également les moyens pour l'UE de jouer un rôle moteur accru dans les technologies et services énergétiques propres en aidant des pays tiers à réaliser leurs objectifs", ajoute la Commission européenne.
Par ses propositions, la Commission se donne trois grands objectifs : donner la priorité à l'efficacité énergétique, parvenir au premier rang mondial dans le domaine des énergies renouvelables et offrir des conditions équitables aux consommateurs.
La Commission propose la mise en place d’un cadre pour l’amélioration de l’efficacité énergétique, qui contient une modification de la directive sur l’efficacité énergétique qui porte de 27 % à 30 % l’objectif d’économie prévue dans l’accord cadre d’octobre 2014, rapporte la fiche d’information. Cela ouvre la perspective d’un marché de 80-120 milliards d’euros d’ici 2030.
"Je suis particulièrement fier de l'objectif contraignant de 30% pour l'efficacité énergétique, car cela va réduire notre dépendance envers les importations d'énergie, créer des emplois et réduire les émissions. L'Europe est au bord d'une révolution de l'énergie propre", a déclaré à ce sujet, Miguel Arias Cañete, commissaire pour l'action pour le climat et l'énergie. Cet objectif de 30 % pourrait injecter 70 milliards d'euros dans l'économie et créer 400 000 emplois, avait-il dit récemment. De son côté, le Parlement européen avait appelé à plusieurs reprises l'UE à relever ce seuil à 40%.
C’est notamment par une révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments que la Commission entend atteindre ce but. Cette proposition doit permettre d’accélérer la rénovation énergétique des bâtiments dans l’UE, alors que deux tiers des bâtiments ont été construits avant la législation sur la performance énergétique et que seulement 1 % est rénové chaque année. La Commission européenne souligne qu’il y a là tout à gagner, puisque la construction absorbe 40 % de la consommation d’énergie dans l’UE.
Pour ce qui est du financement, en plus du recours au FEIS, au Fonds européen de
développement régional et au Fonds de cohésion, la Commission compte sur le lancement de l’initiative sur le financement intelligent de bâtiments intelligents pour injecter dix milliards d’euros supplémentaires venus de fonds privés et publics.
L’amélioration de la performance énergétique de produits (Ecodesign) et l’information des consommateurs par les labellisations sont d’autres pistes poursuives par la Commission européenne, qui a ficelé un nouveau plan de travail Ecodesign, qui prévoit une liste de nouveaux produits devant répondre à de nouvelles exigences en matière d'économie d'énergie, comme les bouilloires et les panneaux solaires.
La Commission répète sa volonté que l’UE soit en 2030, au premier rang mondial dans le domaine des énergies renouvelables, dont serait alors issue 50 % de son électricité. ELle compte pour cela sur l'objectif contraignant de 27% à l'échelle de l'UE, mais ne fixe pas
d'objectif au niveau national.
Le secteur a l’avantage de créer 2,5 à 4 fois plus d’emploi que l’investissement dans le pétrole et le gaz (il occupe actuellement un million de de personnes) et d’être source d’innovations technologiques. Avec les renouvelables, l’UE pourrait par ailleurs économiser 60 milliards d’euros chaque année en 2030, pour l’énergie fossile qui n’est pas importée, ce qui représente, signale la Commission, l’actuel PIB du Luxembourg.
La Commission propose ainsi la révision de la directive sur les énergies renouvelables, avec également des propositions sur une nouvelle conception et une nouvelle gouvernance du marché de l’électricité, pour offrir un cadre réglementaire qui donne une sécurité aux investisseurs. La Commission met en avant une nouvelle gouvernance robuste pour être sûr que les objectifs sont atteints, impliquant un contrôle des plans nationaux énergie et climat par la Commission, avec la capacité de proposer des mesures correctives.
Elle prévoit également l’augmentation de la part d’énergies renouvelables dans le chauffage et le refroidissement, afin que les Etats membres atteignent l’objectif d’une progression de 1 point de pourcent par an jusqu’en 2030. Elle ouvre aussi l’accès aux systèmes locaux de chauffage et de froid, pour les producteurs.
Elle énumère aussi de nouveaux critères pour définir les biocarburants, lesquels sont d’ailleurs étendus à la biomasse. Ainsi, un biocarburant devrait émettre au moins 70 % de gaz à effet de serre de moins que les carburants fossiles, tandis que la biomasse serait soumise à un critère de durabilité, notamment pour celle issue de la forêt.
La proposition propose aussi le développement des énergies renouvelables et à faible émission de gaz à effet de serre dans les transports, en vue de favoriser notamment les dernières générations de biocarburants avancés et l’électricité, incluant notamment des obligations pour les fournisseurs de carburants d’augmenter la part de renouvelables. Ainsi, la Commission propose une réduction progressive de 7% à 3,8%, de la part des biocarburants de première génération (agrocarburants) dans la consommation de carburants dans le secteur des transports entre 2020 et 2030.
Elle propose par ailleurs une stratégie européenne sur les systèmes de transport intelligent et coopératif, favorisant une mobilité automatisée et connectée, qui doit permettre de déployer, dès 2019, des véhicules pouvant "parler" entre eux et avec les infrastructures de transport sur les routes de l'Union.
Concernant "les capacités de paiement", la Commission ne propose pas aux Etats membres d'y renoncer. Son objectif est de faire en sorte que toute intervention publique ne favorise pas les capacités nationales de production plutôt que la génération transfrontalière et que tous les mécanismes de capacité soient pleinement en ligne avec les objectifs plus larges de l'UE en matière d'énergie propre. Elle prévoit qu'à partir de 2026, ces capacités ne puissent être autorisées que pour les les installations qui émettent moins de 550 grammes de CO2 produit par kilowatt/heure, ceci afin d’éviter que les centrales à charbon les plus polluantes ne soient maintenues en vie dans ce système.
La Commission propose également la réorganisation du marché de l'électricité, afin de mieux intégrer les renouvelables aux réseaux et garantir la participation active des consommateurs au marché de l'électricité.
"Les consommateurs seront des acteurs dynamiques et centraux sur les futurs marchés de l'énergie", souligne la Commission européenne dans son communiqué de presse. Ils auront à l'avenir un meilleur choix pour leur approvisionnement, un accès à des outils fiables de comparaison des prix de l'énergie et la possibilité de produire et de vendre leur propre électricité. "Une transparence accrue et une meilleure régulation ouvrent à la société civile des possibilités de participer davantage au système énergétique et de réagir à des signaux de prix", dit-elle.
Chaque consommateur sera autorisé à générer de l’électricité pour sa propre consommation, la stocker, la partager ou la vendre.
La Commission veut par ailleurs accélérer le développement de compteurs intelligents et de contrats de fourniture d’électricité dynamiques. Elle souhaite également le développement d’une information claire et fiable sur les meilleures possibilités, avec des comparaisons de prix certifiées, et des changements de fournisseur plus simples de fournisseurs, notamment grâce à une proposition de limitation des frais de changement de fournisseur.
Le paquet comporte également plusieurs mesures visant à protéger les consommateurs les plus vulnérables. La Commission veut ainsi soutenir les Etats membres à aider les consommateurs faibles à réduire les couts en les aidant prioritairement dans les investissements pour les travaux d’efficacité énergétique. Les Etats membres devront d’ailleurs faire des rapports sur la pauvreté énergétique, dans le cadre de la gouvernance sur l’Union de l’énergie. Des sauvegardes sont également prévues pour empêcheur avant qu’un consommateur soit sorti du réseau trop vite.
Le PPE s’est montré satisfait du Paquet de la Commission. "L’Europe a besoin d’emploi et de croissance. L’industrie, pour investir et créer de l’emploi a besoin de certitude. Ainsi, nous avons besoin de règles claires et de la vision sur ce à quoi ressemblera le marché de l’énergie dans le futur", a déclaré Krišjānis Kariņš. "Il est positif que les propositions ne précisent pas des objectifs nationaux contraignants et que les Etats membres obtiennent de la flexibilité sur le choix de la voie conduisant à nos objectifs communs", a-t-il par ailleurs estimé. "Les initiatives dans l’efficacité énergétique vont créer beaucoup d’emplois dans l’UE", se réjouit pour sa part, Peter Liese.
Dans son communiqué, le groupe S&D se réjouit que la Commission ait tenu sa promesse d’avoir lancé 90 % de son Union de l’énergie à la fin de l’année 2016 et souligne le besoin "de commencer à travailler sur ces bases solides aussi vite que possible". " Néanmoins, il y a un besoin significatif d’améliorations, telles que l’augmentation du niveau d’ambition pour l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables", a déclaré l’eurodéputé Dan Nica. “Actuellement, les consommateurs d’électricité et l’industrie payent trop. Un marché plus transparent, intelligent et intégré, avec la possibilité pour les consommateurs de participer activement, apportera des économies d’énergie pour tous et aidera à rendre la transition vers un système de fourniture d’énergie décarboné, avec les plus bas coûits possibles".
Le groupe S&D pense qu’il faut viser un stock de bâtiments à consommation proche de zéro pour 2050 et prévient qu’il se battra pour des prix de l’énergie accessibles et pour assurer que la fin de la pauvreté énergétique et la protection des citoyens vulnérables seront au centre du paquet.
A la veille de la présentation du paquet, le groupe ALDE avait qualifié ce dernier de "pas nécessaire" dans la poursuite des objectifs de l’UE et avait jugé crucial que les Etats membres y répondent positivement et se concentrent sur sa mise en œuvre. "C’est une opportunité de réforme que nous ne pouvons nous permettre de manquer", avait déclaré l’eurodéputé Frederick Federley. "L’Europe doit devenir indépendant de Poutine et des sheikhs du Moyen-Orient. Dès lors, nous avons besoin de mettre l’efficacité d’abord, renouveler le leadership mondial de l’UE et fournir un traitement équitable aux consommateurs", avait déclaré le Vice-President de la commission parlementaire ITRE, Morten Helveg Petersen.
Dans des propos recueillis par le Luxemburger Wort, dans son édition du 1er décembre 2016, l’eurodéputé luxembourgeois Verts-ALE, Claude Turmes, a jugé que le relèvement à 30 % de l'objectif en matière d'efficience énergétique constitue un "pas politiquement important car Juncker fait preuve de davantage d’ambition que les chefs de gouvernement". Cependant, "cet objectif n’est pas assez bon en volume", juge-t-il. "Le tout ressemble à un compromis énorme, qui cherche à plaire à de nombreux Etats membres", déclare son collègue de parti, Bas Eickhout. "Il n’y a ni stratégie, ni vision", a ajouté pour sa part Claude Turmes, qui craint que les réformes timides empêchent le tournant énergétique.
Cet énorme projet législatif a suscité des réactions de représentants de la société civile et d’acteurs professionnels de différents secteurs.
"Ces propositions législatives sont faites pour pour les producteurs d’énergie polluante, par pour les citoyens européens", juge l'ONG écologiste Greenpeace. L’ONG déplore que les "capacités de paiement" prévues par le paquet feront que 95 % des centrales au charbon seront encore éligibles à ces subsides jusqu’en 2026. "La Commission semble déterminée à mettre la transition énergétique entre les mains des mêmes fournisseurs d’électricité qui depuis des décennies font du lobbying contre les renouvelables", avait déclaré en amont de la présentation, Tara Connolly, chargée de Campagne Energie. C’est scandaleux de plafonner la taille des coopératives énergétiques et de biaiser l’accès au marché au profit des inflexibles géants de l’industrie fossile. L’Europe ne sera pas à la hauteur de sa responsabilité climatique tant qu’elle ne permettra pas à ses citoyens d’accélérer la transition vers du 100% renouvelables".
La WWF est d’avis que le paquet "encore trop sale", qui espère notamment que le Conseil et le Parlement porteront à 40 % l’objectif d’efficacité énergétique, qui permettrait aux citoyens européens d’économiser 32 milliards d’euros par an en coûts de santé dûs à la pollution et d’obtenir 2,6 millions d’emplois. Elle déplore aussi qu’il soit désormais plus difficile pour les Etats membres de soutenir les énergies renouvelables.
Le Réseau européen d’action pour le climat (CAN) a dénoncé un paquet "terne" et "pas cohérent avec l’accord de Paris". "Alors que le monde entier est "en train de sauter sur le wagon des renouvelables, la Commission échoue à proposer des lois fortes pour accélérer la transition des énergies fossiles vers les renouvelables",a estimé Wendel Trio, directrice du réseau
Par contre, l’augmentation de 27 à 30 % de l’objectif en matière d’efficacité énergétique devrait servir de modèle pour retravailler la proposition.
Le CAN reproche à la Commission de revenir sur la priorité donnée aux énergies de renouvelables et d’avoir choisi une série de règles pour apaiser des Etats membres regardant dans le passé et des industries des énergies fossiles dépassées et nocives."
Dans un communiqué, OXFAM pense pour sa part que la Commission a cédé à l’industrie des agrocarburants au détriment des citoyens et de la planète.
Le Bureau européen des Consommateurs (BEUC) a salué la volonté de la Commission de clarifier et augmenter la qualité de l’information reçue par les consommateurs. Toutefois, il regrette la proposition d’éliminer les systèmes incitatifs des Etats membres qui assure aux citoyens d’obtenir des prix équitables pour la production d’ énergie renouvelable. Pour ce qui est du plan de travail Ecodesign, le BEUC est soulagé que la Commission l’intègre dans sa stratégie même s’il pense que la liste de produits aurait pu être plus longue.
La Confédération des constructeurs européens (EBC), regroupant des PME du secteur de la construction, salue le Paquet de la Commission. Le point important sera de donner les moyens aux ménages et aux entreprises de poursuivre les travaux de rénovation énergétique. Par contre, elle n’est pas d’accord avec la priorité suggérée pour la pauvreté énergétique, alors que tout citoyen devrait y avoir accès de la même manière.
Business Europe juge que le relèvement à 30 % de l’objectif en termes d’efficacité énergétique qui n’est "ni efficace en coût, ni réaliste".