Le 20 septembre 2013, l’Union européenne et Singapour ont paraphé le texte d’un accord de libre échange ("ALEUES"), disposant qu’il doit être conclu en tant qu’accord entre l’Union et la République de Singapour sans la participation des États membres.
Conformément à l’article 218, paragraphe 11, TFUE, la Commission européenne avait saisi la Cour en novembre 2014 d’une demande d’avis sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres au sujet de l’ALEUES. "La Cour peut résoudre une différence d’opinion continue entre la Commission et le Conseil sur l'interprétation du traité de Lisbonne, clarifier les procédures à suivre et améliorer la prévisibilité de l'UE envers nos partenaires commerciaux", avait alors dit le commissaire européen sortant en charge du Commerce, Karel De Gucht.
La question avait pris également de l’importance par la suite parce que le traité de libre-échange avec Singapour contient, comme le traité de libre-échange avec le Canada (CETA), un mécanisme de règlement des différends, et que la question de la mixité du CETA s’était ensuite également posée avant que la Commission ne renonce à le déclarer de la seule compétence de l’UE, sous la pression du Conseil, le 5 juillet 2016. Ainsi, le 15 juin 2016, le Conseil Ecofin, cherchant à convaincre la Commission de la mixité du CETA, avait-il fait savoir que l’"avis de la Cour de justice sur la nature juridique d'un projet d'accord de libre-échange avec Singapour sera pertinent pour l'accord avec le Canada".
La Commission soutient que l’Union est exclusivement compétente pour conclure l’accord. Le Parlement européen est globalement d’accord avec la Commission, tandis que "le Conseil et les gouvernements de tous les États membres qui ont soumis des observations écrites devant la Cour affirment que l’Union ne peut pas conclure l’accord seule parce que certaines parties de l’ALEUES relèvent de la compétence partagée voire de la compétence exclusive des États membres", indique la CJUE. Le Luxembourg fait partie des Etats membres qui étaient d’avis que le traité de libre-échange avec Singapour est un accord mixte. Seuls la Belgique, la Croatie, l’Estonie et la Suède, seuls pays à ne pas avoir fourni d’observations écrites, n’ont pas abondé dans ce sens.
Dans ses conclusions rendues le 21 décembre 2016, l’avocat général Eleanor Sharpston considère que l’accord de libre-échange avec Singapour ne peut être conclu que conjointement par l’Union et les États membres, ainsi que le rapporte le communiqué de presse de la CJUE.
L’avocat général observe qu’une procédure de ratification impliquant tous les États membres et l’Union "peut soulever certaines difficultés", mais considère que cet inconvénient ne saurait avoir une incidence sur la réponse à donner à la question de savoir qui est compétent pour conclure cet accord.
Pour analyser l’ALEUES, l’avocat général s’appuie sur les principes que la Cour a dégagés dans sa jurisprudence et qui ont été partiellement codifiés par le traité de Lisbonne en ce qui concerne les compétences exclusives de l’Union et les compétences partagées entre l’Union et les États membres, à la fois sur le plan interne (à l’intérieur du territoire de l’Union) et sur le plan externe (dans les relations de l’Union avec des pays tiers)
L'avocat général conclut que l'Union jouit d'une compétence externe exclusive en ce qui concerne les parties de l'ALEUES relatives aux matières suivantes :
L'avocat général conclut par contre que la compétence externe de l'Union est partagée avec les États membres en ce qui concerne les matières suivantes :
Par ailleurs, l'avocat général ajoute que, selon elle, l'Union n'a aucune compétence externe qui lui permettrait d'accepter d'être liée par la partie de l'ALEUES qui met fin à des accords bilatéraux conclus entre certains États membres et Singapour.Selon elle, cette compétence appartient exclusivement aux États membres concernés.
Si les juges de la Cour, qui doivent désormais délibérer, venaient à suivre l’avis négatif de l’avocat général, l’accord devrait être amendé (ou les traités révisés) avant de pouvoir entrer en vigueur.