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Commerce extérieur - Traités et Affaires institutionnelles
Pour l’avocat général Eleanor Sharpston, l’accord de libre-échange entre l’UE et Singapour est un accord mixte, et non de la compétence exclusive de l’UE comme le pense la Commission
21-12-2016


CJUELe 20 septembre 2013, l’Union européenne et Singapour ont paraphé le texte d’un accord de libre échange ("ALEUES"), disposant qu’il doit être conclu en tant qu’accord entre l’Union et la République de Singapour sans la participation des États membres.

Conformément à l’article 218, paragraphe 11, TFUE, la Commission européenne avait saisi la Cour en novembre 2014 d’une demande d’avis sur la répartition des compétences entre l’Union et les États membres au sujet de l’ALEUES. "La Cour peut résoudre une différence d’opinion continue entre la Commission et le Conseil sur l'interprétation du traité de Lisbonne, clarifier les procédures à suivre et améliorer la prévisibilité de l'UE envers nos partenaires commerciaux", avait alors dit le commissaire européen sortant en charge du Commerce, Karel De Gucht.

La question avait pris également de l’importance par la suite parce que le traité de libre-échange avec Singapour contient, comme le traité de libre-échange avec le Canada (CETA), un mécanisme de règlement des différends, et que la question de la mixité du CETA s’était ensuite également posée avant que la Commission ne renonce à le déclarer de la seule compétence de l’UE, sous la pression du Conseil, le 5 juillet 2016. Ainsi, le 15 juin 2016, le Conseil Ecofin, cherchant à convaincre la Commission de la mixité du CETA, avait-il fait savoir que l’"avis de la Cour de justice sur la nature juridique d'un projet d'accord de libre-échange avec Singapour sera pertinent pour l'accord avec le Canada".

La Commission soutient que l’Union est exclusivement compétente pour conclure l’accord. Le Parlement européen est globalement d’accord avec la Commission, tandis que "le Conseil et les gouvernements de tous les États membres qui ont soumis des observations écrites devant la Cour affirment que l’Union ne peut pas conclure l’accord seule parce que certaines parties de l’ALEUES relèvent de la compétence partagée voire de la compétence exclusive des États membres", indique la CJUE. Le Luxembourg fait partie des Etats membres qui étaient d’avis que le traité de libre-échange avec Singapour est un accord mixte. Seuls la Belgique, la Croatie, l’Estonie et la Suède, seuls pays à ne pas avoir fourni d’observations écrites, n’ont pas abondé dans ce sens.

Dans ses conclusions rendues le 21 décembre 2016, l’avocat général Eleanor Sharpston considère que l’accord de libre-échange avec Singapour ne peut être conclu que conjointement par l’Union et les États membres, ainsi que le rapporte le communiqué de presse de la CJUE.

L’avocat général observe qu’une procédure de ratification impliquant tous les États membres et l’Union "peut soulever certaines difficultés", mais considère que cet inconvénient ne saurait avoir une incidence sur la réponse à donner à la question de savoir qui est compétent pour conclure cet accord.

La répartition des compétences entre la Commission et les Etats membres, selon l’avocat général

Pour analyser l’ALEUES, l’avocat général s’appuie sur les principes que la Cour a dégagés dans sa jurisprudence et qui ont été partiellement codifiés par le traité de Lisbonne en ce qui concerne les compétences exclusives de l’Union et les compétences partagées entre l’Union et les États membres, à la fois sur le plan interne (à l’intérieur du territoire de l’Union) et sur le plan externe (dans les relations de l’Union avec des pays tiers)

L'avocat général conclut que l'Union jouit d'une compétence externe exclusive en ce qui concerne les parties de l'ALEUES relatives aux matières suivantes :

  •  les objectifs et les définitions générales ;
  • le commerce des marchandises ;
  • le commerce et les investissements dans la production d'énergie renouvelable ;
  • le commerce des services et les marchés publics, à l'exception des parties de l'ALEUES qui s'appliquent aux services de transport et aux services intrinsèquement liés aux services de transport ;
  • les investissements étrangers directs ;
  • les aspects commerciaux des droits de propriété intellectuelle ;
  • la concurrence et les questions connexes ;
  • le commerce et le développement durable dans la mesure où les dispositions en question ont essentiellement trait aux instruments de politique commerciale ;
  • la conservation des ressources marines vivantes ;
  • le commerce des services de transport ferroviaire et routier et
  • le règlement des différends ainsi que les mécanismes de médiation et de transparence dans la mesure où ces dispositions s'appliquent (et sont donc accessoires par rapport) aux parties de l'accord pour lesquelles l'Union jouit d'une compétence externe exclusive.

L'avocat général conclut par contre que la compétence externe de l'Union est partagée avec les États membres en ce qui concerne les matières suivantes :

  • les dispositions relatives au commerce des services de transport aérien, des services de transport maritime et des services de transport par voies et plans d'eau navigables, y compris les services intrinsèquement liés à ces services de transport ;
  • les formes d'investissement autres que les investissements étrangers directs ;
  • les dispositions relatives aux marchés publics dans la mesure où elles s'appliquent aux services de transport et aux services intrinsèquement liés aux services de transport ;
  • les dispositions relatives aux aspects non commerciaux des droits de propriété intellectuelle ;
  • les dispositions qui fixent des normes de base en matière de travail et d'environnement et qui relèvent du champ d'application soit de la politique sociale soit de la politique de l'environnement et
  • le règlement des différends ainsi que les mécanismes de médiation et de transparence dans la mesure où ces dispositions s'appliquent (et sont donc accessoires par rapport) aux parties de l'accord pour lesquelles l'Union jouit d'une compétence externe partagée.

Par ailleurs, l'avocat général ajoute que, selon elle, l'Union n'a aucune compétence externe qui lui permettrait d'accepter d'être liée par la partie de l'ALEUES qui met fin à des accords bilatéraux conclus entre certains États membres et Singapour.Selon elle, cette compétence appartient exclusivement aux États membres concernés.

Si les juges de la Cour, qui doivent désormais délibérer, venaient à suivre l’avis négatif de l’avocat général, l’accord devrait être amendé (ou les traités révisés) avant de pouvoir entrer en vigueur.