Principaux portails publics  |     | 

Emploi et politique sociale
Nicolas Schmit a exposé à la commissaire Marianne Thyssen pourquoi le Luxembourg conteste son projet de voir versées aux travailleurs frontaliers les indemnités de chômage directement par le Grand-Duché
03-02-2017


Nicolas Schmit et Marianne Thyssen à Bruxelles le 3 février 2017 (c) Union européenneLe 13 décembre dernier, la Commission européenne présentait une proposition de révision du règlement 883/2004 portant sur la coordination de la sécurité sociale. Une proposition qui avait aussitôt suscité de vives réactions au Luxembourg, notamment de la part du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Économie sociale et solidaire, Nicolas Schmit, qui avait annoncé son intention de rencontrer au plus vite la commissaire européenne en charge de l'Emploi, affaires sociales, compétences et mobilité des travailleurs, Marianne Thyssen, afin de discuter notamment des aspects portant sur la portabilité des indemnités de chômage. Cette rencontre a finalement eu lieu le 3 février 2017 à Bruxelles, et le ministre a tenu à faire le point avec la presse à son retour à Luxembourg.

Avant d’aborder ce dossier très sensible pour le Luxembourg, Nicolas Schmit a tenu à assurer le soutien du Luxembourg à la Commission "dans son projet de faire avancer une Europe sociale". S’il a tenu à souligner que le Luxembourg soutient "absolument" le pilier social sur lequel la Commission a commencé à travailler, notamment par le biais d’une large consultation saluée par le ministre, Nicolas Schmit a aussi signifié à la commissaire qu’il attendait désormais "des propositions concrètes" de la part de la Commission, et ce notamment dans le livre blanc qu’elle doit publier à l’occasion du 60e anniversaire des Traités de Rome, au mois de mars prochain. "Les mots ne suffisent plus", a insisté le ministre devant la presse. Il a plaidé pour "une feuille de route" visant à "protéger les gens", notamment en vue des grands changements qui s’annoncent en matière de droit du travail du fait de la digitalisation. "Certes, je comprends qu’il soit difficile de faire un nouveau traité social", a reconnu Nicolas Schmit, mais il ne saurait se contenter désormais "d’une belle déclaration". Il a rapporté que la Commission travaille à des propositions concrètes, notamment en menant une réflexion sur les conditions de travail, ainsi que sur le partage vie professionnelle / vie familiale.

Nicolas Schmit a aussi évoqué la question de la réforme de la directive détachement, un dossier "très important" et "difficile". "Le détachement conduit de plus en plus à des abus, y compris au Luxembourg", a dénoncé une fois de plus le ministre qui s’inquiète de voir "le risque de dumping social s’accentuer", ce qui implique "une concurrence déloyale pour entreprises qui respectent les règles". Face à la forte opposition d’un certain nombre de pays aux projets de réforme de la Commission, Luxembourg a insisté pour qu’une solution soit trouvée car le dossier "alimente l’euroscepticisme, ainsi que les forces populistes".

"Le système actuel fonctionne et ne freine pas la mobilité", estime Nicolas Schmit qui conteste le projet de la Commission de modifier les règles portant sur les indemnités de chômage pour les frontaliers

En ce qui concerne les projets de la Commission visant à réviser le règlement 883/2004 sur la coordination de la sécurité sociale, Nicolas Schmit a souligné tout d’abord que le Luxembourg n’était pas demandeur, comme d’autres pays, d’une indexation des allocations familiales qui seraient alignées sur le coût de la vie du lieu de résidence des enfants, s’il diffère du lieu où vivent et travaillent les parents.

Ce qui représente "le plus gros problème" pour le Grand-Duché en revanche, c’est le projet de modifier les règles portant sur les indemnités de chômage pour les frontaliers.

Actuellement, a rappelé le ministre, un travailleur frontalier qui perd son emploi s’inscrit auprès de l’agence pour l’emploi de son pays de résidence qui lui verse aussi son indemnité de chômage. En vertu d’un règlement spécial, les pays voisins demandent au Luxembourg le remboursement de 3 mois de chômage, tandis que les autres pays peuvent obtenir le remboursement de 5 mois d’indemnités.

Or, la Commission propose maintenant que frontaliers touchent leur chômage intégralement au Luxembourg, ce que le Luxembourg conteste pour différentes raisons, a expliqué le ministre. D’une part, un travailleur frontalier qui a travaillé au Luxembourg, ne peut être forcé à y chercher un nouvel emploi. Et rien ne peut garantir qu’il cherche du travail ici, estime le ministre qui est d’avis que l’on ne peut l’obliger à venir chaque mois à l’ADEM comme doivent le faire les résidents. Pour le Luxembourg, il n’est possible de donner une indemnité de chômage que si les gens coopèrent sérieusement avec l’ADEM, font les efforts nécessaires et acceptent les mesures proposées, a expliqué le ministre.

"Il y a un problème de contrôle", a-t-il souligné en donnant aussi comme hypothèse celles de personnes qui pourraient avoir trouvé un emploi dans un autre pays sans que le Luxembourg n’en soit informé. "La coopération administrative ne fonctionne pas bien", s’inquiète le ministre qui souligne que tous les pays n’ont pas de système centralisé et qu’il n’y a aucune assurance qu’un contrôle peut fonctionner. En d’autres termes, le ministre est d’avis que le système proposé ne peut être mis en œuvre au Luxembourg vu le nombre de frontaliers : "le problème dépasse notre capacité administrative", a encore indiqué Nicolas Schmit. Il est d’autant plus opposé à cette proposition que, selon lui, "le système actuel fonctionne et ne freine pas la mobilité". Il a évoqué la possibilité d’augmenter la durée pendant laquelle le Luxembourg pourrait rembourser les indemnités perçues chez les pays voisins.

Autant de réserves entendues par la Commission, qui, a rapporté Nicolas Schmit, prend en compte la situation spécifique du Luxembourg et est consciente de l’importance du dossier pour le Grand-Duché. En pratique, les premiers échanges au niveau ministériel sont prévus pour le mois de mars, a précisé Nicolas Schmit.

Dans un entretien au Luxemburger Wort, Marianne Thyssen a confirmé qu’elle comprenait les spécificités de la situation luxembourgeoise. Mais elle a aussi rappelé qu’il lui importait de "mettre en œuvre le principe selon lequel les prestations sociales sont versées là où l’employé paie ses impôts, ce qui n’est que justice". Elle a toutefois concédé qu’elle partageait les inquiétudes de Nicolas Schmit en ce qui concerne la mise en œuvre pratique. "Il doit y avoir des possibilités de contrôle pour mettre ses règles en pratique", a-t-elle reconnu avant d’annoncer que les discussions allaient se poursuivre afin d’assurer que cela soit possible, car il n’est pas non plus dans l’intérêt de la Commission qu’il y ait des abus.