Une majorité écrasante de députés, toutes tendances confondues, s'est prononcée en faveur du nouveau traité.
J'aimerais également remercier le gouvernement et le Parlement luxembourgeois pour le soutien qu'ils ont apporté à ce traité tout au long du processus de négociations et pour son approbation. Désormais, ce sont quinze Etats membres qui ont d'ores et déjà parachevé leur processus parlementaire et j'espère que les Etats membres restants suivront dès que possible.
Le 29 mai 2008, la Chambre des députés du Luxembourg a ratifié le traité de Lisbonne avec 47 voix contre 1 voix et 3 abstentions. 9 députés sur 60 étaient absents lors du vote. Les orateurs des groupes parlementaires chrétien-social, vert et libéral ainsi que le Premier ministre Jean-Claude Juncker ont salué le travail et l’engagement européen du rapporteur du projet de loi, le socialiste Ben Fayot, qui "a donné des tranches entières de sa vie à la cause européenne". (Juncker)
Ben Fayot (LSAP), le rapporteur du projet de loi, a retracé les principales innovations du traité de Lisbonne, qui présente à ses yeux trois grandes avancées en termes de démocratisation. Premièrement, il inscrit les droits des citoyens européens dans la Charte des droits fondamentaux, et instaure le principe de l’initiative citoyenne. Deuxièmement, il revalorise le Parlement européen en instaurant la codécision comme la procédure législative normale. Le renforcement du rôle des parlements nationaux, qui seront directement impliqués dans le processus décisionnel de l’UE, est aux yeux de Ben Fayot "un autre aspect de la démocratisation de l’Union". Ils devront notamment veiller à ce que le principe de subsidiarité soit bien respecté par les propositions législatives européennes. D’autres innovations du traité de Lisbonne concernent l’institutionnalisation du Conseil européen, qui aura un président, la simplification du vote Conseil des ministres, où la majorité qualifiée deviendra la règle, ou encore la diminution du nombre de commissaires européens à un nombre égal à deux tiers des Etats membres.
Ben Fayot a toutefois soulevé certaines critiques quant à la mise en œuvre du nouveau traité. Pour lui, c’est "une ironie de l’Histoire" qu’un traité constitutionnel, qui a été rédigé d’une manière démocratique et qui avait suscité de nombreuses discussions ait échoué, alors qu’un traité traditionnel qui n’a pas engendré de véritable débat pourra être accepté.
Ben Fayot s’est interrogé sur les conséquences que pourraient engendrer les opt-outs du Royaume Uni et de la Pologne par exemple de la Charte des droits fondamentaux. "Nous suivrons avec un grand intérêt ce qui se passera lorsque la Cour de Justice de la Communauté européenne sera saisie d’affaires où des citoyens des deux pays opt-out seront impliqués", dit-il. Plus loin, Ben Fayot s’est également demandé comment le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le président du Conseil européen s’accommoderont, puisque tous les deux auront des attributions dans le domaine des affaires étrangères.
Quant au rôle de gardien du principe de subsidiarité que le traité de Lisbonne confère aux parlements nationaux, Ben Fayot a estimé qu’il "ne doit pas être vu comme une arme contre l’Union européenne", le contrôle ne devant pas être confondu avec de l’obstruction. Les parlements devraient bien plus se doter des moyens pour pouvoir assumer leurs tâches en bonne et due forme. Fayot a insisté sur le rôle que jouera la COSAC (Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires et Européennes des Parlements de l'Union européenne) dans ce contrôle du principe de subsidiarité.
L’Europe sociale fut un autre sujet abordé par le député socialiste, pour qui les instruments européens de la politique sociale entrent souvent en conflit avec les instruments de la politique de concurrence. "C’est la CJCE qui fait la politique, car la politique ne réussit pas à la faire elle-même", fustigea-t-il, en faisant référence aux trois arrêts Laval, Viking et Rüffert que la Cour a prononcés récemment. Pour Fayot, ces arrêts ont apporté des décisions importantes, qui ont mécontenté les syndicats européens et luxembourgeois. Il a également rappelé que la Commission européenne a entamé une procédure contre le Luxembourg devant la CJCE, en lui reprochant d'avoir procédé à une transposition incorrecte de la directive 96/71 sur le détachement de travailleurs d'un Etat membre à un autre. "C’est une affaire compliquée, qui peut avoir de grandes conséquences pour le Luxembourg", a souligné le député.
Ben Fayot a conclu son discours en adressant des recommandations à la Chambre des députés. Tout d’abord, il a estimé que "l’intégration européenne est la matrice du Luxembourg moderne. (..) Tout comme nous ne remettons pas en question notre démocratie lorsque nous avons un problème politique, nous ne devons pas et nous ne pouvons pas remettre l’Europe fondamentalement en question, lorsqu’on n’est pas d’accord sur quelque chose", a-t-il insisté.
Fayot a ensuite considéré que le Luxembourg devra s’engager davantage pour l’Europe. "L’Europe, c’est ce que ses Etats membre en font. Nous devons être présents en Europe", a-t-il conclu, en lançant un appel aux députés, qu’ils se rendent compte de leur responsabilité "en ce qui concerne notre engagement en Europe".
Pour le député social-chrétien Laurent Mosar, le traité de Lisbonne « n’a pas atteint la même charge symbolique que le traité constitutionnel », mais il permettra toutefois à une Union européenne élargie de mieux fonctionner et de travailler d’une manière plus efficace.
Lorsque Mosar a remis en question les élargissements éventuels de l’Union européenne vers des pays comme la Turquie, pays situé selon lui sur une ligne de fracture entre islam et chrétienté, ou celle de certains pays des Balkans occidentaux, il a été sévèrement interpellé par le Premier ministre Jean-Claude Juncker, qui a marqué à haute voix son désaccord. Juncker est revenu par la suite dans son intervnetion sur le fait que son parti, le CSV, n’avait jamais retenu la religion comme un critère d’adhésion à l’Union européenne.
Pour Laurent Mosar, l’Union européenne devra recentrer ses priorités politiques sur des sujets comme l’immigration et la sécurité. Il a fermement condamné l’immigration clandestine et incontrôlée de ressortissants de pays tiers dans l’Union européenne. "L’Union européenne mène depuis longtemps une politique d’immigration restrictive", a-t-il avancé, "et cela doit rester ainsi. Nous ne pouvons pas garder nos portes grandes ouvertes.". Le principe de la préférence communautaire devra à ses yeux, et cela surtout en vue du problème de chômage - 8 % des citoyens européens n’ont pas d’emploi - être appliqué de manière systématique.
"Pour le Luxembourg, l’Europe sociale a toujours été une priorité", a souligné par ailleurs le député CSV. "Le traité de Lisbonne ne contient pas un programme en la matière, mais il constitue un réel progrès."
Laurent Mosar a finalement abordé la question du principe de subsidiarité. Pour lui, le traité de Lisbonne entraînera de nouvelles responsabilités pour les parlements nationaux. Toutes les commissions parlementaires devront désormais s’occuper de dossiers européens. Mosar a cependant mis en garde contre le risque d’abuser le principe de subsidiarité comme un mécanisme d’obstruction. "Si nous voulons donner des compétences politiques concrètes à l’UE, nous ne devons pas l’empêcher d’en user", a-t-il insisté. Et de conclure : "Le traité de Lisbonne présente un grand avantage : il n’est pas coulé dans du béton, mais il est amendable. C’est pourquoi mon parti votera pour le traité de Lisbonne."
Pour Charles Goerens (DP), la lutte contre le changement climatique, le développement de la sidérurgie, l’égalité entre les hommes et les femmes et la paix sont autant d’acquis qui n’auraient pas été possibles sans l’impulsion de l’Union européenne. Pour Goerens, il n’existe pour le Luxembourg pas d’alternative au projet européen, synonyme pour lui de "prospérité, de paix et de démocratie ». Parmi les principales avancées du traité de Lisbonne, Charles Goerens a surtout relevé la possibilité pour un Etat d’entrer et de sortir de l’Union européenne, regrettant que certains pays, qui empêchent l’Europe de tourner en rond, n’en fassent pas plus amplement usage.
A ceux qui plaident pour une Europe plus sociale, Charles Goerens a envoyé le message suivant : "Si la dimension sociale est aujourd’hui le parent pauvre de l’Europe, ce n’est pas de la faute de l’Europe, mais plutôt des Etats membres", a-t-il tenu à rectifier en faisant référence à certains pays comme par exemple l’Allemagne. Selon Charles Goerens, il faut davantage expliquer aux citoyens le processus d’intégration européenne, qui contrairement à l’Etat nation, doit sans cesse affirmer les bases de sa légitimité politique.
Concernant la tenue d’un référendum sur le traité de Lisbonne, Charles Goerens, a estimé qu’il faut tirer des enseignements de notre passé et se méfier de ce type de démocratie directe. Si au début des années 50, on avait eu recours au référendum pour décider de l’adhésion de l’Allemagne à la CECA, cela aurait été un échec, et "l’Europe aurait manqué une des plus grandes opportunités" en refusant l’adhésion d’une Allemagne dont on se méfiait encore profondément à l’époque.
Finalement il a estimé qu’il faut tirer des enseignements de l’histoire du Luxembourg, "où chaque étape a montré que l’ouverture à l’altérité est importante" et de ne pas se laisser dérouter par des craintes collectives.
Felix Braz, des Verts, a retracé les déficiences du traité de Lisbonne par rapport au projet de Constitution : le retour à la méthode intergouvernementale, un texte illisible, des débats qui n’ont pas abouti à une séparation des listes électorales nationales et européennes et une polémique menée par les partis de gauche en France qui n’a pas réussi à donner de nouvelles impulsions au traité. Le bilan de Braz : "Le traité constitutionnel avait un meilleur goût et me plaisait mieux.". Aujourd’hui, force est pourtant de constater, selon lui, que cette comparaison est désuète. Car voter contre le traité de Lisbonne signifie aujourd’hui, retourner vers le traité de Nice. En donnant des bases légales à la lutte contre le changement climatique et la politique énergétique européenne, le traité de Lisbonne, apporte selon Braz deux avancées significatives. Un seul regret : que le traité Euratom ait été maintenu.
Autres avancées significatives selon Braz : la politique de sécurité et de défense commune qui permet à l’Europe de devenir plus autonome sur la scène internationale. Il a regretté que les responsables politiques n’aient pas encore saisi les bienfaits de l’immigration pour un continent qui se caractérise par un recul du taux de natalité. Pour Felix Braz, l’élargissement de l’Europe est un thème qui fait ressortir les préoccupations des jeunes, avec lesquels il faut discuter patiemment pour les convaincre de la nécessité et des bénéfices de l’élargissement. Il a insisté sur la nécessité d’engager un dialogue avec d’autres Etats comme la République turque, pays aux confins de deux continents et de deux civilisations, qui pourrait constituer un pont "en or" entre les civilisations occidentale et orientale.
Ce fut ensuite au tour des eurosceptiques d’exprimer leurs points de vue. Jacques-Yves Henckes (ADR) s’attaqua au "refoulement de toute discussion et de tout sujet de litige qui touche l’Europe avant la tenue du référendum irlandais le 13 juin prochain". Il accusa la Chambre de craindre le dialogue avec les citoyens sur l’Europe. Parmi ces sujets, il identifia l’engrenage militaire dans lequel le Luxembourg sera pris s’il entre dans la logique de la coopération pour la défense prévue par le nouveau traité, les dépenses militaires excessives que ce type d’engagement entraînera. Il dénonça également "la pression qui est constamment exercée sur le Luxembourg en matière fiscale" et reprocha au gouvernement d’avoir abandonné des positions stratégiques sur ce point. Il s’en prit à la Cour de Justice européenne qu’il soupçonne d’être le fer de lance d’une nouvelle forme de dumping social. L’Europe qu’il déclara refuser est celle qui oblige selon lui des pays comme l’Autriche à importer du blé génétiquement modifié contre la volonté du gouvernement national. Pour Henckes, l’élargissement peut être discuté, mais pour son parti, l’adhésion de la Turquie est hors de question. "Les 100 millions de Turcs ne font pas partie de l'Europe", déclara le député ADR. Et de proposer que soit inscrite dans la Constitution le principe que pour tout changement dans le traité européen, un référendum soit désormais organisé et 5 députés devraient suffire pour porter plainte contre des infractions au principe de subsidiarité. Conclusion : les 3 députés présents de l’ADR allaient s’abstenir lors du vote. Le député indépendant et ancien député ADR Aly Jaerling contesta que la Chambre des députés ait un mandat pour ratifier le traité de Lisbonne et motiva ainsi son vote, le seul, contre le traité.
Dans sa réplique aux députés, le Premier ministre, Jean-Claude Juncker, expliqua qu’en matière européenne, "il faut se déterminer globalement si l’on veut avancer à 27 Etats membres et plus", et donc ne pas s’attarder sur de petits désaccords. Se déclarant "partisan de la démocratie représentative", il récusa les critiques qui contestent la légitimité démocratique d’un vote de ratification par la Chambre des députés. Cela est selon lui d’autant plus juste qu’il y a eu en juillet 2005 un référendum qui a accepté le traité constitutionnel, dont les éléments essentiels ont été repris dans le traité de Lisbonne, et que de ce fait, gouvernement et parlement disposent d’un mandat populaire supplémentaire.
Juncker a jugé que désormais, "le débat sur l’Union européenne est nettement plus consensuel que dans les années 90" et il a mis entre autres en relief l’action des députés libéraux Colette Flesch et Charles Goerens, qui ont toujours été dans leur parti des défenseurs conséquents de l’intégration européenne.
N’esquivant pas les questions soulevées par la coopération en matière de défense prévue par le traité de Lisbonne, il a déclaré que "le budget de la défense ne va pas exploser à moyen terme, mais l’accès à cette coopération en matière de défense nécessaire pour que la voix du pays puisse compter en Europe ne sera pas gratuit. Il nous faudra donc dépenser plus pour participer à un effort de défense qui est en fait un effort en faveur de la paix."
Le traité de Lisbonne n’est pour Juncker qu’un traité. Son contenu dépendra des politiques qui seront élaborés sous son égide. "Et ces politiques sont élaborées", a-t-il insisté, "par les gouvernements qui se réunissent à Bruxelles. Ce n’est pas Bruxelles qui décide. Les gouvernements, dont le nôtre, participent aux décisions de Bruxelles." A ce sujet, il a répliqué à l’ADR en expliquant que le Luxembourg disposera, dans le cadre du vote à la majorité qualifiée qui passe par une double majorité, d’une voix d’abord en tant qu’Etat, comme tout autre Etat membre, lorsque dans un premier tour on constate combien d’Etats sont pour ou contre une proposition. Ce n’est qu’ensuite, à l’épreuve de l’importance de la population des Etats votants, que son vote aura, en toute logique, moins de poids. A l’argument de la pression sur les questions fiscales, il répliqua que sous un angle négatif, rien ne peut être changé en matière fiscale sans unanimité, mais que par ailleurs, sous un angle positif, si l’on veut changer quelque chose, l’on ne peut le faire qu’ensemble avec les autres Etats membres.
Parole fut donnée en dernier lieu au ministre délégué aux Affaires étrangères, Nicolas Schmit, qui argumenta que le traité de Lisbonne était devenu un bon traité parce qu’entre autres, le gouvernement luxembourgeois, par le référendum et une motion de la Chambre des députés, avait été dûment mandaté pour défendre des éléments essentiels du traité constitutionnel et avait donc pu contribuer dans ce sens au texte. Anticipant le renforcement des parlements nationaux et l’implication croissante de la Chambre des députés dans le processus de décision européen, le gouvernement signera avec la Chambre un protocole d’accord sur leur coopération sur les questions européennes, un protocole dont Schmit pense qu’il aboutira sur plus de participation et plus de démocratie. De retour de Croatie qui est un pays candidat à l’adhésion et où il avait effectué une visite de travail la veille, Nicolas Schmit plaida pour l’élargissement. "En Croatie, pays où les Luxembourgeois aiment passer leurs vacances du côté de Dubrovnik, l’on oublie qu’il y a moins de 15 ans, cette ville était pilonnée et en partie détruite par les obus serbes. Aujourd’hui, grâce à la perspective européenne, les changements sont perceptibles. Majorité et opposition entretiennent des rapports pacifiques, les Serbes regagnent leurs maisons dont ils avaient été chassés, un vice-premier ministre est même serbe, le traitement des minorités est satisfaisant. Bref, l’Europe reste un grand projet de paix."