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Emploi et politique sociale
Heure d’actualité à la Chambre des députés sur l’arrêt de la CJCE sur la directive "détachement" : Députés et ministre ont débattu de la meilleure manière d’affirmer la dimension sociale de l’Union européenne
Biltgen : contre un compromis avec la Commission au nom de l’Europe sociale
08-07-2008


Le 8 juillet 2008, a eu lieu à la Chambre des Députés une heure d’actualité demandée par le groupe politique des Verts sur l’arrêt de la CJCE contre la manière dont le Luxembourg a transposé la directive "détachement des travailleurs".

Pour les Verts, "l’arrêt de la CJCE aurait pu être évité si le gouvernement avait été plus prudent"

La députée Viviane Loschetter avait été désignée par les Verts pour exprimer les préoccupations de son parti après un arrêt de la CJCE qui a suscité des discussions publiques, des manifestations syndicales et des questions sur la manière dont l’Europe sociale est faite et défaite, de sorte que "la situation est devenue insupportable pour ceux qui veulent rapprocher l’Europe des citoyens".

La députée a constaté que des directives qui avaient été conçues pour renforcer les garanties sociales ont depuis subi des interprétations très libérales par la CJCE, de sorte que le Luxembourg doit dorénavant faire plus attention. Mais la députée n’a pas seulement voulu charger la CJCE et la Commission, qui a attaqué le Grand-Duché devant la CJCE, mais aussi le Conseil, qui légifère, et où siègent les ministres des Etats membres. D’où la nécessité pour elle que la Chambre participe dorénavant de plus en plus à l’élaboration de la politique européenne.

Elle a rappelé les questions que le député vert européen Claude Turmes a posées à la Commission au Parlement européen - "Est-ce que l’interprétation de la directive sur le détachement des travailleurs exclusivement à partir des principes du marché intérieur est-elle conciliable avec la prétention de l’Union européenne en matière de politique sociale ? Ne devrait-on pas inclure dans la directive des principes en matière de droit du travail et de droit social ? Ne faudrait-il pas définir plus clairement, dans la directive "détachement", pour combien de temps des travailleurs peuvent être détachés dans un autre Etat membre de l’Union européenne ?" - pour souligner que tant les traités européens en vigueur actuellement que le traité de Lisbonne avec sa clause sociale pouvaient servir de fondement à un meilleur équilibre entre les exigences du marché intérieur et la protection sociale des travailleurs.

Loschetter a ensuite vivement critiqué le gouvernement et déclaré que "l’arrêt de la CJCE aurait pu être évité si le gouvernement avait été plus prudent" et exigé que les lois locales soient adaptées tout en gardant l’essentiel. Elle a aussi exigée que la directive "détachement" soit améliorée au niveau européen et que la Chambre devait être informée par le ministre du Travail et de l’Emploi comme par les autres membres du gouvernement sur leurs démarches européennes.

Pour Marcel Glesener, François Biltgen a suffisamment informé la Chambre sur son contentieux avec la Commission devant la CJCE

Pour Marcel Glesener (CSV), la Commission a en effet montré qu’elle a une autre interprétation de l’Europe sociale que le Luxembourg. Pour l’ancien syndicaliste, la transposition de la directive « détachement » s’est faite "en tenant compte de notre histoire sociale". Dès 2004, le ministre Biltgen avait informé la Chambre sur les procédures engagées par la Commission et qu’il n’avait pas réagi à la mise en demeure de la Commission parce que le gouvernement était d’avis qu’il était dans son droit. Depuis la date de l’arrêt, le 19 juin 2008, le ministre a rencontré deux fois la commission compétente en matière de droit du travail de la Chambre et a présenté un avant-projet de loi qui devrait permettre au Luxembourg « de s’en sortir » sans qu’il y soit porté atteinte aux fondamentaux de son droit social, ni en ce qui concerne les conventions collectives ni en ce qui concerne l’indexation des salaires, ni en ce qui concerne l’efficacité des inspections de l’Inspection du Travail et des Mines (ITM).       

Le droit social n’a pas été remis en cause selon Alexandre Krieps

Le député libéral Alexandre Krieps a qualifié toutes ces discussions de "moutarde après dîner", même si l’arrêt aura des répercussions sur l’ITM et l’indexation des salaires et aura "produit auprès des citoyens l’image d’une Europe antisociale". Pourtant, la CJCE est aussi pour Krieps l’institution qui est connue pour le droit social qu’elle a créé par sa jurisprudence et, citant à ce propos le ministre Biltgen, une CJCE qui n’a finalement pas remis en cause le droit social et du travail national.

Ben Fayot : "La Commission européenne n’a pas attaqué le Luxembourg par hasard, car elle veut le marché intérieur à tout prix"

Porte-parole des socialistes, le député Ben Fayot a également admis que l’arrêt de la CJCE ne remettait pas en cause l’Europe sociale, mais qu’il fallait néanmoins défendre cette Europe sociale, afin que la concurrence sauvage et les pures lois du marché ne vident pas notre modèle social de ses contenus. Car les derniers arrêts de la CJCE (Viking, Laval, Rüffert et sur le détachement des travailleurs au Luxembourg) que l’ont peut selon Fayot estimer contraires à l’objectif d’une économie sociale de marché, montrent un revirement. Elles font entrer les politiques sociales nationales en conflit avec les principes de la libre circulation des services, et considèrent les minima sociaux comme des maxima sociaux. Si la Commission européenne a attaqué le Luxembourg, ce n’est pas un hasard, "car elle veut le marché intérieur à tout prix".

Henckes : l’arrêt mène au dumping social et à la concurrence déloyale

Jacques-Yves Henckes (ADR) a répété ses griefs contre le gouvernement qu’il avait déjà avancés lors d’une conférence de presse le 4 juillet dernier : Comment les contrôles de l’ITM seront-ils désormais possibles ? Les portes ne sont-elles pas maintenant ouvertes au dumping social contre les travailleurs luxembourgeois et à la concurrence déloyale contre les entreprises luxembourgeoises ? Pour Henckes, le gouvernement aurait dû dialoguer avant avec la Commission et il a jugé que c’était "scandaleux" que le gouvernement n’ait pas réagi à l’avis motivé de la Commission.

Biltgen : contre un compromis avec la Commission au nom de l’Europe sociale

Cette remarque suscita la colère du ministre du Travail et de l’Emploi Biltgen qui se trouvait, pour répondre aux députés, sur les bancs du gouvernement. Pour le ministre, qui a récusé les reproches formulés contre lui par les Verts, tout avait déjà été dit dans sa réponse à la question parlementaire de Ben Fayot. Tout le débat se déroule selon Biltgen autour de la question : "De quelle Europe sociale avons-nous besoin ?"

C’est pourquoi François Biltgen n’a pas voulu plaider auprès de la Commission pour éviter une condamnation. Car pour le ministre, la libre prestation des services doit être tempérée par les droits sociaux fondamentaux. La directive "détachement" est le résultat d’un tel débat. Elle aborde les questions du temps de travail, du salaire minimum, de la sécurité sociale et de la santé. Tout Etat membre peut aller au-delà de la directive en invoquant son ordre public social national. Si le ministre avait fait des concessions à la Commission, il aurait selon lui "abandonné ce concept d’ordre public social national". Il est vrai que le Luxembourg "a transposé la directive à 110%" et maintenant, après l’arrêt, "il faut qu’un débat sur les relations entre libertés fondamentales du Traité et droits fondamentaux, entre ordre public social national et ordre juridique communautaire soit lancé", avec la Commission, avec le Parlement européen, avec le Conseil, avec les partenaires sociaux. Ce débat sera entamé dès jeudi 10 juillet à la réunion informelle des ministres chargés du travail et des politiques sociales à Chantilly. Il sera continué par le Forum social que la Commission a annoncé ensemble avec son "agenda social renouvelé" et qu'elle a prévu d’organiser en octobre 2008.            

C’est pourquoi un compromis avant l’arrêt était inacceptable pour un Biltgen qui a avancé quelques éléments de sa démarche. D’abord, il ne faudra pas parler de la durée d’un détachement, mais de la nature d’un détachement. Ensuite, la coopération internationale après les contrôles n’est pas acceptable, car elle a lieu après coup. Et en ce qui concerne les conventions collectives, il faudra aller avec les syndicats dans le sens d’un plus grand nombre de ces conventions collectives sectorielles qui seront d’application générale. Le ministre a conclu qu’il était prêt à accepter un blâme pour n’avoir pas cherché la conciliation avec la Commission, parce qu’il n’a effectivement pas voulu cette conciliation. Le Luxembourg était pour lui dans son droit et il s’agissait d’obtenir le maximum dans le contexte. Et pour lui, le combat pour une Europe sociale n’a pas cessé.