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Compétitivité - Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
En route pour Lisbonne (III) : Les défis de la globalisation, un défi à la politique et aux réformes économiques dans l’Union européenne
09-12-2008


Ann Mettler : du "pourquoi" vers le "comment" des réformes dans le cadre de la stratégie de Lisbonne

Après les introductions officielles dans les travaux du colloque du CRP Tudor sur la stratégie de Lisbonne (voir notre article), Ann Mettler, citoyenne allemande et suédoise s’exprimant en anglais américain, plaça, en sa qualité de directrice exécutive et cofondatrice du "Lisbon Council", le débat dans un contexte d’une nécessaire appropriation de la stratégie de Lisbonne par les citoyens. Sa thèse : les décideurs politiques et les analystes économiques européens doivent passer du "pourquoi" au "comment" lorsqu’ils expliquent pourquoi les réformes sont nécessaires, afin de montrer aux citoyens qu’elles peuvent être réalisées. Pour cela, ils devront adopter un nouveau vocabulaire, développer des visions, nommer des "ambassadeurs" qui fassent preuve de charisme et d’engagement quand ils portent leur message vers les citoyens. Les réformes impliquent une action durable, coopérative et cohérente, et ceux qui les défendent doivent arriver à prendre l’initiative médiatique. Après 2010, quand la stratégie de Lisbonne sera révisée, elle devra être plus intéressante, plus visible et plus pertinente pour la vie quotidienne des simples citoyens.

D’où les axes réformateurs proposées par Ann Mettler : impliquer les citoyens, innover dans les domaines économique et social, donner la priorité au consommateur de produits, mais surtout de services notamment publics (éducation, santé et transports) plutôt qu’au producteur, investir dans l’éducation, la qualification et le capital humain, miser sur le développement durable et la productivité, intégrer l’immigration indispensable au fonctionnement des économies européennes. Mettler plaide en fait pour une Europe qui doit cesser de récompenser la médiocrité au risque que rien ne change, pour plus de passion dans le débat public, pour que l’on passe d’un agenda de la peur à un agenda d’idées et de projets, qui encourage l’esprit pionnier et l’expérimentation. Sa thèse centrale : "La modernisation le peut pas avancer en dehors du monde. Aucun changement sociétal profond ne sortira des échanges et rencontres élitistes et universitaires, et dans une démocratie, le futur est débattu par la majorité, et non pas par quelques uns."       

Lorenzo Codogno : le Lisbon Methodology Working Group, créé pour rendre la stratégie de Lisbonne plus opérationnelle

Lorenzo Codogno, directeur général du Département Trésor du Ministère de l’Economie et des Finances italien et Président du "Lisbon Methodology Working Group" (LIME), a présenté la contribution que fournit ce groupe de travail à la réalisation de la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. LIME a commencé à travailler dès février 2007, à l’intérieur du "Economic Policy Committee" ou EPC de la Commission européenne.  D’après Lorenzo Codogno, l’idée qui avait motivé la création d’un tel groupe de travail fut de rendre la stratégie de Lisbonne plus opérationnelle. Initialement, le groupe de recherche poursuivait trois objectifs différents : induire le progrès par des réformes structurelles dans les Etats membres, identifier des politiques favorisant une croissance économique et trouver de nouvelles solutions en évaluant les réformes structurelles déjà en cours. Dans les années à venir, le LIME devra, selon l’expert italien, se concentrer sur deux sujets essentiels : développer des cadres transparents et analytiques pour évaluer le processus et développer des approches analytiques pour quantifier les éléments macroéconomiques et microéconomiques.

Lorenzo Codogno s’est ensuite attaché au prochain cycle de la stratégie de Lisbonne, qui sera celui d’après-2010. Selon le directeur, le "succès de l’après 2010 dépendra surtout de l’accélération des réformes d’avant 2010". Il a estimé que les responsables politiques et économiques devront "se dépêcher pour obtenir des résultats tangibles avant la fin théorique de la stratégie de Lisbonne en 2010". Afin d’arriver à ces résultats tangibles, Lorenzo Codogno a prêché de se focaliser davantage sur quelques priorités bien spécifiées. Parmi ces priorités, il a cité la réalisation d’un marché du travail unique, la croissance de la compétitivité du marché des services et de la production, l’intégration complète du secteur financier, la création d’un marché intérieur de l’énergie, ainsi que l’innovation dans les domaines de l’éducation et de la recherche.

Lionel de Fontagné : le modèle LSM a aidé à analyser les effets macroéconomiques entraînés par des réformes microéconomiques sur le Luxembourg

Lionel de Fontagné, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, a présenté dans son intervention le modèle "Luxembourg Structural Model", ou encore LSM, qu’il a développé en coopération avec Massimiliano Marcellino et Marco Maffezoli. Ce modèle leur a servi de base pour analyser les répercussions macroéconomiques des réformes microéconomiques entraînées par la stratégie de Lisbonne sur la situation luxembourgeoise. "L’idée était de créer un outil qui aide à réfléchir sur des sujets complexes que l’intuition humaine seule ne permet pas de cerner dans tous les aspects", a expliqué Lionel de Fontagné.

Quatre groupes économiques furent inclus dans le modèle d’étude : le gouvernement, les syndicats, les entreprises et les ménages. Les chercheurs ont réalisé trois simulations différentes. La première consistait à simuler une augmentation d’1 % de la productivité globale des facteurs (PGF). La PGF est l'accroissement relatif de richesse qui n'est pas expliquée par l'accroissement d'un usage des facteurs de production. Le deuxième exercice du modèle fut d’analyser la politique d’augmentation ou de réduction des marges du secteur intermédiaire, et le troisième exercice du LSM a simulé une réduction de 5 % du taux de remplacement des chômeurs. Sans aller dans le détail, Lionel de Fontagné a constaté qu’ "au Luxembourg, la politique de la concurrence apporte des résultats considérables". Pour l’avenir, il a préconisé de cibler davantage les discussions sur les responsabilités économiques et politiques dans la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne.

Gabriel Crean : L’intégration des centres de recherches européens de Technologie est nécessaire pour assurer leur compétitivité sur la scène mondiale

Gabriel Crean, Vice-président de l’Athlone Institute of Technology et professeur, a présenté un projet de recherche en technologies dans lequel il a participé. En été 2007, l’EIT, l’Institut européen pour l’Innovation et les Technologies, qui appartient à la Direction Générale "Education et Culture" de la Commission européenne, avait lancé un appel d’offre. L’idée était de favoriser des projets pilotes qui faciliteraient la coopération entre des Instituts européens de Technologies en Europe. Aux yeux de Gabriel Crean, la collaboration entre instituts de recherche est en effet indispensable pour l’Union européenne. "Les défis à relever par l’Europe sont considérables. Seul trois universités européennes figurent par exemple dans les premières 20 du monde", a-t-il expliqué.

Quatre projets pilotes furent sélectionnés suite à l’appel d’offre. Le projet au nom évocateur ComplexEIT, auquel participe Crean, couvre le domaine des nanotechnologies pour des systèmes électroniques complexes. Le but du projet, qui est toujours en cours, est d’identifier les meilleures pratiques en Europe en matière de nanotechnologies et de proposer ensuite des modèles de gouvernance multilatérales et à multiples niveaux, ainsi que des nouveaux modèles d’entrepreneuriat. L’équipe de recherche du ComplexEIT a ainsi analysé des clusters européens pour en tirer les meilleures pratiques. Selon Gabriel Crean, l’Institut National Polytechnique de Grenoble (INPG) peut être considéré comme un modèle de cluster technologique au sein de l’Union européenne. Ce dernier réunit six pôles de compétences en une enseigne de recherche. "Nous avons besoin de plus de pôles d’excellences comme l’INPG en Europe", a souligné le professeur. Aux Etats-Unis, cette pratique est déjà monnaie courante. Pour Crean, l’Europe a un grand impact dans l’application de nouvelles technologies, mais reste faible quant à la mise sur le marché de nouveaux produits. Afin de créer les conditions favorables au développement du marché des nouvelles technologies, il faudra combiner recherche académique avec des fonds d’investissements industriels et surtout du capital-risque, a-t-il conseillé.

André Sapir : La stratégie de Lisbonne peut être une des réponses d’une Europe exposée à de grands défis et où la crise accélère les restructurations et les sorties des secteurs affaiblis

L’après-midi, ce fut d’abord au tour de l’économiste André Sapir d’évoquer le rôle de la stratégie de Lisbonne à un moment où l’économie traverse une période de ralentissement. Ce ralentissement survient alors que l’économie mondiale s’est globalisée de manière très rapide avec plusieurs effets structurels dont il faut tenir compte : deux plus de main d’œuvre dans certaines économies émergentes, une réorganisation due aux changements technologiques, à la libéralisation des marchés et qui a conduit à de nouveaux systèmes de production. De nouveaux acteurs ont surgi tels que la Chine, qui est devenue le deuxième exportateur mondial et le troisième investisseurs en R&D. L’Asie a atteint en termes de PIB le niveau de l’Union européenne, dont le déclin relatif dans l’économie mondiale devient ainsi bien perceptible.

La stratégie de Lisbonne est pour Sapir la réponse de l’Union européenne à ces défis. Elle a flexibilisé ses marchés du travail, des produits et des capitaux, elle a amélioré son organisation sociale avec la flexicurité, ses finances publiques ont favorisé la croissance. La sortie de vieilles activités s’annonce, l’entrée dans de nouvelles aussi. Les aides d’Etat sont destinées à minimiser les coûts de sortie des vieilles activités. Bien qu’elles aient des effets négatifs comme la distorsion des marchés, elles sont ici inévitables. Elles financent aussi selon les règles de la stratégie de Lisbonne des activités en R&D, d’innovation et des PME qui peuvent déboucher sur l’entrée dans de nouvelles activités. Las recommandation de Sapir dans ce cas-ci : investir en étant conscient du coût.

Pour André Sapir, la crise financière actuelle est moins grave que celle de 1929. Le climat économique semble plus pesant dans la mesure où la récession se déroule dans un contexte de globalisation. La crise va accélérer la restructuration industrielle et "certains acteurs affaiblis vont voir leur sortie accélérée". D’où "une explosion des demandes d’aide" à laquelle les décideurs publics doivent s’attendre.

Au niveau macroéconomique, il faut maintenant de la demande pour relancer les marchés. Or les marges budgétaires de certains pays sont réduites à cause de leurs déficits budgétaires marqués. L’économie aura besoin rapidement de stimulants à court terme. Dans le scénario (sur shared/textes 2008 European revovery en PDF) du think tank "Bruegel", André Sapir et ses collègues Jean Pisani-Ferry et Jakob Weizsäcker ont proposé en novembre 2008 un plan de relance européen qui mise sur le court terme et la durabilité à travers une politique d’emprunts à des taux dont la divergence devrait être réduite pour éviter des surenchères sur les marchés financiers. Il n’en reste pas moins que l’Europa aura à long terme à affronter les défis du vieillissement de ses populations, du coût social et des dépenses publiques que cela impliquera et de la croissance durable qu’elle devra néanmoins assurer.

Pierre Mohnen : Enquêtes sur le fonctionnement de l’innovation

Pierre Mohnen, de l’Université de Maastricht, a ensuite évoqué les enquêtes sur l’innovation. Ces enquêtes sont, au-delà de leur intérêt factuel, aussi destinées à informer les décideurs politiques sur les retards, les rattrapages et les avancées des Etats membres en matière d’innovation. Ainsi, il a pu être mesuré que les nouveaux Etats membres rattrapent les anciens Etats membres, mais que le retard sur des Etats comme Israël, qui fait partie de la communauté de recherche européenne, sont grands. Ces enquêtes précisent aussi différentes caractéristiques de l’innovation ou contribuent à établir le type de liens positifs entre la R&D, l’innovation et l’augmentation de la productivité. Elles ont pu établir l’importance de la persistance dans l’effort de recherche et la complémentarité entre différentes innovations. Elles ont également mis en évidence qu’il ne faut pas se baser pour ses enquêtes sur le nombre de brevets déposés, mais sur l’introduction des innovations et de nouveaux produits dans le processus économique.

Bruno van Pottelsberghe : La quantité des brevets ne fait pas l’innovation

Bruno van Pottelsberghe, de l’ULB a évoqué les défis que doit affronter le système européen de brevets et relativisé l’idée que le nombre de brevets déposés reflète la capacité d’innovation d’une économie. Il a comparé les systèmes des USA, du Japon et de l’Union européenne. Les USA connaissent le plus grand nombre de brevets suivis par le Japon et l’Europe. Pour Pottelsberghe, l’on peut parler d’une véritable surchauffe. Mais cela ne dit rien ni sur la qualité des brevets déposés. Aux USA surtout, la qualité de l’examen des brevets avant dépôt est de piètre qualité, et les contestations sont nombreuses. En Europe, les brevets déposés sont de haute qualité, mais l’Europe n’en profite pas. Il faut malgré l’existence d’un Office européen des brevets payer les frais de dépôt dans chaque pays européen, ce qui implique un très grand coût, ce qui n’est pas bon, notamment pour les PME.