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Emploi et politique sociale - Recherche et société de l'information
En route pour Lisbonne (I) : La séance introductive du colloque du CRP Tudor a étalé les progrès et les désarrois de l’Europe économique
04-12-2008


Le 4 décembre 2008, le Ministre de l’Economie et du Commerce Extérieur, le Service central de la Statistique et des Etudes économiques (Statec), le Centre de Recherche Public Henri Tudor et l’Observatoire de la Compétitivité ont organisé la troisième édition du colloque "En route vers Lisbonne". Consacré à la Stratégie de Lisbonne avant qu’elle ne soit revue en 2010, ce colloque, qui dure jusqu’au 5 décembre, est censé constituer "un espace-temps de réflexion sur l'évaluation des politiques engagées, les résultats atteints et attendus, ainsi que sur les difficultés de mises en œuvre des actions des différentes lignes directrices intégrées identifiées." Espace de rencontre entre chercheurs et décideurs, le colloque a accueilli à son ouverture le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, Jeannot Krecké, et le vice-président de la Commission européenne, Günter Verheugen, en charge des entreprises et de l’industrie. Avec à l’ordre du jour un franc-parler des décideurs sur la crise économique et le rôle de la stratégie de Lisbonne.     

Avant qu’il ne fût question de R&D et d’innovation, de productivité, de mutations et de stratégies organisationnelles, d'évaluation des politiques publiques, de l’éducation et de la formation continue, de la gestion des compétences, des connaissances et du capital humain, de cohésion sociale, d’emploi et de compétitivité, Georges Bourscheid, président du Conseil d’administration du Centre de Recherche Public Henri Tudor, a dressé un bref historique de la Stratégie de Lisbonne. Il a rappelé que les chefs d'État et de Gouvernement européens avaient lancé en mars 2000 une stratégie dite "de Lisbonne" dans le but de faire de l'Union européenne "l'économie la plus compétitive au monde" et de parvenir au plein emploi avant 2010. Après une révision des objectifs en 2005, le monde de 2008 s’est selon Georges Bourscheid également transformé et a été confronté à de nouvelles réalités : changement climatique, sécurité énergétique, terrorisme et surtout crise économique. Par conséquent, la principale question du colloque sera selon lui de savoir "comment on pourra concilier les objectifs de la stratégie de Lisbonne avec la triste réalité d’aujourd’hui".

Claude Wehenkel (CRP Tudor) : Un bon bilan des colloques "Stratégie de Lisbonne", un bilan mitigé de la stratégie elle-même

Claude Wehenkel, l’administrateur délégué du Centre de Recherche Public Henri Tudor, s’est attaché à dresser un bilan des retombées des colloques, et a formulé une série de critiques "caustiques" destinées à alimenter le débat public. A la fin, il a livré ses réflexions sur la recherche et l’innovation au Luxembourg.

Plus de 100 conférences, communications et interventions, plus de 2000 participants au colloque et aux conférences satellites, une présence de plus en plus systématique dans les groupes de travail internationaux comme par exemple l’OCDE et Eurostat, le lancement d’une dizaine d’études thématiques, l’encadrement de trois thèses de doctorat, la création d’une a.s.b.l pour l’évaluation et la prospective au Luxembourg en 2009, le développement d’outils d’analyse… telles sont les principales retombées des colloques "En route vers Lisbonne" qui ont été citées par Claude Wehenkel.

L’administrateur délégué du CRP Henri Tudor a également expliqué que le partenariat avec le Ministère de l’Economie, qui remonte à 1994, débouché sur de nombreuses coopérations fructueuses comme, par exemple l’Observatoire de la compétitivité,  la signature en 2005 d’une convention-cadre intitulée "Comment mesurer la connaissance". Depuis 2001, le CRP Tudor accorde une attention particulière au domaine des TIC et envisage de focaliser ses efforts sur la science des services.

Malgré des initiatives comme e-Europe "qui ont été prises dans un contexte d’euphorie d’Internet", Claude Wehenkel, constate que les dépenses en recherche sont globalement en baisse et que "l’initiative e-Europe a été au fur et à mesure abandonnée aux Etats membres". L’année 2005, avec sa révision des objectifs de Lisbonne, marque selon Wehenkel "la fin des illusions avec l’avènement des plans d’action nationaux". Wehenkel a mis en garde contre des "sophismes mobilisateurs" et a tenu à relativiser les discours qui soutiennent que l’injection de fonds dans la recherche engendre automatiquement plus d’innovation. Selon lui, il y a un besoin accru de lier davantage les dépenses industrielles et la recherche universitaire.

En ce qui concerne les orientations comprises dans les programmes de recherche européens, Claude Wehenkel a pointé les incohérences qui persistent parfois entre différentes directions générales de la Commission européenne. Pour étayer son argument, il a cité les oppositions qui existent parfois entre la direction de l’industrie et la direction de la recherche. En même temps, Claude Wehenkel a estimé que la sophistication accrue de la recherche au niveau européen, fait qu’elle devient de plus en plus incompréhensible et favorise "une politique d’exclusion de plus en plus élitaire qui exclut les nouveaux Etats membres et les petites entreprises".

En jetant un regard sur les années écoulées – marquées par l’explosion des budgets consacrés à la recherche et l’innovation, la prise en compte de la corrélation qui existe entre l’économie et la recherche, la publication de l’étude OCDE en 2006-2007 sur les systèmes d’innovation , et l’élaboration de contrats de performance en 2007-2008 - Claude Wehenkel a estimé que le Luxembourg a fait des progrès considérables en la matière. Il a estimé qu’il faut prendre la Finlande comme modèle en ayant toujours à l’esprit "qu’un système d’innovation aussi remarquable qu’il soit, doit rester flexible et dynamique ce qui signifie qu’il n’est jamais achevé".

Günter Verheugen : pour une stratégie de Lisbonne plus visible et une Europe qui met toute sa volonté politique à combattre la crise

Günter VerheugenDans son intervention, Günter Verheugen, le commissaire européen en charge de l’industrie et des entreprises, s’est focalisé sur les instruments dont l’Europe dispose pour gérer la crise financière. Augmentation du chômage, entrée en récession de la plupart des économies européennes, secteurs de l’automobile et de l’acier en crise…. Günter Verheugen a passé en revue les répercussions de la crise économique et a mis en exergue ses effets multiplicateurs. Verheugen a néanmoins estimé que le contexte actuel ne doit pas faire oublier que la stratégie de Lisbonne "est un succès". "Même si les succès de la stratégie de Lisbonne sont cachés par les effets de la crise", Günter Verheugen a souligné la nécessité de poursuivre cette stratégie dont les bons résultats jusqu’en 2007 sont dus à plusieurs facteurs : la forte demande extérieure, la stabilité macroéconomique, qui a été obtenue grâce à l’introduction de l’euro, à la discipline budgétaire, à la maîtrise de l’inflation et à des réformes structurelles.

Verheugen a mis en exergue les atouts du plan de relance pour la croissance et l’emploi qui a été présenté le 26 novembre 2008 par la Commission européenne pour stimuler la demande et rétablir la confiance dans l’économie européenne. Le plan de relance prévoit des mesures budgétaires coordonnées d’un montant d’environ 200 milliards d’euros. "La Commission aurait pu rester immobile face à la crise", a dit Verheugen, en ajoutant qu’un plan de relance s’imposait "dans une société démocratique". Ce plan représente "une boîte à outils" dans laquelle les Etats membres peuvent piocher à leur guise pour relancer leurs économies et pallier leurs faiblesses structurelles. Le grand avantage de ce plan est selon Verheugen "qu’il permet d’allier compétitivité et durabilité".

Selon Verheugen, les grandes entreprises ne risquent pas de disparaître avec la crise. Ce sont surtout leurs fournisseurs qui seront concernés. 20 % parmi elles sont en danger. Pour pallier à ce problème, la Commission  a proposé de soutenir l’industrie automobile, le secteur de la construction économe en énergie et "les usines de demain", en établissant des partenariats entre le secteur public et le secteur privé ainsi que des mesures fiscales.

Verheugen a expliqué que la vocation du plan de relance n’était pas de remplacer la stratégie de Lisbonne. Il a insisté sur la nécessité de maintenir l’agenda de la stratégie de Lisbonne. D’autant plus "qu’on ne peut pas protéger les économies de la concurrence qui est la règle principale de notre économie de marché", a-t-il dit. "La crise sera finie un jour et l’Europe sera confrontée aux mêmes problèmes, c’est-à- dire à une population vieillissante, aux problèmes du changement climatique". D’où le besoin selon Verheugen que l’Europe développe sa compétitivité.

La principale faiblesse de la stratégie de Lisbonne réside selon lui dans le manque de liaisons qui existe entre les trois piliers de la stratégie de Lisbonne : le pilier économique, le pilier de la cohésion sociale, le plus négligé des trois, et le pilier environnemental du développement durable. Il a prôné un renforcement du pilier social, une réduction des faiblesses du marché du travail et un renforcement de la coordination des politiques économiques entre les des Etats membres. Dans ce contexte, Verheugen a souligné que la Commission doit revoir son rôle dans la structure institutionnelle de l’Union européenne. S’il est clair pour lui que la majorité des Etats membres ne veulent pas d’un gouvernement économique européen, il n’en reste pas moins que lorsque l’Europe fonctionne avec un marché unique et une monnaie commune, "il manque quelque chose." D’où l’intention de la Commission européenne de favoriser un partenariat stratégique économique entre les Etats membres dont les économies sont liées et de veiller à ce que la stratégie de Lisbonne et ses projets soient poursuivis dans une plus grande visibilité. "L’on peut faire beaucoup en Europe pour en finir avec la crise, même sans traité, à condition que l’on y mette la volonté politique", a conclu le vice-président de la Commission.

Jeannot Krecké en quête d’issues à la crise

Jeannot KreckéJeannot Krecké, le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, a livré ses réflexions sur la crise économique, son ampleur et ses répercussions sur l’économie réelle. Il a mis en exergue l’importance de ce colloque qui se déroule tous les deux ans "car il permet d’avoir des échanges avec les force vives du pays et de permettre à tous ceux qui sont intéressés par le sujet de s’exprimer". Parler de la stratégie de Lisbonne implique selon le ministre de l’Economie et du Commerce extérieur d’aborder également la crise économique dont les répercussions sur l’économie réelle "sont très difficiles à prévoir et à évaluer".

Il reste néanmoins sceptique vis-à- vis de l’évolution telle qu’elle se dessine. En jetant son regard sur le colloque de 2006, il a constaté que les discours et les préoccupations des gens ont terriblement évolué au fil du temps. Il y a deux ans, les discours étaient dominés par l’inflation et les énergies renouvelables, aujourd’hui, par contre, ces thèmes ont disparus de l’actualité. "Il n’y a plus d’inflation, et les théories de ceux qui disaient que les biocarburants affameraient l’humanité se sont écroulées comme des châteaux de cartes".

La brutalité et l’envergure de la crise qui a déferlé sur l’Europe ont selon Jeannot Krecké surpris le monde entier. L’envergure de cette crise se différencie selon Krecké de celle des crises précédentes dont la mesure où celles-ci "étaient sectoriellement et géographiquement limitées" et "ne concernaient pas l’économie et le globe dans son ensemble". La chaîne de la crise qui est passée de l’immobilier aux banques pour devenir une crise des liquidités qui s’est transformée en une crise de solvabilité se distingue par le "retour du frein". Personne n’achète, peu circule, tout le monde attend, et dans l’incertitude générale, l’on s’abstient d’investir et de consommer, mais on épargne. Krecké a parlé de l’hystérie ambiante qui règne en ajoutant  que "cette crise n’a pourtant pas plongé du jour au lendemain la population luxembourgeoise entière dans la pauvreté. Mais cette crise est difficile à vivre pour certaines franges de la population."

Même si le gouvernement a réagi lors des crises des banques Fortis et Dexia, et que le pays continue à marquer un taux de création net d’emplois des plus élevés en Europe, il y a comme un manque de volonté politique pour agir. "Est-ce parce que tout le monde veut être réélu ?" a demandé Krecké pour qui la discussion publique s’enfonce volontiers "dans une genre de canaux idéologiques quasi religieux".

Dans cette crise, Jeannot Krecké en est convaincu il y aura parmi les acteurs économiques des gagnants et de perdants. "Les perdants", a ajouté Krecké, "sont ceux qui n’auront pas misé sur la qualité". Il a par ailleurs souligné que le Luxembourg n’avait pas l’intention de remodeler le plan d’action national.  Krecké a regretté que les démarches ne soient pas assez coordonnées au niveau des ministres et des fonctionnaires et des responsables chargés de la stratégie de Lisbonne.

"Il faut travailler pour être préparés à l’avenir. Car on se trouve dans un tunnel dans lequel il y a plusieurs sorties. Il a des lumières, il peut y avoir un train qui vient en face. Il peut y avoir aussi une issue qui s’appelle la stratégie de Lisbonne."