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Elections européennes - Emploi et politique sociale - Fiscalité - Traités et Affaires institutionnelles
Jean Asselborn a dressé un état des lieux de l’UE devant les députés socialistes suisses
20-02-2009


Jean Asselborn entouré de l'ambassadeur  Philipps, de Ursula Wyss et de Hans-Jürg FehrDix jours après le "oui" des Suisses au référendum sur la libre circulation, le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois Jean Asselborn a été l’invité du Parti socialiste suisse à Berne, où il a fait une intervention devant la fraction parlementaire de ce parti.

Les députés présents avaient été invités par Ursula Wyss, présidente de la faction parlementaire socialiste, et Hans-Jürg Fehr, conseiller national du canton de Schaffhouse et président du Parti socialiste, suisse et avaient visionné en guise d’introduction à la rencontre un portrait du ministre luxembourgeois réalisé par la chaîne allemande ARD et diffusé en novembre 2008.

Dans son intervention, Jean Asselborn a tout d’abord évoqué la crise institutionnelle que traverse l’Union européenne, et ce à quelques mois des élections européennes. Il a ensuite été question des relations entre Suisse et Union européenne et de la question du secret bancaire, particulièrement sensible en Suisse au vu de l’affaire UBS. Enfin, c’est la politique sociale de l’Union européenne qui a été abordée, illustrée par quatre arrêts de la Cour de Justice européenne – les arrêts Laval, Rüfert, Viking et Commission contre le Luxembourg – qui continuent de susciter de nombreux débats quant à l’équilibre entre droits des travailleurs et droits économiques.

L’Union européenne est dans une phase de transition

Jean Asselborn a dans un premier temps évoqué la situation institutionnelle de l’Union européenne, qui traverse pour lui une phase de "transition". Il s’est notamment penché sur l’état des ratifications du Traité de Lisbonne. Faisant référence au compromis trouvé avec les Irlandais sur le nombre de commissaires, qui "sonne bien", même si, à son avis, la Commission, qui est "l’outil d’intégration", "doit rester un collège" et ne doit pas "devenir un parlement", Jean Asselborn a fait part de son espoir d’un prochain "oui" en Irlande.

Un brin critique à l’égard du président polonais, qui avait déclaré, deux semaines après le referendum irlandais, et bien que le texte ait été validé par le parlement polonais, qu’il pourrait ne pas signer le Traité, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères s’est réjoui de la "bonne nouvelle" qu’a été l’approbation du Traité par les députés tchèques le 18 février dernier. Cette victoire, "qui n’aurait pas été possible sans les sociaux-démocrates tchèques", sera cependant suivie par des discussions sans doute "difficiles" au Sénat, avant que le Traité soit enfin signé par le président Vaclav Klaus, lequel n’a pas manqué d’exprimer à nouveau son opposition au Traité le jour même devant le Parlement européen.

Jean Asselborn a ensuite rappelé que les élections européennes, "construction très complexe", auront lieu le 7 juin 2009, et il a annoncé à ses confrères socialistes que le PPE resterait "sans aucun doute" la première force au Jean AsselbornParlement européen à l’issue de ces élections. Selon les prévisions du ministre, les socialistes seront "la deuxième force" en Europe.

En ce qui concerne la place d l’Union européenne dans le monde, Jean Asselborn a rappelé la présence de certains Etats membres au sein d’instances comme le conseil de sécurité de l’ONU, le G8, ou encore le G20, ce qui selon lui, leur donne parfois l’impression "d’être plus forts que les autres". Cela contribue à rendre difficile tout compromis en matière de politique étrangère de l’Union européenne. Dans ce système où, par exemple, "la Lituanie peut tout bloquer dans les relations avec la Russie", la politique extérieure de l’Union européenne est aux yeux du chef de la diplomatie luxembourgeoise le terrain "où il est et sera le plus difficile de trouver un consensus".

Le chef de la diplomatie luxembourgeoise a constaté pour sa part le paradoxe que "plus l’Europe est intégrée, plus le protectionnisme des Etats est grand", ce qu’il estime être une évolution "dangereuse". Il a donc évoqué une série de réunions européennes et internationales qui vont se suivre, - réunion des Européens du G20 à Berlin le 22 février, réunion informelle des chefs d’Etats et de gouvernement du 1er mars, Conseil européen des 19 et 20 mars, sommet du G20 à Londres en avril, - et qui, l’espère-t-il, contribueront à ce que "le protectionnisme disparaisse" en Europe, tout en soulignant "l’effet très positif  de l’Euro" dans ce contexte.

La voie pragmatique du bilatéralisme

Jean Asselborn a ensuite rappelé les grands étapes qui ont marqué les relations entre la Suisse et l’Union européenne, en commençant par le rejet, "très serré", par le peuple et les cantons, de l’accord EEE en décembre 1992. Il a ensuite évoqué les accords bilatéraux I approuvés en 2000 par le peuple suisse qui a ainsi dit "oui à la libre circulation des personnes". Ces accords furent cependant suivis par un rejet net de l’initiative populaire "Oui à l’Europe" qui impliquait le refus d’une adhésion de la Suisse à l’Union européenne et qui a donc profondément marqué le choix "de la voie suisse", celle du bilatéralisme. Les accords bilatéraux II ont ensuite été signés à Luxembourg à l’automne 2004 et ont étendu la coopération à des domaines comme l’association aux accords de Schengen et Dublin.

L’approbation par le peuple suisse le 8 février 2009 de l’extension de l’accord sur la libre circulation à la Bulgarie et la Roumanie a été saluée par le chef de la diplomatie luxembourgeoise comme "une grande victoire pour les sociaux-démocrates". "Le prochain défi", selon le ministre luxembourgeois, ce sera le vote au sujet des passeports biométriques de mai 2009.

Au cours de la discussion qui a suivi, Carlo Sommaruga, conseiller national du canton de Genève, a tenu à ce sujet à préciser la position du Parti socialiste suisse, qui est peu favorable à la loi sur les passeports biométriques. En effet la loi soumise au vote va plus loin que ne l’exige le règlement européen en matière de banque de données biométriques et il y est par ailleurs question de cartes d’identités nationales contenant des données biométriques.

Enfin, au sujet de la fiscalité de l’épargne, sujet sur lequel la Suisse coopère avec l’UE dans le cadre des accords bilatéraux II, Jean Asselborn a rappelé que la proposition du commissaire Kovacs de novembre 2008 ne prévoyait pas la levée du secret bancaire mais que la question était revenue depuis, le 2 février 2009, avec les mesures proposées par la Commission pour lutter contre la fraude fiscale.

Evoquant l’affaire UBS, qui, selon certains, marquerait "le début de la fin du secret bancaire" en Suisse, Jean Asselborn a expliqué que "si le secret bancaire devait tomber en Suisse, il tomberait probablement aussi au Luxembourg". S’il n’y voit, "en tant que social-démocrate pas de problème d’un point de vue éthique et politique", Jean Asselborn a cependant insisté sur les conséquences que pourrait avoir la levée du secret bancaire sur l’économie du Luxembourg et de la Grande Région.

Pour conclure au sujet des relations entre l’Union européenne et la Suisse, Jean Asselborn a souligné qu’il était "intéressant pour la Suisse de poursuivre la voie du bilatéralisme", car cette voie "pragmatique n’est sans doute pas la mauvaise au vu de la complexité de l’entité qu’est l’Union européenne". Il est cependant clair à ses yeux que le rapprochement de la Suisse avec l’Union européenne se poursuivra à l’avenir.

Invité à se prononcer à la suite de son intervention sur une éventuelle adhésion de la Suisse à l’Union européenne par Mario Fehr, conseiller national du Canton de Zürich, Jean Asselborn a souligné que l’opinion publique européenne, qui a parfois du mal à accepter l’idée d’une adhésion des pays des Balkans – bien qu’elle soit selon lui nécessaire au processus de paix - , accepterait sans doute sans difficulté une demande d’adhésion de la Suisse. Il a cependant relevé que, politiquement, intégrer l’Union n’était peut être pas toujours un avantage. Soulignant le "rôle fantastique de la Suisse", il a ainsi rappelé que la neutralité de la Suisse serait nécessairement remise en question par une éventuelle adhésion tandis que du point de vue des politiques économiques, "on pouvait perdre un peu de son identité quand on se retrouvait à la table des négociations". Et de conclure : "l’adhésion de la Suisse serait positive pour tous les Etats membres, reste à voir pour la Suisse dans quelle mesure cela le serait".

Europe sociale : droits économiques versus droits sociaux

Jean Asselborn a ensuite abordé le thème de la politique sociale de l’Union européenne en se basant sur quatre arrêts récents de la Cour de Justice.

Commençant par l’ArrêtViking (C-438/05), le chef de la diplomatie luxembourgeoise a rappelé les faits. Une société de ferry finlandaise qui souhaitait faire immatriculer un de ses bateaux en Estonie et profiter ainsi d’une main d’œuvre meilleur marché s’est vue menacée d’action collective par des syndicat de marins finlandais.

Dans le cadre de l’arrêt dit Laval (C-341/05), une entreprise lettone avait répondu à une soumission pour la construction d’une école en Suède et avait refusé de signer, pour ses ouvriers lettons engagés sur le chantier, une convention collective suédoise. Les syndicats suédois ont bloqué le chantier et engagé des poursuites contre l’entreprise.

Dans ces deux affaires, la Cour de Justice des Communautés européennes a jugé que les droits des syndicats à entreprendre une action collective ou à faire respecter les conditions minimum de travail par les prestataires de services étrangers sont limités par les principes européens de liberté de circulation et d’établissement.

Jean Asselborn a donc rappelé que la construction de l’Union européenne s’est faite, après l’échec notamment de la Communauté européenne de défense dans les années 50’, "sur la base du marché intérieur". Aussi, si le droit de grève est reconnu, "il ne peut aller pas au-delà de ce qui est nécessaire". Et ces deux affaires montrent donc le difficile équilibre que doit trouver ma Cour entre "le droit économique, qui comprend les libertés fondamentales, et les droits sociaux, parmi lesquels le droit de grève".

Dans l’affaire Rüffert (C-346/06), la Cour condamne le Land de Basse-Saxe pour avoir eu l'intention d'appliquer à une société polonaise sa législation obligeant toute entreprise de travaux publics à respecter la convention collective du bâtiment et des travaux publics dans le cadre du passage d'un marché public, ce qui aurait été non-conforme à la directive 96/71 sur le détachement de travailleurs d'un Etat membre à un autre.

Jean Asselborn a enfin évoqué l’affaire Luxembourg contre Commission (C-319/06) dans laquelle le Luxembourg s’est vu reprocher d’avoir procédé à une transposition incorrecte de la cette même directive 96/71 sur le détachement de travailleurs d'un Etat membre à un autre. En cause notamment, comme l’a rappelé le ministre, "le principe d’indexation généralisé", qui a pourtant "contribué à la paix sociale au Luxembourg".

Pour le vice-Premier ministre socialiste, ces quatre arrêts "n’ont certainement pas renforcé l’Europe sociale". Expliquant les différences de culture sociale qui peuvent exister parmi les juges de la cour de Justice, Jean Asselborn a relevé que, "quand les textes sont peu clairs, ils sont le plus souvent interprétés en faveur des intérêts économiques plutôt qu’en faveur des intérêts sociaux". "L’Europe reste cependant sociale" a bien insisté le chef de la diplomatie luxembourgeoise, bien que les bases des droits sociaux doivent être renforcées. La preuve en est "la reconnaissance explicite d’éléments fondamentaux du droit du travail par la Cour de Justice", et ce même si "le risque que les standards minimaux ne deviennent les standards maximaux" existe bel et bien. Jean Asselborn a alors rappelé l’intégration dans le Traité de Lisbonne de la "clause sociale horizontale" tout en soulignant qu’il était fait référence à la Charte des Droits fondamentaux dans le Traité. Il a appelé en conclusion à faire pression sur la Grande Bretagne et la Pologne pour que cette Charte soit reconnue.

Carlo Sommaruga s’est demandé, suite à l’intervention du ministre si, plutôt que les juges eux-mêmes, ce n’était pas un "problème structurel" de l’Union européenne qui fait que "les politiques sociales, qui sont nationales, doivent se soumettre aux libertés du marché". Interrogé donc par le député genevois sur le moyen de renverser cette "dynamique politique", Jean Asselborn a précisé que cela devrait commencer à l’issue des prochaines élections européennes, même s’il est clair à ses yeux que le PSE ne sera pas le premier parti et que le président de la Commission sera conservateur. Il a par ailleurs souligné que même les gouvernements sociaux démocrates en Europe de l’Est ont une autre culture sociale, "imprégnée de l’esprit libéral anglo-américain". L’espoir de Jean Asselborn, c’est donc qu’on fasse preuve de "plus de poigne et qu’on mette plus d’énergie dans les politiques sociales" au lendemain de la crise. Il a par ailleurs regretté que, dans le contexte de cette crise, "beaucoup de gouvernements nationaux ne prennent pas leurs responsabilités en matière de politique sociale" en rejetant notamment la faute de la perte de nombreux emplois sur l’Europe. Il a enfin expliqué aux parlementaires suisses que le Luxembourg avait, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, eu les moyens d’avoir un filet très élevé en matière de politiques sociales, mais qu’il était difficile, même au sein de son parti, de discuter en vue de "jeter les bases d’une politique sociale plus sélective".

Jean Asselborn a par ailleurs précisé à Rudolf Rechsteiner, conseiller national du canton de Bâle, qu’un "nouveau Traité n’était", selon lui, "pas nécessaire pour une meilleure politique sociale".