Le 21 novembre 2009, le Bureau d'Information de Luxembourg du Parlement européen a organisé en collaboration avec la députée européenne Astrid Lulling, membre de la commission parlementaire de l'Agriculture et du Développement rural (AGRI), à Erpeldange une conférence-débat au sujet de l’avenir de l'agriculture au Luxembourg. En présence de nombreuses personnes intéressées, l’eurodéputée du PPE, les représentants de différents syndicats agricoles et des spécialistes, ont débattu, entre autres, des mesures de crise mises en œuvre aux niveaux local et européen pour assurer à court terme la survie des exploitations agricoles, ainsi que de la contribution du Parlement européen à la solution de la crise agricole.
Astrid Lulling, qui a ouvert la conférence et animé le débat, a expliqué en guise d’introduction que l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009 est un progrès pour la politique agricole dans la mesure où la procédure de codécision sera élargie à ce domaine et conférera ainsi au Parlement européen une grande responsabilité. La députée européenne pense qu’un bon contact avec les personnes concernées de la profession est primordial pour connaître leur opinion des sur ces sujets controversés. Elle a aussi exprimé sa satisfaction qu’avec le prochain départ de la commissaire chargée de l’Agriculture, Mariann Fischer-Boel, ses décisions qui ont souvent été mal accueillies par le Parlement européen disparaîtront aussi.
Astrid Lulling a aussi regretté que l’Union européenne ait seulement débloqué 280 millions euros d’aide pour les producteurs de lait, en ajoutant que le Parlement européen avait réclamé 600 millions. Pour elle, les 280 millions et les mesures nationales étaient déjà un pas dans la bonne direction, mais elle pense que le nouveau commissaire en charge de l’Agriculture devra veiller à ce qu’il y ait "assez d’argent à disposition de la Politique agricole commune (PAC)".
Pierre Treinen, chargé d'études au Service d’Economie Rurale, a expliqué qu’il a de grandes attentes par rapport à l’implication plus importante du Parlement européen dans la PAC après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. Il a abordé dans son exposé les diverses mesures nationales prises au Luxembourg pour venir en aide aux producteurs de lait, dont les coûts s’élèvent à 2,5 millions d’euros. Concernant le fonds laitier d’environ 300 millions d’euros, voté le 22 octobre 2009 par le Parlement européen, il n’a pas su préciser "comment cet argent sera distribué au Luxembourg".
Selon Pierre Treinen, un grand débat sera lancé lorsque la nouvelle Commission entrera en fonction et le groupe d’experts de haut niveau, qui a été mis en place pour étudier la situation sur le marché du lait, va devoir accomplir un travail énorme. Ce groupe d’experts va d’ailleurs intégrer dans son travail les résultats d’une grande conférence sur la crise du lait qui se déroulera le 26 mars 2010 à Bruxelles.
Léon Wietor, directeur de l'Administration des Services techniques de l'agriculture (ASTA), selon lequel une des raisons de la crise laitière est la mauvaise régulation du marché, a abordé quelques mesures qui devraient être prises afin que l’avenir de l’agriculture soit positif. Il pense que les différents instruments de régulation du marché ne doivent pas être supprimés, mais adaptés à la situation, et que la spéculation dans le domaine des produits alimentaires doit être empêchée. Pour lui, l’agriculture doit être multifonctionnelle et durable, et ses produits doivent être diversifiés et régionaux. Par ailleurs, l’agriculture européenne devrait rester autonome, et ne pas être dépendre d’importations pour garantir le ravitaillement alimentaire mondial.
Pour Léon Wietor, des mesures à court terme, comme des pourparlers avec les banques pour accorder un délai de paiement aux producteurs pour le remboursement des prêts contractés, doivent aller de pair avec des mesures à moyen et à long terme, telles que la régulation des marchés, les investissements dans la recherche, le recours au conseil et à la formation, la promotion de la production de qualité, l’augmentation de l’efficacité des exploitations, et la réduction des coûts administratifs, pour sortir l’agriculture de la crise.
Arnaud Petit, directeur du syndicat agricole européen Copa-Cogeca, a abordé dans son exposé la chute des prix des produits alimentaires, notamment du lait, mais aussi de la viande, des céréales, des légumes et des fruits, pendant les derniers mois. Il pense qu’il faut arrêter de considérer l’agriculture comme une partie du problème, et commencer à considérer ce secteur comme une partie de la solution.
Arnaud Petit a aussi tenu à souligner qu’en Europe, "15 millions de personnes sont employées dans l’agriculture, ce qui fait 15 % de l’ensemble des emplois". Selon lui, la production agricole devra d’ailleurs augmenter de 70 % si on veut nourrir la population mondiale en 2050. Quelques enjeux pour l’avenir sont, selon Arnaud Petit, de limiter la variabilité des instruments de régulation, d’harmoniser les mesures fiscales, de moderniser l’agriculture, de maintenir la biodiversité et de rapprocher les producteurs du grand commerce.
Andreas Schneider, conseiller en agriculture auprès du groupe PPE, a abordé la problématique du point de vue du Parlement européen. Pour lui, le Parlement européen doit décider dès maintenant quels seront les objectifs de la PAC et combien d’argent sera nécessaire après la suppression du système des quotas laitiers en 2015.
Abordant la question de la déficience en protéines végétales dans l’UE, Andreas Schneider pense d’ailleurs que la politique de zéro tolérance par rapport aux OGM n’est pas très bonne pour l’UE et qu’il est nécessaire de discuter sur cette question. En ce qui concerne le soutien aux exploitations agricoles des zones défavorisées, une mesure de la politique européenne de développement rural, il pense qu’il est très important pour le Luxembourg de continuer à recevoir cette aide financière précieuse.
Marco Gaasch, président de la Chambre de l'agriculture, a critiqué le fait que les mesures financières prises aux niveaux national et européen ne suffisent pas pour garantir la survie des agriculteurs. Il pense que la "codécision est une bonne chose", mais il craint qu’elle risque en parallèle de "ralentir les procédures". Pour lui, une des mesures qui pourraient aider le secteur agricole à sortir de la crise serait la promotion des produits régionaux de qualité et le renforcement de la confiance des consommateurs. Il pense aussi que la fabrication de produits alimentaires analogues devrait être interdite et que le consommateur a un droit à être mieux informé. Et de conclure que "l’UE doit diffuser le message que la politique agricole n’est pas seulement destinée à aider les agriculteurs, mais à assurer le ravitaillement de la population mondiale".
Lors du débat, Camille Schroeder, président de la Bauerenallianz, a souligné que les agriculteurs doivent serrer les coudes et présenter une stratégie commune, sinon "la Commission peut faire de nous ce qu’elle veut".
Marc Fisch, président de la Centrale paysanne, espère que l’UE dispose à l’avenir des moyens budgétaires pour pouvoir réguler le marché et soutenir le secteur agricole, un secteur qui "dépend beaucoup de la nature".
Aloyse Marx, président du Fräie Lëtzebuerger Bauereverband, a souligné qu’il faut miser sur la sécurité alimentaire, sans oublier la sécurité des revenus des agriculteurs. Il s’est également interrogé sur les raisons de la déficience en protéines végétales dans l’UE, ce qui la rend dépendante d’importations. Il pense dans ce contexte qu’il faut discuter des OGM, essayer de trouver des alternatives, et se demander pourquoi la politique agricole ne prévoit pas d’augmentation de la productivité dans ce domaine. Il est d’ailleurs d’avis que le déficit d’information interne des agriculteurs doit être rattrapé, et que notamment le Parlement européen doit s’appliquer à leur expliquer les adaptations et les changements liés aux décisions politiques.
Le débat a également soulevé les questions de l’utilité de la PAC, de l’orientation ultralibérale des marchés, de la durabilité, de la qualité de vie des agriculteurs, de la coexistence entre différents types d’agriculture, et des coûts de production.