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Élargissement - Politique étrangère et de défense
"Quelles frontières pour l’UE ?" - Le géographe Michel Foucher a mis à jour différents scénarios qui s’offrent à une Europe qui peut choisir son futur
13-11-2009


Des Frontières et des HommesA cette question – "un vrai sujet qu’il faut analyser de manière réaliste et avec délicatesse, car c’est une question compliquée" - le géographe français Michel Foucher a apporté des éléments de réponse devant plusieurs centaines de personnes réunies au Beffroi de Thionville le 13 novembre 2009 dans le cadre du festival "Des frontières et des hommes". Le préfet, l’ambassade de France au Luxembourg presqu’au grand complet, des femmes et hommes politiques locaux, des officiers de haut rang et des rangées entières d’aspirants-officiers, des citoyens engagés des deux côtés de la frontière, tous ont assisté à la conférence et participé au débat qui fut marqué, une fois n’est pas coutume, par une qualité de réponses et d’écoute rares.

"Si l’analyse géographique et historique aident, ces frontières de l’Europe sont néanmoins là où on décide de les fixer", c’est là une des thèses à partir desquelles Michel Foucher a développé son sujet en quatre temps.

Premier temps : la diversité des territoires et des ensembles

Même l’Europe instituée est plurielle, selon les approches, a constaté le géographe. Il y a l’UE des 27, il y a les candidats avec lesquels l’UE négocie, à savoir la Croatie et la Turquie, le candidat avec lequel elle ne négocie pas encore, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine (ARYM), les pays qui ont demandé leur adhésion comme l’Albanie, le Monténégro et l’Islande ou s’apprêtent à le faire, comme la Serbie. Il y aura donc peut-être une UE des 27 + 7. L’UE elle-même est divisée en plusieurs zones, comme la zone euro ou l’espace Schengen (qui s’ouvre sur quelques Etats qui ne sont pas membres). "Tout le monde n’est pas dans les mêmes choses", constate Michel Foucher, qui renchérit en laissant défiler l’OSCE, dont font partie la Russie et les Etats-Unis, l’OTAN avec ses 23 Etats membres, le Conseil de l’Europe avec ses 47 membres. Et une question s'impose : "A quelle échelle Michel Foucherpense-t-on le projet européen ?"

Avant 1989, l’UE correspondait d’une certaine manière à "l’Europe carolingienne", "concept qui existe toujours", comme ne manque pas de le préciser Michel Foucher. Avec 1989, l’Europe s’est ouverte sur le Nord, la baltique, le Centre et les Balkans, puis sur la Russie, la Turquie, le Proche Orient et le Maghreb. "Le Maroc reçoit plus d’aides que l’Ukraine", dit Michel Foucher, sachant bien que ceci n’est pas un détail, mais un indicateur. L’UE, c’est bien la question, se pense-t-elle à l’échelle continentale ou à l’échelle mondiale ? Car cela change tout, par exemple à l’égard de la Turquie. L’Europe carolingienne ne souffre pas d’une Turquie en son sein, l’Europe à l’échelle mondiale l’inclut nécessairement.

Deuxième temps : l’expansion territoriale continue

L’UE est une "success story", et c’est cette évidence qui est à l’origine de son expansion continue. Elle est un levier de modernité et de réformes, elle suit une logique qui respecte les différences et une logique de sécurité. Son acquis communautaire est à l’époque contemporaine ce que le code Napoléon était au 19e siècle. Elle poursuit une stratégie d’européanisation par le droit. L’UE est une union de droit, pas une organisation internationale. Elle induit la séparation des pouvoirs, la protection des minorités, les libertés civiles et le libre marché, ce que le géographe résume par la formule "Montesquieu plus le libre marché". Les transitions vers ce régime sont négociées, même si elles demeurent difficiles. Vu de Bruxelles, le meilleur instrument de transformation et de réformes impopulaires en Europe est une perspective européenne. L’Europe suit une logique de diffusion des règles et des meilleures pratiques. Elle est en cela une "puissance normative".

Dès le début, elle a suivi une logique de sécurité, en organisant la réconciliation entre la France et l’Allemagne. Micher Foucher estime qu’il ne faut pas idéaliser ce modèle de réconciliation. Il découle de la volonté des Etats-Unis, au début des années 50’, de protéger les démocraties occidentales contre Staline et les partis communistes à l’Ouest. La réconciliation n’est donc pas spontanée. Preuve en est le rejet par les gaullistes et les communistes, en 1954, à l’Assemblée nationale française, de la CED, la Communauté européenne de défense. Et Michel Foucher lance l’hypothèse : s’il n’y avait pas eu simultanément en 1956 le revers de la France et de la Grande-Bretagne lors de la campagne de Suez et l’écrasement des soulèvements de Budapest, les traités de Rome n’auraient peut-être pas été signés en 1957. Signe de la faible adhésion française, les traités de Rome n’ont pas été signés par le président du Conseil de l’époque. Autre hypothèse de ce genre : l’euro n’aurait pas vu le jour si l’Allemagne n’avait pas dû financer sa réunification. Ainsi, l’Europe a-t-elle, selon Michel Foucher, poursuivi son expansion selon le principe : "Je me sens mieux si mon voisin est dans le même club".

Michel FoucherLa réconciliation entre la Pologne et l’Allemagne, entre la Pologne et l’Ukraine, entre la Slovaquie et la Hongrie, entre la Roumanie et la Hongrie, entre la Grèce et la Turquie est également compliquée. Mais "l’européanisation des conflits bilatéraux" permet d'éviter les conflits. Voilà qui explique pourquoi les Grecs, à l’instar des Etats-Unis, veulent que les Turcs adhèrent à l’UE, ou encore pourquoi les Polonais plaident pour une entrée de l’Ukraine dans l’UE. Ce n’est qu’entre les pays baltes et la Russie que cette logique ne joue pas. Cette logique de sécurité stabilise le continent, car sur les dix Etats qui ont rejoint l’UE en 2004, six  n’avaient pas d’existence légale avant 1989. L’UE comme l’OTAN sont des "garanties de sécurité", à l’aune des traités de réassurance du 19e siècle. Les Etats-Unis ont d’ailleurs veillé à ce que ces pays adhérent à l’OTAN avant de rejoindre à l’UE, ne serait-ce que quelques semaines auparavant, dans le cas des pays baltes, pour bien souligner cette logique de sécurité.

Troisième temps : la question des limites est un débat nécessaire, mais improbable

Pour Michel Foucher, le projet européen a besoin de repères dans le temps, avec sa saga, sa mythologie et ses parts d’oubli. Il a aussi besoin de repères dans l’espace. D’où vont parler en effet le futur président du Conseil européen et le Haut représentant pour la politique extérieure ? A partir de quel territoire ?

L’Eurobaromètre de décembre 2008 montre que seulement 23 % des personnes interrogées dans l’UE des 15 pensent qu’ils ont tiré un bénéfice personnel de la chute du mur de Berlin, et ils ne sont que 36 % à le dire pour toute l’UE. Donc, cet événement crucial n’a pas représenté pour la majorité des citoyens européens une rupture sur le plan personnel. Cependant, 48 % pensent que l’UE est sortie renforcée des événements. Les Français et les Luxembourgeois étaient d’ailleurs particulièrement réservés à cet égard, notamment au sujet de l’élargissement.

Les limites de l’UE divisent les citoyens. Si 76 % des Polonais sont pour la continuation de l’élargissement, 32 % des Français et 25 % des Luxembourgeois seulement penchent dans ce sens. "Mais les Européens n’aiment pas ce genre de divisions", constate Michel Foucher. Les Etats fondateurs et les nouveaux Etats membres sont divisés, le consensus n’existe pas, et, comme bien souvent, on ne parle pas de ce qui fâche. "De toute façon, à 27, il y a moins de débat. Trois minutes pour chacun pour s’exprimer autour de la table." Le débat nécessaire est donc devenu en 2009, un débat improbable.

Au niveau politique, les partis affiliés au PPE sont selon Michel Foucher aujourd’hui plutôt contre l’élargissement, et surtout contre l’entrée de la Turquie, même s’il faut apporter des nuances, dans la mesure où les démocrates polonais ne voient, par exemple, pas les choses de la même manière que les démocrates chrétiens allemands. Les partis affiliés au PSE sont plutôt pour, y compris en ce qui concerne la Turquie, ainsi que les libéraux.

Quatrième temps : la méthode des scénarios

Pour mettre de l’ordre dans tout cela, Michel Foucher a élaboré une méthode : la méthode des scénarios, qui consiste à identifier le critère qui différencie une démarche politique d’une autre. L’approche de l’Europe est-elle continentale, sécuritaire, ou basée sur l’identité culturelle, l’économie ou purement géopolitique ? Michel Foucher distingue ainsi plusieurs scénarios : le scénario géostratégique des Etats-Unis, le scénario confédéral, le scénario géoéconomique, le scénario géoculturel, le scénario géopolitique.

Le scénario géostratégique des Etats-Unis est pour Michel Foucher le seul qui soit clair et qui ait duré à travers toutes les administrations américaines. Il est selon lui continu et cohérent avec l’intervention des Etats-Unis sur un continent querelleur. "Les Etats-Unis veulent terminer le travail commencé en 1945", et qui se décline en quatre points : établir des démocraties, les stabiliser, les faire entrer toutes dans le même club et contenir la Russie. Cette logique, les nouveaux Etats membres de l’UE l’appliquent immédiatement. Quand ils ne sont pas écoutés à Bruxelles, ils s’adressent immédiatement à Washington. Dans un tel contexte, la neutralité de la Finlande, de l’Autriche ou de l’Irlande sont un anachronisme. La seule concession américaine aux Européens a été de ne pas les obliger à absorber les pays du Caucase. Mais l’entrée de la Turquie et de l’Ukraine dans l’UE sont bel et bien un objectif stratégique américain.

Le scénario géopolitique pourrait seulement être abandonné "si un miracle se produisait à Moscou", en d’autres termes si la Russie devenait démocratique, stable et renonçait à son Empire, devenant ainsi un partenaire sans arrière-pensées. Cet espoir n’est d’ailleurs pas vain, pense Michel Foucher, puisqu’à un certain moment, la plupart des Etats membres de l’UE ont eux aussi dû renoncer à leur empire. Dans ce cas, le scénario confédéral pourrait primer : un large espace confédéral réunissant, autour de 2050, Brest et Vladivostok.

Le scénario géoéconomique quant à lui est plus courant, c’est celui d'une Europe conçue comme un grand marché.

Le scénario géoculturel, porté par le PPE, exclut la Turquie. Porté par les gouvernements allemand et français actuels, il ne l’était pas sous le président Chirac ou le chancelier Schröder. L’UE est ici l’héritière de l’Europe chrétienne. Ce scénario est celui par lequel commence d’ailleurs la toute récente "Histoire de l’Occident" de l’historien allemand H.A. Winkler.

Le scénario géopolitique européen quant à lui est celui qui prévoit pour 2025 une UE avec plus ou moins 28 Etats membres et une politique de voisinage qui pratiquerait des relations sur mesure avec les sept communautés issues de l’ex-Yougoslavie, qui essaierait de lutter contre l’instabilité de l’Ukraine en tentant à la fois de l’européaniser et de tenir compte des intérêts russes à son égard, qui mènerait une politique contractuelle et d’assistance à l’égard du Caucase, qui continuerait les négociations avec la Turquie et verrait si celle-ci est vraiment prête à accepter les transferts de souveraineté impliqués par une adhésion à l’UE. Le Maroc serait alors très intégré à l’UE et recevrait beaucoup de soutien. Israël serait intégré dans divers programmes européens, comme c'est déjà le cas aujourd'hui dans le domaine de la recherche. Pour Michel Foucher, il y a de toute façon deux faits globaux majeurs : la consolidation de l’UE et la montée de la Chine. Et dans l’Europe qui se situera au-delà de l’espace de l’UE, il y aura des politiques sur mesure.

En conclusion, le géographe a redit la nécessité de ce débat pourtant improbable sur les limites de l’Europe. Au-delà du fait qu’il est plus en plus important de connaître l’histoire des autres et l’étendue de leur territoire, sous peine de ne pouvoir appartenir à la même communauté politique, Michel Foucher a insisté sur le fait que l’UE se trouve face à un choix à faire entre les potions contenues dans les scénarios évoqués. Ce choix, ou cette dualité, était déjà présente, insiste-t-il, dans la différence entre la méthode Schuman, qui préfigure une Europe culturelle caractérisée par sa finitude, et la méthode Monnet, qui tendait à faire travailler ensemble des acteurs différents et qui a débouché sur l’expansion. C’est maintenant que la divergence entre les deux approches se fait vraiment sentir. Quel accent sera mis dans le futur ? La question de l’adhésion de la Turquie, insiste Foucher, n’est pas dans ce contexte une affaire intérieure, mais elle nous renvoie un miroir de nous-mêmes : "L’Europe a le choix. Mais il est redoutable d’avoir le choix."

Le débat

L’UE et les Etats-Unis

Les relations entre l’UE et les Etats-Unis ont été l’objet d’une discussion entre Michel Foucher et l’assistance. Michel Foucher a rappelé que les Etats-Unis n’avaient pas cru en l’euro. Il a aussi rappelé que, pour les pays d’Europe centrale et orientale, les Etats-Unis sont toujours perçus comme l’ultime recours. Cela tient entre autres au fait que les diasporas revenues des Etats-Unis ont pris le pouvoir dans leurs pays d’origine. C’est le cas dans les pays baltes avec une diaspora venue surtout de Toronto, en Slovaquie avec des personnes revenues de Baltimore et en Pologne avec les Polonais de Chicago.

Conséquence : la Russie reste un facteur de division en Europe. Les Espagnols n’envisagent pas leurs relations avec la Russie de la même manière que les Baltes et les Polonais. Les pays d’Europe centrale et orientale n’ont par ailleurs guère confiance dans la France et l’Allemagne considérés à l’Ouest comme les moteurs de l’UE. Paradoxalement, la décision récente de Barack Obama de ne pas continuer sur la voie de l’installation d’un parapluie antimissiles sur les territoires de la Pologne et de la République tchèque -  une décision qui inquiète beaucoup les nouveaux Etats membres – pourra constituer un atout pour faire progresser l’idée d’une défense européenne.    

Le processus de désintégration de l’ex-Yougoslavie et ses conséquences actuelles ont été l’occasion pour Michel Foucher de signaler que, malgré leur rôle stabilisateur en Europe, les Etats-Unis n’avaient rien fait pour empêcher la fragmentation de la Yougoslavie. L’analyse de la secrétaire d’Etat de Bill Clinton, Madeleine Albright, avait été que le président serbe Milosevic était un nouvel Hitler. Les présidents français Mitterrand et Chirac avaient trouvé ce processus de fragmentation bien dangereux, mais François Mitterrand n’avait pas pu empêcher l’Allemagne de reconnaître la Croatie en 1991, un acte qui a accéléré la décomposition yougoslave. Michel Foucher ne croit pas à l’idée qu’une seule nation, la nation serbe, ait été coupable de la longue période de guerre. La guerre du Kosovo doit être analysée sous cet angle. L’analyse de Madeleine Albright sur le rôle de Milosevic et le projet américain d’installer une base militaire au Kosovo ont conduit à l’échec de la conférence de Rambouillet. De plus, la guerre du Kosovo de 1999 est survenue un an après la déclaration anglo-française de Saint-Malo d’été 1998 pour une défense européenne. Il fallait réaffirmer la suprématie de l’OTAN, comme ce fut aussi le cas en 2008 avec "la reconnaissance prématurée" de l’indépendance du Kosovo, qui fut une sorte de réponse aux partenaires ouest-européens de l’OTAN qui n’avaient pas voulu de l’Ukraine et de la Géorgie dans l’Alliance atlantique.

Malgré ces aléas, Michel Foucher continue de penser que le projet américain poursuit toujours le même objectif : faire en sorte que l’Europe ne soit plus un problème. S’y ajoute que "l’Europe n’intéresse pas beaucoup Barack Obama", ce qui n’est pas pour autant, pour Michel Foucher, "une raison de se sentir orphelins, mais de se prendre en charge". L’autonomie croissante de l’Allemagne en est la preuve.   

Les récits divergents de 1989

Les divergences sur la façon de raconter l’histoire de 1989 et d’interpréter les événements d’il y a vingt ans sont un autre élément marquant relevé par Michel Foucher. Pour les uns, c’est le peuple de Berlin qui a détruit le Mur. Pour d’autres, c’est la suppression par Gorbatchev de l’article 6 de la Constitution soviétique qui consacrait la prééminence du Parti communiste, et sa décision de renoncer à l’immixtion dans les affaires intérieures des pays du pacte de Varsovie. Le centre devenant faible, la périphérie s’est ainsi émancipée. A l’occasion des cérémonies de célébration, la chancelière allemande Angela Merkel a bien rendu hommage à Gorbatchev. L’ancien chef de Solidarnosc et ancien président polonais Lech Walesa en revanche a surtout insisté sur l’action du pape Jean-Paul II et de Solidarnosc. Pour Michel Foucher, cette discussion est assez désagréable, et selon lui, "tout a commencé à Moscou" et s’est ensuite passé en concertation avec les Etats-Unis.         

Les conséquences du vieillissement de l’Europe et des migrations vers l’Europe

Le vieillissement des Européens et ses conséquences ont fait l’objet d’une autre question. Le bilan démographique de l’UE n’est pas bon et pèse sur les arbitrages budgétaires des Etats, notamment à cause de l’allongement de la durée de vie. Les accords de Schengen, qui avaient été selon Michel Foucher originellement conçus pour faciliter la circulation interne en Europe, n’ont pas conduit à accroître une mobilité qui reste assez réduite en Europe. La mobilité Est-Ouest au sein de l’UE est actuellement contrecarrée par la crise. Mais la fermeture relative des frontières des Etats-Unis conduit Moldaves, Ukrainiens et ex-Yougoslaves à migrer vers l’UE. Avec la migration en provenance du Sud qui découle du différentiel économique entre l’Europe et les personnes venant de ces pays  – 2 millions de personnes par an, 150 000 interpellations d’immigrés illégaux en Grèce, un nombre dû selon Michel Foucher au laisser faire de la Turquie – la question migratoire est devenue une question centrale.

L’UE essaie de voir dans ce contexte comment elle peut développer une stratégie migratoire et organiser la mobilité avec humanisme, réalisme et en tenant compte de ses intérêts. Une politique migratoire commune peut passer selon Michel Foucher par une mutualisation des questions à traiter, par la réaction aussi des sociétés. Reste cependant en fin de compte à résoudre une question pratique : l’UE, qui continue de s’étendre, sera-t-elle capable d’effectuer des contrôles effectifs à ses frontières ?                

L’Europe-puissance           

Abordant la question de l’Europe-puissance, Michel Foucher a fait la différence entre les concepts de "défense européenne" et de "défense de l’Europe", cette dernière étant assurée non par l’UE, mais par l’OTAN et les parapluies nucléaires américains, anglais et français. Les budgets de la défense des Etats membres de l’UE restent en-dessous de 2 % du PIB, et ne suffisent donc pas. La France et le Royaume-Uni fournissent à eux seuls plus de 60 % de l’effort de défense dans l’UE. Les alliances industrielles s’avèrent compliquées, comme le montrent les retards pris dans la construction du transporteur stratégique A400M. Malgré les 14 opérations de l’UE menées dans des pays tiers depuis 2003, - des opérations dans des pays où les Etats-Unis ne peuvent que difficilement intervenir, et qui relèvent donc d’un partage des tâches et souvent sur demande des Etats-Unis, - il est difficile de parler de politique européenne de sécurité et de défense (PESD). La question des pirates somaliens a néanmoins révélé que la sécurité des voies maritimes était essentielle pour l’UE.

Le traité de Lisbonne met selon Michel Foucher en valeur la défense, la sécurité et la dimension  militaire de l’Europe. Mais en Europe, les opinions publiques ne suivent pas. Le rejet de la guerre et de la coercition est fondateur, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis, qui d’une certaine façon, continuent 1945. Des procès sont faits aux armées. Pour Michel Foucher, l’opinion publique n’est pas cohérente. Elle veut, des sondages le montrent, une Europe-puissance, mais elle est hostile à l’augmentation des budgets de défense. L’Europe-puissance lui semble être par ailleurs "une lubie française". L’Allemagne et le Royaume-Uni sont plus retenus sur cette question. Bref, "l’UE n’est pas prête à s’assumer comme puissance globale bien qu’elle ait des problèmes globaux".                

Les foyers de risque pour la sécurité et la paix en Europe

Michel Foucher a traité quelques questions soulevées par l’assistance qui pourraient receler des risques pour la sécurité de l’Europe. L’enclave de Kaliningrad ne constitue pour lui aucun risque. La question de l’accès par l’UE a été réglée. Le respect par la Russie de la souveraineté de l’Ukraine est par contre un des risques majeurs pour la paix en Europe. Les contrats autour des ports militaires russes en Ukraine qui viennent bientôt à échéance, la question de la Crimée, où habitent peu d’Ukrainiens, voilà les problèmes à risque. Le Kosovo est plus gérable que la Bosnie-Herzégovine et le risque de Grande Albanie est pour l’instant écarté. Personne n’en parle et "les foyers albanais sont concurrents". A Chypre, la situation se détend entre Chypriotes grecs et turcs. Mais le passif reste lourd entre les deux communautés. La question chypriote a été pour Michel Foucher prise en otage par la Turquie qui négocie son adhésion à l’UE. La Turquie ne veut pas appliquer les protocoles d’Ankara qui permettraient aux navires et avions chypriotes d’amarrer ou d’atterrir librement sur le territoire turc. Pour le géographe, Chypre est "la dernière carte que les Turcs joueront dans la dernière phase des négociations d’adhésion".

La Turquie et l’Europe

Concernant la Turquie dans l’Europe, Michel Foucher fut très clair. Les élites turques sont européennes. La Turquie a une stratégie européenne. Elle a toujours cherchée depuis le 19e siècle à se rattacher à l’Europe en s’inspirant de la pensée économique française, du droit suisse, en recourant aux emprunts allemands. Mais elle a aussi une dimension nationaliste, et Michel Foucher de citer la devise, prononcée tous les matins par les écoliers turcs : "Turc tu es, tu n’as pas d’amis !" La Turquie aura beaucoup de difficultés à accepter certains transferts de souveraineté, à accepter une Commission où chaque petit Etat balkanique aurait comme elle son commissaire, ou des décisions du PE et du Conseil prises à la majorité qualifiée. L’UE doit avant tout avoir une politique turque, pense Michel Foucher. Peu importe qu’elle soit menée du dedans ou du dehors, elle doit toujours être.