Le 7 septembre 2010, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a tenu le tout premier discours sur l’état de l’Union de l’histoire de l’UE devant un Parlement européen réuni en plénière. Sa déclaration, qui se voulait surtout prospective, a été suivie d’un débat nourri notamment des réactions des présidents des principaux groupes politiques au Parlement européen.
Le président du PPE, Joseph Daul, a salué ce débat faisant le point sur les réussites et les échecs de l’UE, mais aussi sur les projets qu’elle doit porter et les moyens nécessaires pour ce faire. Il importe en effet à ses yeux de répondre aux questions des citoyens européens, qui se demandent ce que fait l’Europe, mais aussi à leurs attentes puisqu’ils appellent selon lui à plus d’Europe, et ce que ce soit en termes de représentation sur la scène internationale, de sécurité, ou encore de croissance économique et d’emploi.
Pour Joseph Daul il faut "aborder ensemble de façon plus rentable nos défis communs". Et le député européen, qui appelle à plus de gouvernance, estime que le Parlement européen et la Commission doivent convaincre les Etats membres qu’il s’agit là de la seule façon de préparer l’avenir des 500 millions d’Européens. La Commission doit prendre plus d’initiatives et les Parlement européen doit l’accompagner dans cet effort.
Que faire pour consolider l’action de l’UE ? Joseph Daul a repris dans le discours de José Manuel Barroso les points qui lui semblaient les plus pertinents. Il faut ainsi dans un premier temps renforcer l’économie, mettre fin aux inégalités, veiller au retour des investissements et au retour de la confiance des entrepreneurs tout en levant les obstacles identifiés sur le marché intérieur. Le parlementaire appelle en second lieu à faire preuve de plus de sérieux dans la politique extérieure en établissant des relations d’égal à égal avec les Etats-Unis et des relations stratégiques et ciblées avec des pays comme la Russie, la Chine, l’Inde et le Brésil. Enfin, il importe, pour faire des économies d’échelle et gagner en efficacité, de mettre les ressources en commun pour investir dans la recherche, l’éducation, la défense ou la sécurité énergétique. Pour Joseph Daul, l’Europe a besoin de ressources propres, et l’impôt européen ne devrait pas être un tabou quand il s’agit de réaliser des économies d’échelle pour mieux dépenser les fonds publics.
Dans un premier temps, Martin Schulz, le président du groupe politique social-démocrate, a reproché à José Manuel Barroso de ne pas avoir "joué le rôle prescrit par le traité", de sorte que la Commission ne perce pas dans l’opinion publique. Elle a accepté trop de compromis qui ont commencé à façonner une Europe régie par la France et l’Allemagne au lieu d’appliquer la méthode communautaire. Le problème de la Commission est que les trois quarts des membres du Parlement européen sont pour la Commission, mais que trois quarts des Etats membres au sein du Conseil sont contre elle. D’où une mise en garde appuyée de Martin Schulz contre une UE intergouvernementale, mais aussi son soutien annoncé à une Commission qui appliquera de nouveau plus la méthode communautaire, notamment pour éviter à Cancún des désastres comme ceux à la Conférence sur le changement climatique de Copenhague.
Dans un second temps, Martin Schulz a durement reproché à la France sa façon d’aborder la question des Roms et il a reproché à la Commission de ne pas avoir été sur la brèche pour protester contre la violation des valeurs fondamentales de l’UE par la France.
L’eurodéputé social-démocrate a dressé un sombre tableau de la justice sociale défaillante dans l’UE, avec un chômage en hausse, l’appauvrissement en masse de citoyens et la peur de l’avenir. Il aurait préféré que José Manuel Barroso, dans son exposé sur l’état de l’UE, eût fourni des chiffres sur ces sujets. Le fait que le nombre des millionnaires augmente avec le nombre des chômeurs, ou que les primes pour les managers montent alors que l’on veut réduire les retraites, constitue pour lui un péril pour la démocratie en UE.
Les sociaux-démocrates apportent néanmoins leur soutien à la proposition d’une taxe sur les transactions financières ou à celle d’un budget mieux doté de l’UE qui puisse être alimenté par des ressources propres. Ils voudraient aussi que les politiques de l’UE offrent des chances de promotion sociale aux populations pauvres de l’UE et que le budget de l’UE puisse aider à a compenser les coupes sombres dans les budgets sociaux nationaux afin de corriger certains déséquilibres.
Guy Verhofstadt, le président du groupe politique libéral ALDE, a mis de son côté l’accent sur le fait que l’année dernière a été difficile pour l’UE, avec la crise grecque, les attaques contre l’euro et le poids des mois qu’il a fallu avant d’arriver à des décisions. Il a cité le dernier Eurobaromètre qui montre que moins de 50 % des citoyens seulement pensent qu’être membre de l’UE est bénéfique et que seulement 42 % des citoyens de l’UE ont confiance en institutions. Mais, a-t-il souligné, 86 % veulent une gouvernance économique européenne. Le niveau médiocre de l’adhésion à l’UE relève donc pour lui plus de la déception qu’il n’y ait pas plus d’Europe.
Sept réformes importantes devraient marquer selon lui le second mandat de la Commission Barroso : la réforme du système financier européen, la gouvernance économique européenne, le marché unique, un budget européen dans nouveau cadre financier doté de ressources substantielles et surtout de ressources propres, la crédibilité de l’UE dans le monde à travers la formulation d’un nouveau cadre stratégique, les mesures liées à la lutte contre le changement climatique et la protection des droits civils et humains à l’extérieur et surtout à l’intérieur de l’UE.
Dans ce contexte, Guy Verhofstadt a jugé inacceptable la façon dont la France a abordé le problème des Roms, parce qu’elle est incompatible avec les principes et les valeurs de l’UE, et il a mis en garde contre le fait que la France n’était pas un cas isolé, mais que la tentation du populisme, de la xénophobie et du racisme était perceptible dans plusieurs Etats membres.
Le président des Verts, Daniel Cohn-Bendit, s’est dit d’accord avec ses collègues Martin Schulz et Guy Verhofstadt sur le constat qu’il existe depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne un problème d’interprétation pour savoir si le nouveau traité relève plus de la méthode intergouvernementale que de la méthode communautaire. Cette question résume pour Daniel Cohn-Bendit "la situation de l’UE aujourd’hui", d’où son reproche à José Manuel Barroso de ne pas l’avoir évoquée, comme il lui a reproché d’être "champion aux abonnés absents" quand il s’agit de pointer du doigt des Etats membres fautifs.
Pour le leader des Verts du Parlement, José Manuel Barroso savait depuis quelques années que la situation en Grèce échappait à tout contrôle. Et maintenant qu’une grande pression est exercée "sur le peuple grec", le président de la Commission ne dit rien sur les gros achats d’armements de la Grèce à la France, des dépenses liées au nationalisme et qui creusent le déficit budgétaire, que l’intégration de la Turquie dans l’UE rendrait selon Daniel Cohn-Bendit inutiles. Autre critique : José Manuel Barroso aurait parlé de croissance, mais sans évoquer "le changement nécessaire de la nature de croissance", et ce "trois mois avant Cancún". Finalement, la manière dont l’UE abordera la question des Roms sera pour Daniel Cohn-Bendit "le test de crédibilité de la Charte des droits fondamentaux de l’UE".
Dans sa réponse aux présidents des groupes politiques, José Manuel Barroso a déclaré que dans la substance, le Parlement européen voulait plus d’Europe, la méthode communautaire et plus d’ambitions. Quant aux critiques selon lesquelles il n’aurait pas évoqué l’état actuel de l’UE, José Manuel Barroso a répliqué qu’il préférait parler de l’avenir. Evoquer l’état de l’UE, c’est pour lui essayer de savoir, "où nous voulons mener l’UE".
Le président de la Commission s’est déclaré d’accord avec les parlementaires qui avaient affirmé que certains Etats membres avaient du traité de Lisbonne une approche purement intergouvernementale. Mais en tant que président de la Commission, il veut éviter débats abstraits et guérillas institutionnelles. José Manuel Barroso a également admis qu’il y avait des difficultés avec la confiance dans les institutions européennes, mais que les sondages européens montraient que les problèmes de confiance dans les institutions nationales étaient encore plus graves. La meilleure façon de répondre à ces problèmes de confiance, c’est en avançant des propositions et en produisant des résultats.
Quant aux critiques adressées à la Commission sur son attitude face à la question des Roms, José Manuel Barroso a insisté sur le fait que la Commission s’y intéressait depuis longtemps, qu’elle avait organisé à ce sujet une réunion ministérielle, mais que trois ministres seulement avaient été présents, qu’elle était en contact avec les pays d’origine des Roms et aussi les pays vers lesquels ils migrent. La Commission s’oppose à toute forme de discrimination a-t-il réaffirmé, ajoutant que tout citoyen avait des droits et des obligations, et qu’il fallait établir un équilibre entre liberté et sécurité, faute de quoi certaines situations seraient exploitées par les forces extrémistes.
Disant accepter une partie des critiques qui lui avaient été adressées, José Manuel Barroso a mis en exergue sa mission, qui est d’arriver à des consensus, - et pour un certain nombre de ses propositions, comme celle sur les ressources propres, il devrait même arriver à obtenir l’unanimité des Etats membres. Il a demandé au Parlement européen de soutenir dans un esprit de partenariat le travail en vue, de l’aider à gagner l’opinion publique et de contribuer à ce que le débat sur les grandes réformes européennes soit porté dans les capitales. Un tel esprit de partenariat se manifeste selon lui aussi dans des décisions comme celle du Conseil d’approuver le "semestre européen" - "un bon exemple de coopération" - et montre que "nous sommes en train de bâtir cette gouvernance économique européenne" que tant réclament.
L’eurodéputé libéral Charles Goerens est intervenu dans le débat en déclarant qu’il aurait souhaité voir aussi Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, prendre la parole. Cela aurait mieux reflété la réalité institutionnelle de l’UE, selon lui marquée par la "présidentialisation"..
L’eurodéputé vert Claude Turmes a réagi par un communiqué dans lequel il affirme que le président de la Commission "s’empêtre dans d’insolubles contradictions" dans la mesure où il s’engage en faveur du contrôle des marchés financiers alors qu’il prône l’expansion sans limites du marché unique. D’un côté, José Manuel Barroso met en garde sur l’impact du modèle de croissance classique sur les ressources, de l’autre il défend des taux de croissance encore plus élevés, sans évoquer d’objectifs en matière d’émissions et de recours efficaces aux ressources. Claude Turmes critique également l’absence de référence à des normes sociales dans son intervention.
L'eurodéputé chrétien-social Georges Bach a, dans un communiqué, à l'instar de Charles Goerens, marqué son étonnement au sujet de l'absence du président du Conseil européen au Parlement européen. Georges Bach aurait préféré qu'il participe au débat. Il reproche par ailleurs au président de la Commission de ne pas s'être livré à "une analyse honnête" et de s'être concentré sur un programme sur le futur de l'Union qu'il approuve mais qui "ne peut faire illusion sur le mauvais état actuel de l'Union". Selon lui, la Commission doit lutter de manière plus forte contre les tendances intergouvernementales dans l'UE".
Le quotidien Wort rapporte dans son édition du 8 septembre 2010 la position de l'eurodéputé chrétien-social Frank Engel, qui adhère aux propositions de José Manuel Barroso, mais qui regrette cependant que "le président de la Commission évite de se fixer sur des positions qui sont contraires aux idées de certains gouvernements européens". Or à ses yeux, "ce n'est pas ainsi que l'on peut faire de la politique."
Le même journal rapporte les propos de l'eurodéputé socialiste Robert Goebbels selon lequel "le message de Barroso est bien, mais des doutes sont permis quant à la volonté de le mettre en oeuvre."