Pour faire avancer le dossier, Romain Schneider, le ministre de l’Agriculture et des Sports, a été nommé ministre délégué à l’Economie solidaire, un fait unique dans l’UE, il faut le souligner. Huit personnes travaillent pour lui sur ce secteur, qui tire une autre partie de ses subventions des projets cofinancés par le Fonds social européen.
Le ministre Romain Schneider et son équipe ont été les chevilles ouvrières d’une conférence intitulée "Vers de nouvelles perspectives pour l’Economie solidaire au Luxembourg" qui a eu lieu le 24 novembre 2010. Organisée avec l’assistance technique et logistique du Centre de Recherche Public (CRP) Henri Tudor et de l’Institut européen pour l’Economie solidaire (INEES), elle a tenté de porter un nouveau regard sur l’économie solidaire au Luxembourg à partir de différentes politiques européennes et internationales.
Des problèmes comme une définition de référence qui soit officiellement reconnue, une représentation statistique et/ou chiffrée ou le positionnement de l’économie solidaire par rapport à l’économie classique qui reste à clarifier, ont été abordés par les acteurs et les chercheurs sur le terrain, en Europe et au Luxembourg, histoire de clarifier ces questions avec les instruments de la recherche et de la connaissance européens et nationaux. L’objectif ? Péparer des décisions politiques et législatives au niveau national.
Dans son discours, le ministre Romain Schneider a expliqué "que la conférence devrait servir de plateforme participative", qui jette un regard en arrière, dresse un état des lieux des différentes actions menées et implique l’ensemble des acteurs du terrain afin de discuter et d’élaborer ensemble une feuille de route portant sur les perspectives qui s’offrent à l’économie solidaire au Luxembourg, "un champ très vaste", comme il l’a souligné. Se référant au programme gouvernemental de juillet 2009, il a mis en exergue la priorité donnée au dossier de l’économie solidaire, que "le Luxembourg dispose d’une grande avancée en la matière" et veut créer un cadre approprié "à partir de l’identification de tous les ingrédients" et qui règle de manière satisfaisante les problèmes de marchés publics, de concurrence et de financement. ce travail a commencé en novembre 2010 et devrait être achevé et déboucher sur un projet de loi adéquat en novembre 2011.
Pour Romain Schneider, "l’économie solidaire fait partie de l’économie nationale. Elle regroupe des activités pour augmenter le bien-être des citoyens par la prestation de services et par la mise à disposition de produits" et gravite autour des concepts de solidarité, du développement durable, des bénéfices qui reviennent à la collectivité, d’une gestion autonome du pouvoir public et de décisions prises d’une manière démocratique. Mais l’essentiel n’est pas dans ce contexte de donner une définition précise à ce concept, mais plutôt de lui donner un "contenu".
Eric Lavillunière de l’INEES et David Hiez de l’Université du Luxembourg ont montré dans leur exposé que les modèles d’économie solidaire diffèrent fortement en Europe. En Italie, l’économie sociale est considérée comme un secteur de l’économie classique. Dans les pays anglo-saxons, elle va du caritatif aux entreprises sociales en passant par le secteur non-professionnel. Au Nord, l’économie solidaire st un phénomène relativement récent, et la solidarité y est conçue de manière élargie (Nord-Sud, intergénérationnelle, territoriale, environnementale, avec les plus démunis), elle répond à des besoins non-satisfaits, essaie de se situer dans une économie encastrée dans la globalisation, est en règle partie prenante du mouvement social et dispose de ressources hybrides. Elle est pour les deux chercheurs une construction politique qui produit entretemps sa propre théorie à partir de ses pratiques économiques à des fins non capitalistiques. Au Luxembourg, l’économie solidaire a une forte tradition centenaire au niveau du mouvement coopératif et une histoire déjà charpentée de services sociaux associatifs. Les dispositifs d’insertion de chômeurs, des initiatives éparpillées dans le domaine du commerce équitable, du logement, de la micro-finance viennent compléter le tableau.
Karin Pflüger a ensuite pris la parole au nom du lobby bruxellois de l’économie solidaire, Social Economy Europe, pour rappeler que le grand document de référence pour les acteurs européens de l’économie sociale était leur Charte et que les 4 familles de l’économie sociale – c’est-à-dire les coopératives, les mutualités, les associations et les fondations - représentaient 10 % des entreprises européennes. Entretemps, un intergroupe de l’économie sociale s’est constitué au Parlement européen qui agit en faveur d’un statut européen des mutuelles associations et fondations - ce qui est important pour qu’elle puisse évoluer au sein d’un marché unique - les coopératives étant déjà dotées d’un tel statut. L’économie sociale a aussi une voix au Conseil économique et social européen (CESE) et à la Commission, la DG Entreprises ayant créé une unité qui s’occupe de l’économie sociale aussi. Karin Pflüger a rappelé les 7 valeurs sur lesquelles les acteurs européens de l’économie sociale se fédèrent :
Denis Stokkink, du think tank européen Pour la solidarité, a lancé quelques éléments statistiques. L’économie sociale, ce sont 2 millions d’entreprises, 10 % des entreprises européennes, 11 millions d’emplois, 6 % de l’emploi. Il y a en Europe 250 000 coopératives, avec 5 millions d’emplois. Les usagers de cette économie sont si nombreux, notamment à travers les mutuelles, que 50 % des habitants de l’UE sont concernés d’une manière ou d’une autre par ce secteur. Dans certains pays, comme les Pays-Bas et l’Irlande, ces entreprises sociales constituent 9 % de l’emploi et sont des amortisseurs de la crise avant d’en être eux-mêmes touchés.
Martine Hildgen, du STATEC, a tenté ensuite de montrer la difficulté de la saisie statistique de l’économie solidaire. Passant par deux approches, consistant pour la première à saisir les acteurs sociaux et pour la seconde à partir des notions juridiques de coopérative, de mutuelle, d’association et de fondation, toutes les deux pas entièrement concluantes, Martine Hildgen a avancé pour l’économie solidaire au Luxembourg le chiffre de 21 500 emplois, 6 % de l’emploi, 4 % des entreprises, avec une croissance forte dans le secteur de 10 %. La structure des entreprises en nombre d’emplois ne diffère pas de celle des entreprises de l’économie marchande. Les associations regroupent plus de 17 000 emplois pour 828 entreprises, les coopératives 1 813 emplois pour 88 structures. 50 % de ces entreprises offrent des services collectifs, sociaux et aux personnes. 22, 5 % sont actives dans les secteurs de la santé et de l’action sociale. Une vérification au niveau du contenu des activités de ces entreprises s’impose néanmoins. Toutes les coopératives et mutuelles ne relèvent pas de l’économie solidaire ou sociale. Le problème est d’arriver à des découpages qui soient en harmonie avec les normes de la comptabilité nationale pour que l’on puisse tenir compte de manière fonctionnelle de ces chiffres.
Une autre approche de l‘économie solidaire était celle de Laurent Fraisse du CRIDA de Paris, qui s’est demandé comment l’évaluer en termes de plus-values. Et d’abord quel type de plus-value ? Car comment appliquer à un secteur économique à dimension sociale qui vise l’utilité sociale et les bénéfices collectifs l’aune d’une plus-value en termes de gain monétaire ou de création de valeur ajoutée à travers la production ? Les outils de la comptabilité ne sont pas toujours adaptés à l’économie sociale et solidaire pour évaluer ses plus-values dans la mesure où elle ne vise pas à produire dans le cadre de l’économie classique.
Il faut donc selon Laurent Fraisse procéder par une évaluation à travers différents types de plus-values. Par exemple en mettant en relation les ressources utilisées et les résultats, ou bien en considérant la répartition des bénéfices sur les associations ou la répercussion sur les personnes des services fournis. La question des plus-values se pose notamment quand il s’agit de convaincre les pouvoirs publics d’investir dans un projet de l’économie solidaire. Il est nécessaire selon Laurent Fraisse de développer une norme qui justifierait un investissement par des subventions, par des allègements fiscaux ou des règles de concurrence. Ici, plusieurs démarches sont possibles :
D’autres éléments sont importants, comme l’ancrage territorial, qui, plutôt que de mettre en concurrence des territoires, remet en circuit sur place les avantages locaux. L’économie solidaire contribue selon Laurent Fraisse à l’environnement, à la construction de volets du droit social, à la démocratie et à la citoyenneté, etc. L’on ne pourra néanmoins pas se passer de valoriser une partie des activités de l’économie solidaire en les mettant en relation avec des prix-référence classiques, tout en sachant qu’il s’agit d’indicateurs limités. Mais même si l’on va développer des indicateurs non-monétaires, la tension entre l’évaluation qualitative et quantitative ne va jamais être complètement abolie. Ce qu’il faudra en tout cas éviter pour Laurent Fraisse, c’est que la demande d’évaluation des pouvoirs publics n’aboutisse à des facteurs trop standardisés qui risquent, à terme, de freiner la conception et la mise en œuvre de nouveaux projets.
Un des moments forts de la conférence a été la présentation du projet ECOSOLUX.
. Il consiste dans la production et la mise en ligne d’une cartographie recensant les acteurs de l’économie solidaire luxembourgeoise. Laurence Johannsen, du CRP Henri Tudor, a présenté cette nouvelle cartographie élaborée par l’Institut Européen de l’économie solidaire (INEES). Le projet s’adresse à la fois aux acteurs de l’économie solidaire, au grand public et aux autorités publiques et il a été cofinancé par le Fonds social européen (FSE).
Ce projet est le fruit d’une approche participative, progressive et "ontologique", c’est-à-dire qui a misé sur un accord de fond sur les grands concepts utilisés et la définition d’un périmètre d’activités de l’économie solidaire, notamment dans la Charte de référence ECOSOLUX. L’objectif du projet est de renforcer la capacité d’innovation et de collaboration des acteurs de l’économie sociale et solidaire au Luxembourg et de l’inscrire, ce qui est important, dans une optique européenne.
Il recense l’ensemble des acteurs de l’économie solidaire au Luxembourg pour donner une meilleure visibilité au secteur et pour renforcer la collaboration entre les différents acteurs recensés. Comme l’a expliqué Laurence Johanssen, le projet vise à "stimuler le travail en réseau et à contribuer à la création d’activités et d’emplois et l’émergence de nouveaux projets dans le domaine de l’économie solidaire".
Basé sur une approche à la fois participative et démocratique, le portail Internet ECOSOLUX fournit des informations à la fois détaillées et concises sur les différentes initiatives en matière d’économie solidaire qui existent au Luxembourg. La cartographie permet au navigateur d’identifier en un coup d’œil les organisations qui concourent à "démocratiser l’économie". En cliquant sur les initiatives, affichées par le biais d’icônes, le navigateur peut recueillir des informations sur l’adresse, le site internet et le numéro de téléphone de l’initiative.
Le site fait appel à la participation des navigateurs en les invitant à soumettre des propositions pour définir ensemble le concept de l'économie solidaire. A coté d’actualités, il proposera également une série de portraits d’acteurs qui sont actifs dans le domaine de l’économie solidaire.
L’espace de coopération, qui est accessible en créant un compte en tant qu'acteur de l'économie solidaire au Luxembourg, permet de mettre en relation les différents acteurs de l’économie solidaire.
Sur le site Internet l’utilisateur peut également consulter une charte Ecosolux, qui a été rédigée par les acteurs de l’économie solidaire eux-mêmes au Luxembourg. Cette charte permet aux utilisateurs d’identifier une organisation d’économie solidaire et d’être sûrs qu’ils ne s’adressent pas à une société commerciale classique.