A quelques heures du Conseil européen des 16 et 17 décembre 2010 qui statuera avant tout sur la mise en place d’un mécanisme de gestion de crise permanent pour l’UE, le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker, s’est exprimé dans la presse sur ses positions et sur ses attentes.
Dans la mire de tous les médias se trouve sa proposition sur les euro-obligations qui est rejetée par les dirigeants de plusieurs pays de la zone euro. Dans une interview donnée au quotidien "Luxemburger Wort", Jean-Claude Juncker tente de dédramatiser le débat. "Il n’y aura pas de décisions dramatiques au Conseil européen. Nous nous entendrons sur une modification du traité européen, qui touche à l’article 136, qui prévoit des arrangements spécifiques pour les membres de la zone euro."
Cette modification permettra aux membres de la zone euro de créer un mécanisme de crise permanent auquel les Etats membres pourront recourir en cas de besoin et à des conditions très strictes. Ce mécanisme a déjà été défini dans ses grandes lignes par le Conseil ECOFIN du 28 novembre 2010 et les ministres des Finances devraient être chargés selon Jean-Claude Juncker d’en préciser les détails dans les prochains mois.
En ce qui concerne le mécanisme actuellement en place, l’EFSF, Jean-Claude Juncker ne pense pas qu’une décision quant à l’augmentation de son volume sera prise lors du sommet.
Les euro-obligations ne seront pas non plus un sujet central du Conseil européen, "même s’il sera évoqué en marge par certains, dont moi", déclare le président de l’Eurogroupe qui ajoute : "Avec ma proposition, je n’ai voulu provoquer ni les Allemands ni les Français, mais lancer un débat". Il s‘agissait de proposer une solution "pour arrêter l’effet-domino", ce qui permettrait à l’UE de réagir non pas pays par pays, mais de manière systémique et inclusive. A l’AFP, Jean-Claude Juncker a par ailleurs déclaré au sujet des euro-obligations que "je crois qu'on va revenir vers cette idée."
Jean-Claude Juncker continue de récuser le reproche fait à sa proposition selon lequel il y aurait un taux unique des obligations d’Etat dans la zone euro. Pour lui, les taux d’intérêts des emprunts des pays vertueux de la zone euro seront toujours plus bas que ceux des autres pays. Il s’agit plus de refinancer une partie seulement des dettes publiques au niveau européen. Sur l’autre partie, plus grande, il y aura toujours des taux d’intérêt différent. Mais l’avantage serait l’émergence d’un marché obligataire européen qui dépassera l’actuelle segmentation nationale, et qui en termes de volumes serait comparable au marché américain. Un marché avec un tel volume pourrait par ailleurs conduire à une baisse des taux pour les pays dits vertueux et inciter les pays surendettés à liquider le plus rapidement possible leurs dettes afin d’avoir accès à ce marché nettement plus favorable.
Par ailleurs, le renforcement du pacte de stabilité et de croissance encadrera de manière stricte la politique budgétaire future de tous les pays de la zone euro. Avant de faire appel à la solidarité, et l’euro-obligation serait un tel acte de solidarité, certains pays devront, selon Jean-Claude Juncker, d’abord miser sur la solidité.
Autre aspect : Jean-Claude Juncker n’accepte pas le terme "crise de l’euro". Il y a pour lui une crise des dettes souveraines dans un certain nombre de pays de la zone euro. L’euro n’est pas en danger, il est même stable. Parler de la fin de l’euro est "irresponsable". Et parler de deux zones euro "n’est pas compatible avec l’esprit de l’intégration européenne". S’il y a eu des turbulences sur les marchés, elles ont été provoquées selon lui par l’idée d’impliquer les créanciers privés dans la résolution des crises des dettes souveraines. "Ma proposition sur les euro-obligations n’a en tout cas pas provoqué des rejets sur les marchés financiers", ajoute non sans malice le Premier ministre.
Même si l’Europe connaît aujourd’hui des symptômes d’euro-fatigue et que l’agenda européen est interprété par de nombreux dirigeants à partir de considérations de politique intérieure, Jean-Claude Juncker reste convaincu que "d’ici dix ans nous aurons une Europe beaucoup plus unie et intégrée qu’actuellement". Le déclin démographique et le fait que les Etats nationaux ne peuvent affronter à eux tout seuls les défis globaux pousseront à plus de cohérence européenne.
En attendant le sommet, et malgré un article très dur de la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) qui notait le 15 décembre 2010 que Jean-Claude Juncker avait été "des années durant universellement aimé en Allemagne" comme celui "qui expliquait aux Allemands comment fonctionnaient les Français et inversement", mais qu’il avait nettement perdu de son aura dans les deux pays, le ton s’est fait plus conciliant en Allemagne.
La chancelière allemande, Angela Merkel, a mis dans une interview donnée au Bild l’accent sur l’engagement européen de son pays et comparé l'euro à la réunification allemande. "Voyez-vous, c'est un peu comme pour l'unification allemande. Nous n'avons jamais douté de cette décision historique en faveur de l'unité, malgré tous les problèmes et toutes les coupes douloureuses. (..) Il en va de même aujourd'hui: nous nous sommes décidés en faveur de l'Europe et de l'euro. C'était la bonne décision et ça le reste." Elle plaide pour une position unie des Européens qui ne donne aucune chance aux spéculateurs. Elle a aussi récusé l'idée qu'en Europe l'Allemagne dicte ses exigences et indiqué avoir "depuis longtemps évacué" ses bisbilles avec le président de l'Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. "Lorsque les enjeux sont aussi importants, il est normal que les émotions entrent parfois en jeu", a-t-elle déclaré.
Jean-Claude Juncker lui a rendu la politesse dans le Handelsblatt, auquel il a déclaré : "Je n'ai jamais prétendu que Mme Merkel manquait d'engagement européen, c'est le contraire qui est vrai. (..) Mais il n'en reste pas moins qu'il y a "une nouvelle hésitation, compréhensible, de l'Allemagne quand il s'agit de solutions européennes à des problèmes dont on pense que l'on ne peut pas les expliquer immédiatement aux citoyens." Mais ceci "n'est pas seulement un problème allemand, il y a cela dans tous les pays de l'UE".