Avant de passer au crible les mesures prises par le gouvernement dans un contexte de sortie de crise, le président de l’OGBL a dressé une critique acerbe elle aussi de la politique européenne. C’est une attaque en règle contre trop d’austérité qu’a menée Jean-Claude Reding, que le mot d’ordre de "compétitivité" est loin de convaincre, à l’occasion de la réunion du Comité national de l’OGBL du 28 avril 2011, pour la Fête du Travail.
C’est à la lumière des grands événements qui ont marqué ce début d’année 2011, comme les révolutions arabes, que Jean-Claude Reding a commencé son discours. La catastrophe de Fukushima compte aussi parmi les événements marquants de ce début année mouvementé, et le président de l’OGBL a insisté sur le fait que "l’utilisation civile de l’énergie nucléaire est une grande et dangereuse erreur politique". "Vouloir continuer dans cette voie est irresponsable au plus haut point", a-t-il argué avant de conclure que "nous devons sortir du nucléaire, et ce rapidement, avant qu’il ne soit trop tard". A ses yeux, il n'est pas seulement question de Cattenom et des centrales de la Grande-Région, mais bien de mettre en œuvre une politique européenne pour sortir du nucléaire.
"L’UE joue un grand rôle en matière de politique énergétique", a expliqué Jean-Claude Reding qui a insisté notamment sur son rôle dans la libéralisation des marchés de l’énergie. "Si cette dernière a été possible, alors un tournant énergétique pour sortir du nucléaire en Europe est possible aussi", a-t-il avancé, ajoutant qu’il convenait de "repenser la politique énergétique dans son ensemble".
"Il y a des alternatives à la politique énergétique actuelle, des alternatives qui peuvent avoir des conséquences économiques et écologiques positives", a plaidé le syndicaliste qui ne perd pas de vue qu’il faut veiller à bien préparer cette transition sur le plan social.
Dans son appel à lutter contre "le dumping écologique", Jean-Claude Reding a invité l’UE à "se défaire de son credo néolibéral" en protégeant par des tarifs douaniers les entreprises "qui respectent les standards environnementaux européens élevés" de la concurrence provenant de pays tiers qui ne respectent pas ces critères.
"L’Union européenne se trouve depuis plusieurs années dans une crise difficile", a poursuivi Jean-Claude Reding qui a rappelé que, pour nombre de syndicats, l’UE offrait, avec ses idées de paix, de liberté, de progrès social, des objectifs positifs. "Mais on n’entend plus beaucoup parler de progrès social dans l’UE du 21e siècle", déplore Jean-Claude Reding qui critique le fait que, bien au contraire, "les réformes sociales qui proviennent de la Commission ou du Conseil des ministres n’apportent dans la plupart des cas que recul social".
"Les réponses européennes au changement démographique de ces dix dernières années en sont un exemple frappant", a poursuivi le syndicaliste qui regrette que "les responsables politiques et leurs conseillers et experts de la Commission européenne et de l’OCDE n’aient rien de trouvé de mieux que de détériorer les prestations de retraite et de réduire les coûts en faisant en sorte que les gens gagnent moins en devant travailler plus longtemps". Jean-Claude Reding ne juge pas mieux les nombreuses réformes de la sécurité sociale en cas de maladie qui ont été menées sous l’impulsion de l’UE.
"Ce qui importe dans l’UE, ce sont la concurrence, le marché libre, pouvoir faire le maximum de profit le plus rapidement possible, c’est ce qu’on appelle la compétitivité", a dénoncé Jean-Claude Reding qui estime que se cache derrière ce terme une politique qui se fait aux dépens des conditions de travail et des salaires.
Les libéralisations et privatisations des services publics réalisées au nom de cette politique n’ont pas apporté les résultats promis, juge Jean-Claude Reding qui a cité pour exemples la libéralisation des transports ferroviaires en France et en Grande-Bretagne ou encore le regain de pauvreté énergétique qu’il lie à la libéralisation dans le secteur énergétique. Pour ce qui est de l’eau, selon Jean-Claude Reding, la politique européenne n’a pas aidé à mettre en œuvre une meilleure politique protégeant plus les ressources.
Jean-Claude Reding a enfin déploré l’envolée des inégalités sociales en Europe. Ainsi par exemple, l’UE vit-elle depuis désormais plus de 20 ans avec un chômage de masse bien que le traité de Lisbonne stipule qu’une politique visant le plein emploi doit être menée. "Dans la pratique, il n’en est rien", regrette Jean-Claude Reding qui dénonce l’importance accordée à l’employabilité des travailleurs plutôt qu’à la création de bons emplois.
"Cette politique européenne, qui, malgré toutes les mises en garde, a misé sur la globalisation de l’économie, qui a été le promoteur d’un capitalisme financier mondial dérégulé, est en partie responsable des crises que nous traversons depuis plus de 15 ans", accuse Jean-Claude Reding.
Et si l’Islande, l’Irlande, la Grèce, le Portugal, la Roumanie, et demain l’Espagne et d’autres après-demain, souffrent de graves difficultés économiques à cause de cette crise, ce n’est pas seulement en raison des erreurs, plus ou moins grandes, qui ont été commises sur le plan national, juge Jean-Claude Reding. Au fond, selon lui, ces pays sont en effet "victimes d’une crise mondiale du capitalisme financier déclenchée par de mauvaises politiques néolibérales, par des politiques qui ont misé sur la dérégulation plutôt que sur une répartition équitable de la richesse créée".
Et ce sont maintenant aux travailleurs et à leurs familles de payer pour les dégâts que d’autres ont causés, dénonce le syndicaliste qui souligne que "l’UE et le FMI contraignent ces pays en difficulté à la privatisation de services publics pour qu’ils puissent payer aux banques les taux d’intérêt exagérément élevés dus pour les prêts qu’ils ont souscrits afin d’empêcher l’effondrement de leurs secteurs financiers".
Quant aux salariés des autres pays européens, "ils doivent eux aussi payer", ajoute Jean-Claude Reding qui se réfère aux conclusions du Conseil européen des 24 et 25 mars et regrette que rien ne soit changé à la politique d’austérité actuellement menée, "avec son cortège de réformes structurelles" qui sont à ses yeux synonymes de démantèlement social.
Le Pacte Euro plus adopté lors de ce Conseil, qui a pour principal objectif le soutien de la compétitivité, en témoigne selon Jean-Claude Reding qui rappelle que, selon ce pacte, les Etats de la zone euro devraient mettre en œuvre des réformes pour que les coûts salariaux évoluent en fonction de l’évolution de la productivité. Les systèmes centraux de négociations salariales et les mécanismes d’indexation devraient être examinés, tandis que l’évolution salariale dans le secteur public devrait être freinée. Selon l’interprétation de Jean-Claude Reding, freiner l’évolution des salaires le secteur public permettrait de freiner plus aisément celle du secteur privé.
"Il va falloir nous attendre à de nouvelles attaques contre l’indexation des salaires et des pensions", met ainsi en garde Jean-Claude Reding. Pour lui, remettre en question incessamment l’index revient à remettre en question le modèle social luxembourgeois. Selon lui, la politique salariale dite modérée que le Pacte Euro plus entend poursuivre aurait pour conséquence non seulement une répartition plus inégale des richesses créées, mais aussi de conduire à de nouvelles crises économiques et sociales en Europe.
Pour le syndicaliste, le fait que de plus en plus de gens ne puissent plus s’identifier à l’UE n’est pas étonnant. "Dans leur déception et désarroi, de plus en plus d'électeurs n'utilisent plus leur droit de vote", note Jean-Claude Reding. Aussi, la percée de l’extrême droite ou de la droite nationaliste qui en résulte, "évolution politique catastrophique" à ses yeux, ne peut être stoppée selon lui qu’en montrant qu’il existe des alternatives économiques et sociales à l’actuelle politique européenne, qu’une Europe sociale n’est pas une utopie. Et le syndicaliste d’en appeler à la responsabilité de la gauche, - et notamment des socialistes, - des Verts, de l’aile sociale et syndicale des partis chrétiens : "ils doivent montrer que le démantèlement social n’est pas possible avec eux, ils doivent cesser de chercher pour excuse le fait que sans eux, les choses iraient encore plus mal".
Revenant à la politique nationale, Jean-Claude Reding a relevé que, lors de son discours sur l’état de la Nation du 6 avril dernier, le Premier ministre n’avait pas évoqué les résidents étrangers et les frontaliers qui devraient, de l’avis de Jean-Claude Reding, être pris en compte sur le plan social et économique au même titre que les Luxembourgeois. C’est à pour cette raison qu’il a critiqué les mesures prises en matière de politique familiale depuis 2006 qui discriminent les frontaliers.
Citant l’exemple des chèques services, Jean-Claude Reding a aussi évoqué les aides pour études supérieures qui viennent compenser, pour les enfants de résidents, la fin des allocations pour les enfants âgés de plus de 18 ans. Jean-Claude Reding voit là "une politique discriminatoire", dénoncée, comme il l’a souligné, par la Commission européenne, et qui est à ses yeux une erreur "dans un pays ouvert comme le Luxembourg, où plus d’un tiers des travailleurs sont des frontaliers".
"Plutôt que de tenir tête jusqu’à ce que nous soyons jugés par la Cour de Justice, il vaudrait mieux chercher de meilleures solutions autour de la table de négociations", a proposé sur ce point Jean-Claude Reding qui regrette que cette politique nuise aussi à "l’image de marque" du Luxembourg, notamment dans la Grande Région. Or, pour le président de l’OGBL c’est sur la coopération au sein de la Grande Région que le Luxembourg devrait miser.
Pour nombre des réformes évoquées dans son discours, c’est d’ailleurs vers la table des négociations qu’a appelé à se rendre le président de l’OGBL. Elles ne s’annoncent pas faciles, et l’OGBL a d’ores et déjà annoncé que ses adhérents seraient prêts à descendre dans la rue si nécessaire.