Lors du Conseil JAI extraordinaire convoqué le 12 mai 2011 à Bruxelles, les ministres européens en charge de l’Immigration étaient officiellement invités à débattre "des questions liées aux migrations en rapport avec l'évolution de la situation dans les pays du voisinage méridional." La communication de la Commission sur la migration du 4 mai 2011 était un sujet central, mais aussi la question des contrôles aux frontières intérieures comme extérieures de l’espace Schengen. La question de ces contrôles suscite de grandes discussions dans l’UE depuis la lettre franco-italienne du 26 avril 2011 et la décision danoise de rétablir les contrôles aux frontières avec l’Allemagne et la Suède.
Pour le président de la session du Conseil, le ministre hongrois Sandor Pinter, trois sujets devaient être débattus : le renforcement de l’espace Schengen et la préservation de la libre circulation des personnes, notamment à travers un renforcement des frontières extérieures et un renforcement éventuel des contrôles aux frontières intérieures, mais seulement sous conditions strictes et limitées dans le temps, un renforcement de la coopération avec les pays tiers et enfin la réalisation du régime d’asile européen commun.
La commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmström, qui avait présenté le 4 mai la communication de la Commission, avec à la clé un paquet d’idées et d’initiatives sur différents aspects des migrations, a clairement réitéré sa volonté de préserver et de protéger le système Schengen qui est à ses yeux un "acquis essentiel" de l’UE en permettant aux citoyens de voyager de la Finlande au Portugal sans être contrôlé. Les contrôles aux frontières intérieures doivent selon elle rester "un dernier recours".
Il faudra certes compenser, du point de vue de la commissaire, des points faibles du dispositif Schengen, notamment aux frontières extérieures et préciser les cas où l’absence de contrôles aux frontières intérieures pourra être suspendue. Reste qu’elle a, à l’instar de la Commission, "une vision plus communautaire des choses" et qu’il faudra éviter que certaines raisons soient évoquées "de manière unilatérale trop souvent".
Quant à la décision danoise de rétablir ces contrôles avec l’argument qu’il faut lutter contre la criminalité transfrontalière, Cecilia Malmström a dit qu’elle venait de recevoir la demande danoise, mais que la Commission n’avait pas encore eu le temps d’examiner sa légitimité. Elle a encore ajouté que le Danemark avait déclaré qu’il voulait "respecter toutes les règles en vigueur dans le cadre de Schengen".
Sandor Pinter a pour sa part fait la remarque que dans le cadre de Schengen, un Etat membre ne peut pas prendre de décision tout seul, mais dans le cadre de règles et pour une période limitée. Une réponse à une demande comme celle du Danemark doit être collective. "Schengen n’est pas en crise, il ne faut pas le sauver !", a-t-il lancé à la fin de sa conférence de presse.
Le ministre luxembourgeois de l’Immigration, Nicolas Schmit a apprécié l’approche de la Commission et de la commissaire Malmström, qui selon lui "ne propose pas de réponses simples à un problème complexe". Car pour le ministre, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures ne résout ni la question des poussées migratoires, ni celle de la criminalité transfrontalière. Cela est pour lui "une façon de voir des populistes en Europe qui grève le fonctionnement de l’espace Schengen et entame un des piliers fondamentaux de l’UE en jouant avec les peurs des citoyens".
Aux questions migratoires, il faut pour Nicolas Schmit une réponse globale. La Commission propose une approche stratégique des relations avec les pays tiers sur les questions liées aux migrations, à la mobilité et à la sécurité. Il faut aussi inclure le développement de ces pays.
Selon le ministre luxembourgeois, il faudra bien entendu renforcer les frontières extérieures, en veillant à ce que chaque État membre contrôle efficacement son segment de la frontière extérieure de l'UE, en impliquant encore plus l’agence FRONTEX, en impliquant surtout les pays tiers.
Sur le court terme, il faudra, selon Nicolas Schmit, intervenir également sur les conséquences migratoires déclenchées par la guerre civile en Libye. Des centaines de milliers de personnes, libyennes et surtout anciens émigrés en Libye, se retrouvent déplacées en Tunisie, en Egypte. Il faudra aider à les rapatrier dans leur pays d’origine, en accepter certains, qui ne peuvent être rapatriés en Europe, aider en attendant la Tunisie et les autres pays qui les abritent.
Nicolas Schmit s’est étonné, à l’instar de Sandor Pinter, que certains ministres et médias aient trouvé que Schengen serait en danger et qu’il faudrait le sauver. C’est y aller un peu fort, selon le ministre. Schengen, qui est pour lui un pilier de l’UE, n’est pour lui mis en danger que par la renationalisation des décisions et la méthode intergouvernementale. "Certains disent que le contrôle aux frontières est une affaire des Etats nationaux, qu’il faut une nouvelle gouvernance. Mais nous avons une gouvernance européenne, avec le Conseil, le Parlement européen et la Commission. C’est à ce système qu’il faut recourir, sinon nous affaiblissons l’UE et mettons vraiment en danger la libre circulation des personnes", a plaidé le ministre. Schengen est pour Nicolas Schmit un "pool de souveraineté" basé sur la solidarité et l’intérêt commun. Bref, "il ne faut pas sortir la Commission de la gouvernance de Schengen".
Préciser l’article 23 du code Schengen qui concerne les conditions permettant de rétablir le contrôle aux frontières intérieures ne pose pas de problème selon le ministre. Mais procéder comme le fait le gouvernement du Danemark, pour des raisons électorales et pour s’assurer le soutien des populistes d’extrême droite, cela est douteux. "Un Etat membre ne peut pas décider tout seul s’il est en conformité avec Schengen", affirme Nicolas Schmit, qui ne croit pas non plus que le contrôle aux frontières intérieures soit le meilleur moyen de lutter contre la criminalité organisée transfrontalière, mais plutôt "une vision simpliste des choses". "Une coopération policière transfrontalière comme celle prévue par Schengen est plus efficace que les contrôles aux frontières intérieures", pense-t-il.