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Economie, finances et monnaie
L’idée avancée par Jean-Claude Juncker d’une agence de privatisation suscite au nom de la souveraineté de la Grèce des critiques de Déi Lénk et du Tageblatt
25-05-2011


Dans son édition datée du 23 mai 2011, Der Spiegel publiait un entretien avec Jean-Claude JunckerDans une interview publiée dans l’édition de l’hebdomadaire allemand "Der Spiegel" datée du 23 mai 2011 et qui était en grande partie consacrée à la situation de la Grèce, Jean-Claude Juncker partait du principe que le gouvernement grec pourrait tirer de privatisations un revenu considérablement plus élevé que les 50 milliards d’euros qu’il a proposé de se procurer de la sorte. Pour mener à bien cette tâche, le président de l’Eurogroupe déclarait qu’il saluerait "la création par nos amis grecs d'une agence de privatisation indépendante du gouvernement, dans laquelle siègeraient des experts étrangers" et que cette agence pourrait s’inspirer du modèle allemand de la "Treuhandanstalt".

Si ces déclarations ont mené à de nombreux commentaires à l’étranger, au Luxembourg, cette déclaration a aussi suscité commentaires et critiques.

Déi Lénk : "Juncker abroge la souveraineté grecque"

Déi LenkParmi les premiers à réagir, le parti politique Déi Lénk, qui dispose d’un siège à la Chambre des Députés. Dans un communiqué intitulé "Juncker abroge la souveraineté grecque", Déi Lénk citent une phase de l’interview: "l’UE va accompagner le programme de privatisation aussi étroitement que si elle le menait elle-même". Pour Déi Lénk, ce ne seraient donc plus les élus des Grecs, mais les technocrates de Bruxelles qui détermineraient le cours des choses à Athènes. Et la "Treuhandanstalt" proposée par Juncker équivaut pour Déi Lénk à écarter du pouvoir à la fois le gouvernement grec et son opposition.

"Jamais il n’a été dit avec une clarté aussi brutale que les pouvoirs exécutif et législatif d’un pays fonctionnant sous le régime de la démocratie bourgeoise seraient dépossédés de leurs prérogatives pour faire passer l’intérêt du capital financier", jugent les auteurs du communiqué. Car pour Déi Lénk, "tout le monde sait entretemps que la dette grecque, qui rapporte gros aux banques du Nord, ne peut plus être remboursée à cause de la spéculation effrénée dont elle est l’objet". Ils concluent en dénonçant "l’arrogance avec laquelle Juncker met en cause la souveraineté grecque » qui conduira « à des réactions de colère justifiées en Grèce » et qui favorise « la marginalisation des pays du Sud et le nationalisme dans les pays du Nord." 

Pour le journaliste du Tageblatt Helmut Wyrwich, la "Treuhandanstalt" n’est pas pour un modèle pour la Grèce qui n’est pas comme l’ex-RDA un Etat qui a implosé

tageblattUn son de cloche similaire se lit dans une contribution du journaliste économique Helmut Wyrwich dans le Tageblatt du 25 mai 2011 sur les efforts européens pour maîtriser la crise des dettes souveraines, titré "Par pur désespoir".

Pour Helmut Wyrwich, l’option européenne pour "sauver la Grèce", c’est de lui transférer toujours plus d’argent. Et la proposition de créer une agence de privatisation par Jean-Claude Juncker a été lancée selon lui "par pur désespoir". Le journaliste rejette tout parallèle avec la "Treuhandanstalt" allemande qui a privatisé les biens de l’ex-RDA. Celle-ci "a travaillé dans un Etat qui avait implosé, qui n’existait plus". Elle ne peut donc, selon Helmut Wyrwich, servir de modèle pour la Grèce, un Etat qui fonctionne selon les principes du droit public "que le juriste Juncker ne saurait ignorer". Pour lui, il n’y a pas de raison pour que le FMI et l’UE "exproprient la Grèce, l’envahissent et bradent les biens du pays".

C’est pour lui comme si des experts se présentaient au Luxembourg pour vendre les participations de l’Etat à la BNP, de porter en bourse ses participations à la BGL, de faire un inventaire des participations de la SNCI, de vendre les parts de la SES et de faire passer les P&T dans les mains de France Télécom ou de Deutsche Telekom. "Cela ne plairait à personne. Il y aurait des manifestations. Le pays serait sens dessus sens dessous", imagine le journaliste.

Au-delà du fait que, selon Helmut Wyrwich, l’idée par Jean-Claude Juncker n’est pas assez précise et qu’elle sème la confusion dans la diplomatie européenne, "de telles propositions montrent aussi que l’on ne sait plus très bien en Europe ce que l’on peut encore faire". L’assainissement brutal des budgets à induit une baisse de la croissance et une hausse du chômage. Elle a déclenché la colère populaire et les gouvernements, comme celui de la Grèce, hésitent à prendre de nouvelles mesures. Pour Helmut Wyrwich, il serait logique que le gouvernement grec vende une partie des biens de l’Etat pour récupérer des fonds. Mais ce serait à lui de disposer, et non à une agence inspirée par Jean-Claude Juncker et instaurée par les pays de la zone euro, qui "violerait de ce fait la souveraineté grecque".

Même si l’analyse de Helmut Wyrwich rejoint ici celle de Déi Lénk, il faut remarquer qu’il n’a pas tenu compte des propos de Jean-Claude Juncker recueillis par son confrère Guy Kemp, lui aussi du Tageblatt, et publiés dans la même édition du quotidien, où celui-ci revient sur l’exemple allemand, mais précise, au regard de la souveraineté grecque, qu’il s’agit là d’"une décision qui doit venir de la partie grecque".

Reste que pour Helmut Wyrwich que la proposition de Jean-Claude Juncker montre "un manque de sensibilité" qui résulte de quatre erreurs politiques.

La première a été selon le journaliste de laisser la Grèce adhérer à l’euro.

La deuxième a été de faire de l’euro une communauté de solidarité, qui est d’ores et déjà sollicitée, outre la Grèce, par l’Irlande et le Portugal, et bientôt, dixit le journaliste, par l’Espagne et l’Italie. Cette solidarité implique des paiements dans un fonds qui « dépasse les capacités de certains Etats », comme l’Allemagne, qui a imposé des versements par tranches.

La troisième erreur a été selon Helmut Wyrwich de transformer la BCE de gardienne de la stabilité monétaire en agence de gestion des dettes souveraines, qui a acheté jusqu’à 80 milliards de papiers douteux.

La quatrième erreur a été de ne pas avoir envisagé dès le début de la crise des restructurations de la dette, ou son annulation ou bien une faillite.

La politique de l’Eurogroupe pousse selon le journaliste les citoyens européens dans les bras de l’extrême droite, comme en France, où la somme du redressement du système de sécurité sociale est égale à la somme que la France a dû souscrire pour le mécanisme de gestion de crise en Grèce, au Portugal et en Irlande. Là aussi, le journaliste, pourtant bien intégré dans les milieux financiers, développe une thèse qui se recoupe avec celle de Déi Lénk.