Le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qui est aussi président de l’Eurogroupe, a accordé à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel un long entretien dans lequel il fait le point notamment sur la situation de la Grèce qui fait l’objet de nombreuses inquiétudes comme en a témoigné la dernière réunion de l’Eurogroupe.
Dans cette interview publiée dans l’édition datée du 23 mai 2011, le ton de la rédaction est pour le moins critique et piquant, une humeur qui semble refléter un certain état d’esprit dans la presse allemande à l’égard de Jean-Claude Juncker ces derniers jours. Le 20 mai, la Frankfurter allgemeine Zeitung (FAZ) titrait "Der Überforderte" un article s’en prenant au président de l’Eurogroupe qui apparaissait par ailleurs, pour la deuxième fois en deux semaines environ, dans la rubrique "Pinocchio des Tages" du Handelsblatt. La réunion de Senningen, tenue secrète malgré les révélations du Spiegel Online semble rester un grief pour les journalistes d’outre-Moselle, et la rédaction du Spiegel n’a donc pas manqué de revenir sur le sujet.
"La Grèce a mis en œuvre le plan de consolidation sur lequel nous nous sommes entendus de façon insatisfaisante", souligne le président de l’Eurogroupe quand la rédaction du Spiegel en vient plus précisément au cas de ce pays. Jean-Claude Juncker rappelle en effet que les rentrées sont bien en-dessous de ce qui était prévu, que la réforme du système fiscale n’avance pas comme prévu et que les privatisations planifiées n’ont pas encore commencé. Des lacunes qui ont été à l’ordre du jour de la dernière réunion des ministres des Finances qui a ainsi permis d’en parler de vive voix avec le ministre grec des Finances.
Selon Jean-Claude Juncker, la Grèce peut encore faire des efforts sur le plan budgétaire, tandis que l’appareil d’Etat peut être réduit. C’est sans compter les biens considérables que possède l’Etat. Jean-Claude Juncker part ainsi du principe que le gouvernement grec pourrait tirer de privatisations un revenu considérablement plus élevé que les 50 milliards d’euros qu’il a proposé de se procurer de la sorte.
"L’Union européenne va accompagner le programme de privatisation aussi étroitement que si elle le menait elle-même", annonce Jean-Claude Juncker à un journaliste curieux de savoir s’il sera nécessaire de renforcer la pression sur la Grèce. "Je saluerais la création par nos amis grecs d'une agence de privatisation indépendante du gouvernement, dans laquelle siègeraient des experts étrangers", a ajouté encore Jean-Claude Juncker, précisant que cette agence pourrait s’inspirer du modèle allemand de la "Treuhandanstalt".
Les attentes des partenaires européens concernent aussi le comportement des deux grands partis politiques grecs qui devraient, selon Jean-Claude Juncker, "mettre de côté leurs petites disputes dans cette question politique qui relève du destin du pays". Il appelle donc gouvernement et opposition à se prononcer ensemble en faveur des accords sur les réformes conclus avec l’UE.
Pour autant, Jean-Claude Juncker considère que "la Grèce n’est pas en faillite", une analyse qu’il fonde sur celle d’experts du FMI et de la BCE. "Je suis fermement convaincu qu’il est possible, dans un effort commun, de sortir la Grèce de la crise", a déclaré le président de l’Eurogroupe.
Ainsi que l’a souligné Jean-Claude Juncker en réponse à un journaliste inquiet de voir la Grèce avoir une dette représentant presque 160 % du PIB, la Grèce n’est pas le seul Etat à avoir un très fort taux d’endettement. Et pourtant, personne n’oserait affirmer que le Japon ou les Etats-Unis par exemple sont en faillite du fait de leur taux d’endettement. Certes, a-t-il aussi reconnu, à la différence du Japon et des Etats-Unis, la Grèce ne peut cependant pas dévaluer la monnaie en cas d’urgence. Mais "le gouvernement grec n’est pas impuissant" selon Jean-Claude Juncker qui souligne que la Grèce peut "renforcer sa compétitivité, mener une politique économique raisonnable et créer plus de croissance".
L’alternative à cette politique telle que la décrit Jean-Claude Juncker est pour le moins sinistre : "si la Grèce devait se déclarer demain en faillite, le pays n’aurait plus accès pendant des années aux marchés financiers internationaux et ses principaux créditeurs, les banques en Allemagne et en Europe, auraient un immense problème dont les conséquences pour le marché ne sont pas mesurables".
Et quand la rédaction du Spiegel lui reproche d’exagérer au vu de la bonne santé des institutions de crédit européennes, Jean-Claude Juncker appelle à la prudence. "Nous sommes toujours à l’épicentre d’une crise globale", juge en effet le président de l’Eurogroupe qui complète le tableau en précisant que "nous avons affaire à des marchés qui continuent à agir de façon irrationnelle, à des investisseurs nerveux et à des agences de notation dont les analyses ne sont pas toujours incontestablement compréhensibles".
Quant à la "restructuration douce" évoquée par Jean-Claude Juncker, sur laquelle la rédaction du Spiegel souhaitait avoir des précisions, il faut avant tout que la Grèce mette en œuvre le programme de consolidation prévu. "Quand cela sera fait, nous pourrons réfléchir en contrepartie à un allongement de la durée des crédits publics et privés et à une baisse des taux", explique Jean-Claude Juncker. "Cette restructuration douce" serait donc à ses yeux "la dernière étape d’un très long processus". Bien entendu, précise encore Jean-Claude Juncker, une telle restructuration ne peut être envisageable que dans des cas bien précis et selon certaines conditions particulières, car il faut s’assurer qu’elle ne soit pas évaluée par les agences de notation comme un défaut de paiement.
"Que va-t-il se passer si l’on se retrouve ici dans un an pour constater que la Grèce n’est toujours pas sur la voie de l’assainissement ?", demande alors la rédaction de l’hebdomadaire. Pour Jean-Claude Juncker, la question ne se posera pas.
Quant au contribuable européen, il n’a pour le moment pas payé un cent pour le sauvetage des pays de la zone euro qui ont eu besoin d’aide, ainsi que l’a rappelé Jean-Claude Juncker. "Bien au contraire", a-t-il même précisé, "la Grèce paie actuellement des taux importants aux pays prêteurs".
"Les acquis de l’intégration européenne sont remis en question par calcul politique à court-terme", regrette de façon plus générale le Premier ministre luxembourgeois en réaction à l’évocation par la rédaction du Spiegel des retours en arrière de l’intégration qui sont souvent le fait de tendances populistes. "Les gens se sont vus imposer beaucoup de changements au cours des vingt dernières années, de la mondialisation à la réorganisation de l’Europe", constate Jean-Claude Juncker qui estime que "si nous ne donnons pas corps au projet européen de façon à ce qu’il soit bien accueilli par les gens, nous courons le risque qu’il échoue".
"Nous ne devons pas confondre la politique et l’étude des sondages d’opinion", a enfin lancé Jean-Claude Juncker au sujet de l’euroscepticisme qui semble émerger des urnes selon le Spiegel. "J’observe avec inquiétude que le sentiment qu’il faut céder à ces humeurs se répand y compris dans les grands partis populaires d’Europe", a déclaré Jean-Claude Juncker qui met en garde contre toute tentative de "singer les populistes".