Le 16 juin 2011, l’ambassadeur Jacques de Watteville, chef de la Mission de la Suisse auprès de l’UE, a pris à Luxembourg la parole devant la Chambre de commerce suisse pour la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg, pour évoquer les relations entre la Suisse et l’Union européenne et les enjeux financiers de ces relations.
Dans ce contexte, il a mis en exergue les relations "particulièrement étroites" entre la Suisse et le Grand-Duché de Luxembourg : "Nous avons de nombreux points communs mais aussi d’importants intérêts communs", a-t-il postulé en guise de mise en bouche. Quant à ses relations avec l’UE, « les circonstances ont conduit la Suisse à opter pour une approche pragmatique, appelée la 'voie bilatérale', permettant une forte intégration dans l’UE sans en être membre." Enclavée au cœur de l’UE, elle "est institutionnellement un pays tiers". Néanmoins, les relations avec l’UE, Jacques de Watteville les a qualifiées de "vastes et intenses, globalement bonnes à très bonnes, même si parfois il y a des dossiers difficiles."
L’imbrication avec l’UE va loin. Quelques éléments fournis par Jacques de Watteville : "La Suisse est le deuxième partenaire économique de l’UE (si l’on tient compte du commerce des marchandises, des services et des investissements) après les USA, mais devant la Russie et la Chine. Elle occupe le 4e rang en ce qui concerne les échanges commerciaux et constitue après les Etats Unis et la Chine le troisième marché le plus important pour les produits de l’UE (part de 7,8 % dans les exportations totales de l’UE en 2010). Le commerce CH-UE dépasse les 1,3 milliards de CHF/jour ouvrable, dégageant un surplus de 24,5 milliards de CHF par an en faveur de l’UE en 2010. La Suisse est aussi le 2e investisseur étranger dans l’UE (378 Mrd CHF). Les entreprises suisses emploient plus de 1 million de personnes dans l’UE, plus de 1 million d’Européens vivent et travaillent en Suisse, et plus de 200'000 frontaliers viennent travailler chaque jour en Suisse. La Suisse est donc un partenaire important pour l’UE, dont le commerce avec l’UE pèse à lui seul plus lourd que celui de tous les pays de l’EEE réunis. A cela s’ajoutent des contributions spécifiques, comme la construction du plus long tunnel du monde, sous le massif du St Gothard, pour mieux relier le nord et le sud de l’Europe."
La libre circulation des personnes est devenue un autre élément essentiel de ces relations au quotidien. En 2010, plus de 140 personnes provenant de l’UE sont venues en moyenne chaque jour ouvrable s’établir et travailler en Suisse qui fait partie de l’espace Schengen.
La Suisse soutient l’UE par des contributions financières à la stabilisation et au développement de l’Europe de l’Est et des Balkans (env. 3 milliards d’Euros) et une contribution à l’élargissement et à la cohésion destinée aux Etats ayant adhéré à l’UE en 2004 et 2007 (env. 1,26 milliards de CHF).
La densité des relations économiques entre la Suisse et l’UE a des implications qui vont très loin. La crise grecque a aussi affecté la Suisse à travers la hausse du cours du franc suisse par rapport à l’Euro, ce qui a entamé la compétitivité de ses exportateurs. La Suisse contribue aux efforts de stabilisation, tant par une intervention massive de sa Banque nationale sur le marché des changes – la BNS a acheté pour plus de 160 Mrd d’Euros, contribuant à soutenir le cours de l’Euro alors qu’il était attaqué par divers spéculateurs - que par sa participation substantielle aux efforts du FMI.
Par ailleurs, la Suisse partage les objectifs et les valeurs de l’UE et est sorti depuis quelques années de on isolement diplomatique volontaire. Elle prend entre autres part, avec des experts civils et militaires aux missions européennes Eulex au Kosovo, EUPM et EUFOR Althéa en Bosnie-Herzégovine. Elle participe aussi à la KFOR au Kosovo.
Les relations avec l’UE s’appuient sur quelque 120 accords bilatéraux sectoriels, qui lui donnent « un bon accès, mais un accès partiel seulement », au marché intérieur de l’UE qui est en voie d’approfondissement.
Dans ce cadre, Jacques de Watteville a souligné que son pays consacre "beaucoup d’énergie à une défense optimale des intérêts suisses dans les domaines de la fiscalité des entreprises, de l’épargne et de la coopération dans la lutte contre les délits fiscaux".
Les autres négociations ou discussions en cours touchent au domaine agro-alimentaire et de la santé, à l’électricité, à l’environnement, aux produits chimiques (Reach), à Galileo, à l’accès au marché des services financiers, à la collaboration entre autorités compétentes en matière de concurrence, à la gestion de l’accord Schengen ou à celui sur la libre circulation des personnes. La Suisse cherche aussi à avoir un plein accès au marché de l’UE et avec la Commission, elle analyse « les possibilités d’adapter de façon dynamique ces accords au développement du droit européen, d’assurer une interprétation cohérente et un contrôle de leur mise en œuvre similaire à ce qui existe dans l’UE, tout en respectant la souveraineté des deux parties. » Des discussions dont l’’issue « aura un impact important sur l’avenir et la potentialité du développement des relations bilatérales entre la Suisse et l’UE ».
Crise économique et financière internationale, déficits publics abyssaux, chasse à l’évasion fiscale, une concurrence plus dure entre places financières, des pressions croissantes pour plus de transparence, un renforcement de la coopération internationale, notamment dans la lutte contre l’évasion fiscale, voilà le contexte dans lequel la Suisse se voit actuellement évoluer. "En particulier, il faut s’attendre à terme à de fortes pressions pour développer encore l’assistance administrative, y compris l’échange automatique d’informations prôné par l’UE", conclut l’ambassadeur dans son évocation di contexte, des pressions que le Luxembourg et la Suisse subissent en commun.
Les défis principaux pour la Suisse sont :
Sa stratégie en matière de place financière consiste à ne plus accepter des avoirs non fiscalisés provenant d’autres pays. Comme le Luxembourg, elle a rapidement mis en œuvre le standard de l’article 26 de la Convention modèle de l’OCDE et collabore à la lutte contre la fraude fiscale et à la soustraction d’impôt.
Dans ce contexte, « plusieurs dossiers complexes » l’occuperont avec l’UE sur la fiscalité de l’épargne, l’échange d'informations à la demande en matière fiscale (art. 26 OCDE), l’accord fraude, les régimes fiscaux cantonaux, le code de conduite en matière de fiscalité des entreprises et les négociations avec l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Jacques de Watteville analyse la situation de la manière suivante : "L'UE est en train de réviser la Directive européenne sur la fiscalité de l'épargne. Pour réduire les "loopholes" (lacunes) affectant la directive et qui permettent actuellement de contourner cette directive, l’UE entend élargir son champ d'application, en incluant de nouveaux produits financiers, et l'appliquer aussi aux bénéficiaires de certaines personnes morales ou constructions juridiques intercalées, notamment les fondations et les trusts. Les travaux de l’UE touchent à leur fin et la Commission espère qu’un accord interviendra tout prochainement au Conseil des Ministres, tant sur la révision de la directive que sur l’octroi d’un mandat de négociation pour adapter en conséquence les accords conclus avec les pays tiers. Quelques points restent encore ouverts, comme la définition des produits d’assurance vie qui devraient être couverts par la directive et quelques questions techniques, concernant notamment des aspects de procédure. Les véhicules financiers comme les trusts devraient également être soumis à la directive, bien qu’il reste des incertitudes concernant les modalités d’application de ces dispositions et leur impact effectif. Le succès de cette réforme implique que les pays tiers européens qui ont conclu des accords avec l'UE (Suisse, Liechtenstein, Monaco, Andorre, St-Marin) adoptent les mêmes mesures. La Suisse s’attend donc à être approchée prochainement par la Commission, lorsque les travaux auront suffisamment avancé au Conseil."
Par ailleurs, Jacques de Watteville constate que "l’extension du champ d’application de l’accord sur la fiscalité de l’épargne, combinée avec le passage du taux d’imposition à la source de 20 % à 35 % en juillet 2011, aurait un impact substantiel sur la compétitivité de la place financière suisse et il serait important qu’en échange de ses éventuelles concessions, la Suisse obtienne des contreparties tout aussi substantielles."
L’accord actuel, qui est basé sur l’imposition libératoire à la source et l’information à la demande, fonctionne bien selon la Suisse. Il a permis la restitution "en 2010 324 millions de CHF aux pays de l’UE". Par ailleurs, la Suisse insiste auprès de l’UE que des accords similaires soient conclus avec d'autres places financières comme Singapour, Hong Kong ou Dubaï. « En effet, il apparaîtrait peu judicieux de créer des conditions qui auraient pour effet de chasser des capitaux importants en Asie alors qu’on en aurait grand besoin en Europe. Or, il semble que peu de progrès concrets aient été accomplis avec ces pays à ce jour », constate l’ambassadeur suisse auprès de l’UE.
"Parallèlement", constate-t-il, "la pression monte sur le Luxembourg et l'Autriche pour qu'ils passent à l'échange automatique d'informations." Maintenant, "certains Etats membres (..) sont d’avis qu'avec les engagements pris par les pays tiers de procéder à l'échange d'information à la demande, selon le standard de l'art. 26 OCDE, le moment est venu pour tous les pays de l'UE de passer à l'échange automatique comme prévu à l'art. 10 de la directive sur la fiscalité de l'épargne."
Selon ses informations, "le Luxembourg et l’Autriche contesteraient cette position et rappelleraient qu’aux termes de cet article 10, la période transitoire permettant le recours à la retenue à la source devrait prendre fin lorsque les pays tiers européens auront conclu des accords avec l’UE consacrant l’échange d’informations à la demande (standard OCDE) et lorsque les USA auront pris des engagements similaires (seconde condition qui semblerait être déjà considérée comme remplie par l’UE). Par ailleurs, l’Italie a demandé un rapport à la Commission sur le fonctionnement de la Directive sur la fiscalité de l’épargne qu’elle estime insatisfaisant, et elle s’opposerait à toute décision tant que ce rapport n’est pas sorti. Or, ce rapport devrait sortir dans les prochains jours. La Présidence hongroise a proposé au Conseil de charger la Commission de préparer un mandat de négociation avec les pays tiers européens, proposition qui serait bloquée pour l’instant par l’Italie. La position de l’UE n’est pas encore consolidée sur ces questions et il est possible qu’elles soient discutées à l’occasion du Conseil Ecofin du 12 juillet prochain."
L’ambassadeur établit un lien fort entre l’échange d’informations selon l’art. 26 de l’OCDE et les accords de la Commission avec les pays tiers en fonction de ce standard.
Suite aux pressions exercées par le G-20 au printemps 2009, un grand nombre de pays dont le Luxembourg, l’Autriche et la Suisse ont décidé de s’aligner sur le standard de l’article 26 de la Convention modèle de l’OCDE. Depuis, la Suisse a déjà renégocié 33 accords bilatéraux pour éviter la double imposition en reprenant le standard de l’OCDE. 16 de ces accords ont été conclus avec des pays membres de l’UE et 10 de ces accords sont déjà entré en force. Ces efforts lui ont permis de sortir rapidement de la "liste grise" du G-20.
La Commission souhaite que tous les Etats membres de l’UE bénéficient du minimum du standard de l’article 26 OCDE. Il est probable que le Conseil veuille donner prochainement un mandat à la Commission pour négocier des accords avec les pays tiers consacrant l'échange d'information à la demande sur la base de l’article 26 de la Convention modèle de l'OCDE.
Un tel mandat devrait être adopté à l’unanimité. Ainsi, si le Luxembourg (et/ou l’Autriche) ne voulait pas que l’UE conclue un tel accord avec la Suisse - pour ne pas remplir une des conditions de l’article 10 de la Directive sur la fiscalité de l’épargne conduisant à la fin de la période transitoire menant à l’échange automatique d’information - il pourrait (juridiquement) ne pas donner un mandat à la Commission de négocier un tel accord."
Quant à l’accord sur la lutte contre la fraude en matière de fiscalité indirecte conclu entre la Suisse et l’UE en 2004, il est appliqué provisoirement depuis avril 2009 avec l'Union européenne, l’Allemagne, la Bulgarie, l’Estonie, la France, le Royaume-Uni, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Suède, la Finlande et les Pays-Bas. L’accord n'est pas encore ratifié par la Grèce et l’Irlande.
Il s’agit d’un dossier aux enjeux « considérables » mais qui s’est enliés depuis 2009. En bref : la Commission a accusé la Suisse de violer l’accord de libre-échange de 1972 avec des régimes fiscaux discriminatoires favorisant les sociétés holdings, les sociétés mixtes et les sociétés administratives, régimes qui sont assimilés par l’UE à des aides d’Etat indues qui faussent la concurrence au sein du marché intérieur auquel ces compagnies ont accès. L’UE a demandé l’adaptation ou l’abolition de ces régimes en 2007 et pour accroître sa pression, elle a menacé d’introduire un "parallélisme" faisant dépendre tous progrès dans d’autres dossiers des progrès réalisés dans celui des régimes fiscaux cantonaux. La Suisse a "dès le début réfuté catégoriquement l’accusation de violer l’accord de 1972". Pour la Suisse, l’accord de 1972 règle exclusivement le commerce de certaines marchandises et les questions d’imposition des entreprises en sont exclues. Les régimes fiscaux contestés "sont bien antérieurs à 1972" et "ils n’ont pas été thématisés dans les négociations de l’époque". D’autre part, on comprend du côté suisse que "la délocalisation de sociétés de l’UE vers la Suisse a créé de fortes irritations" et que, "si la Suisse veut maintenir et développer son accès au marché européen, elle ne peut pas en ignorer les règles." Mais entretemps, un pays de l’UE bloque le dossier. Reste que la problématique concernant les régimes fiscaux cantonaux a rebondi lors du Conseil ECOFIN du 8 juin 2010, lorsque le Conseil a invité la Commission à engager un dialogue avec la Suisse et le Liechtenstein sur l’application des principes et des critères du Code de conduite sur la fiscalité des entreprises. Ici, la Suisse "souhaite parvenir dans un premier temps à une entente sur les paramètres et les modalités d’un éventuel futur dialogue", car comme non-membre de l’UE, elle ne veut pas « prendre des engagements généraux sans avoir les mêmes droits que ses partenaires".
Un dossier qui intéresse particulièrement le Luxembourg sont les négociations que la Suisse mène avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, pour elle "les deux principales places financières et économiques de l’UE", sur des accords prévoyant une retenue à la source libératoire, dont le champ d’application serait nettement plus large que celui de la directive sur la fiscalité de l’épargne et un mécanisme de contrôle du bon fonctionnement de l’accord. "Ces accords comprendraient aussi une procédure de régularisation des fonds non déclarés déposés en Suisse dans le passé. Une amélioration de l’accès au marché fait aussi partie intégrante de cette approche, qui reprend des éléments du concept « Rubik » promu par l’Association suisse des banquiers", a expliqué Jacques de Watteville
Le Conseil fédéral reste opposé à un "échange automatique d’informations". La Suisse pense selon De Watteville que « le système prôné par l’UE, qui soumettrait le citoyen à un contrôle permanent, est (..) moins efficace qu’une retenue à la source combinée avec un échange d’informations à la demande, et il n’est pas non plus un standard international de l’OCDE ou du G-20." Et il continue : "Selon les déclarations des Ministres allemand et suisse des finances, cette solution devrait être équivalente à l’échange automatique d’informations prévu dans la directive. En fait, elle serait même plus performante et efficace, tout en préservant mieux la sphère privée des citoyens. Malgré la complexité des discussions, il y a bon espoir d’arriver à des accords cet été."
Au cours de la discussion, l’ambassadeur a précisé sa pensée : "C’est un accord qui ne prévoit pas un échange d’informations, donc de chiffres, mais des restitutions fiscales qui portent sur un éventail bien plus large de produits que l’épargne." Un perspective que le député et chef du groupe politique CSV Lucien Thiel, présent, a acquitté d’un "Si vous êtes confiants, c'est bon signe et cela pourra peut-être servir de modèle".