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Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Dans une étude publiée pour la rentrée sociale, la Chambre des Salariés se penche sur les liens entre inflation et compétitivité, l’indexation des salaires apparaissant au cœur de la problématique
15-09-2011


Dans un entretien au quotidien belge Le Soir du 3 septembre 2011, Jean-Claude Juncker rappelait avoir "proposé en avril 2010 aux partenaires sociaux luxembourgeois, au gouvernement, à la majorité parlementaire de limiter l'indexation pour un certain niveau de revenus", ce qui a été rejeté. Le Premier ministre luxembourgeois estime cependant en cette rentrée 2011 que "lorsqu'il s'agit d'organiser la solidarité en temps de crise, c'est une idée généreuse et sociale". Suite aux recommandations faites au niveau européen, les gouvernements belge et luxembourgeois doivent, selon Jean-Claude Juncker, "travailler à rendre l'indexation compatible avec la compétitivité". "Je suis pour l'indexation des salaires mais en temps de crise, il faut réfléchir avec les partenaires sociaux à une forme de modération", déclarait-il ainsi, laissant clairement la porte ouverte aux discussions sur ce sujet combien sensible au Luxembourg.Chambre des Salariés

A l’heure de la rentrée sociale – la tripartite est prévue pour la fin du mois de septembre 2011 -, la Chambre des Salariés (CSL) est au rendez-vous avec la présentation, le 15 septembre 2011, d’une étude fournie sur l’inflation, les modulations de l’index et  la compétitivité.

Autant de sujets qui risquent d’être au cœur des négociations sociales dans la mesure où, dans ses recommandations exprimées dans le cadre du semestre européen, la Commission européenne invite le Luxembourg à  réformer le système de fixation des salaires, l’objectif étant de "faire en sorte que l’évolution des salaires reflète mieux l’évolution de la productivité et de la compétitivité".

Une inflation "tout à fait à la norme" au Luxembourg

Dans cette étude, la Chambre des Salariés se penche dans un premier temps sur les origines de l’inflation au Luxembourg, en traquant dans une comparaison internationale les produits qui ont le plus contribué à l’inflation ces dernières années et qui expliquent ainsi les divergences minimes de trajectoire dans l’évolution des prix à la consommation.

La Chambre des Salariés étudie aussi l’influence de l’indexation automatique des salaires sur cet indicateur pour déterminer quel rôle elle pourrait jouer dans la hausse des prix. Sont aussi présentées quelques simulations illustrant ce qui aurait pu/dû être l’évolution globale des prix si le prix de certains produits avait évolué au Luxembourg de la même manière que ces mêmes prix dans un autre pays européen.

La conclusion que la CSL tire de cette analyse : le Luxembourg connaît "une inflation tout à fait dans la norme". "A eux seuls quelques éléments du panier de consommation peuvent expliquer le résultat intermédiaire du Luxembourg ainsi que le différentiel infime d’inflation par rapport aux pays voisins", constate en effet la CSL. "Que se serait-il passé si les pays voisins avaient connu, avec leur pondération respective, une progression des prix administrés, des loyers (deux catégories de prix totalement déconnectées de la notion de compétitivité-prix, mais bien connectés à la notion de pouvoir d’achat) ainsi que des prix de l’électronique grand public identique au Luxembourg ?", se demande les auteurs de la Chambre des Salariés. Une simulation montre "qu’en jouant simplement sur quelques paramètres, cela aurait suffi à resserrer très nettement les taux d’inflation, la zone euro et la Belgique se trouvant légèrement au-dessus du Luxembourg et l’Allemagne et la France à un niveau légèrement inférieur".

"Les coûts salariaux ne sont nullement la cause de l’inflation luxembourgeoise"

Pourtant, relève la CSL, certains incriminent, "par facilité ou pour des raisons moins avouables", le rôle des coûts salariaux dans l’inflation luxembourgeoise. Ce faisant, accusent les auteurs de l’étude, "ils détournent l’attention par exemple de la pression que peuvent exercer sur les prix à la consommation finale les consommations intermédiaires des entreprises ou les taux de marge ambitieux fixés par les dirigeants d’entreprise". Beaucoup de prix de biens de consommation augmentent en effet légèrement plus rapidement au Luxembourg que dans les pays voisins, un constat qui amène la CSL à se demander quelles sont les causes structurelles de la trajectoire luxembourgeoise de l’inflation.

La première réponse qu’entend apporter la CSL, c’est que les coûts salariaux luxembourgeois ne peuvent nullement en être la cause. En fait, si les coûts salariaux luxembourgeois progressent plus rapidement, c’est moins en raison de l’index que des tensions sur le marché du travail, plaide en effet la CSL qui met en exergue le fait qu’entre 2000 et 2010, l’emploi a progressé de 3,1 % par an, soit la progression de l’emploi la plus forte de toute l’UE, contre 0,3 % en Allemagne.

La Chambre avance qui plus est le fait que les coûts salariaux sont en fait "minimes dans les composantes des prix des biens de consommation" : la plupart de ces biens sont importés, et les marges par emploi des entreprises sont au Luxembourg les plus élevées d’Europe.

Les explications à l’inflation luxembourgeoise sont donc à chercher ailleurs : par exemple dans la structure même du commerce qui diffère de celle des pays voisins, dans le fait que les centrales d’achat y ont une puissance d’achat, et donc de négociation des prix fournisseurs, moins fortes. C’est sans compter le pouvoir d’achat qui est supérieur au Luxembourg, ce qui influe sur les modes de consommation.

Enfin, l’inflation est tout simplement liée à la forte croissance économique du Luxembourg, les pays de l’OCDE connaissant le plus d’inflation étant généralement les pays à plus forte croissance. Sans compter que de ce point de vue, la croissance du Luxembourg, avec 0,5 point d’inflation pour 1 point de croissance, est même l’une des moins inflationnistes de l’OCDE.

"Toute modification supplémentaire future du système, par le biais du panier, du report d’échéance ou d’une autre voie ne pourra qu’amplifier la dévalorisation déjà prononcée des salaires"

Dans une troisième partie, la CSL procède à des simulations visant à voir quel serait l’effet éventuel de telle manipulation ou telle modulation du système d’indexation sur l’échéance des tranches indiciaires. Un "petit exercice de style" qui entend "montrer que, en dépit de l’indexation automatique, les salaires perdent de leur valeur, ce qui menace réellement le pouvoir d’achat".

"Que faut-il encore de plus aux partisans d’un changement dans l’indexation automatique des salaires ?", interrogent les auteurs de l’étude pour lesquels "toute modification supplémentaire future du système, par le biais du panier, du report d’échéance ou d’une autre voie ne pourra qu’amplifier la dévalorisation déjà prononcée des salaires".

Pour la CSL, les modulations opérées entre 2006 et 2011 se sont "avérées inutiles dans le changement de trajectoire espéré de la dynamique des salaires, sauf à transférer du pouvoir d’achat des salariés vers les entreprises les plus profitables d’Europe". Quant au report de la tranche indiciaire à octobre 2011, c’est pour la CSL une "mesure superflue". Pour ce qui est de la sortie des seuls carburants du panier des produits servant à l’indexation, la CSL estime que cette modulation risque d’être "inopérante" : si sur le long terme, cela ne changera rien, c’est en revanche au moment où les salariés en ont le plus besoin qu’ils perdront leur pouvoir d’achat pour le récupérer au moment où ils en ont le moins besoin, plaide la CSL qui rappelle par ailleurs que, le prix du pétrole suivant à priori les cycles économiques, cela risque d’engendrer des sauts de tranche en période de creux cyclique et, inversement, de les supprimer en phase haute.

La CSL remet en question "la pertinence et le bien-fondé" de certains discours qui assimilent "trop vite et de manière trop automatique, presque robotique" inflation et perte de compétitivité des entreprises luxembourgeoises

Dans une dernière partie, la CSL s’interroge "sur la pertinence et le bien-fondé de certains discours qui assimilent trop vite et de manière trop automatique, presque robotique inflation et soi-disant perte de « compétitivité » des entreprises luxembourgeoises".

D’après l’analyse de la CSL, de nombreuses "limites méthodologiques entachent la pertinence des prix à la consommation en tant qu’indicateur de `compétitivité-prix´ pour le Luxembourg et rendent insignifiante leur portée".

Ainsi, la trajectoire des prix à la consommation n’indiquerait en rien une possible augmentation des coûts plus rapide et pénalisante pour la "compétitivité" des entreprises luxembourgeoises. De nombreux biens et services (prix administrés, services de proximité, etc.), qui représentent environ 40 % des produits et entrent dans la composition de l’indice des prix à la consommation, ne sont en réalité pas soumis à la concurrence internationale. Or, argue la CSL, ce sont précisément des biens et services qui ont fortement pesé sur l’inflation, notamment par l’intermédiaire des prix administrés.

De même, observent les auteurs de l’étude, la consommation des ménages, qui sert de base au calcul de l’inflation, est très peu représentative des activités productives luxembourgeoises : "Non seulement la structure de la production est très éloignée de la structure de la consommation, mais, en outre, avec simplement quelque 12 milliards d’euros en 2009, la consommation des ménages est sans commune mesure avec la valeur de ce que le Luxembourg a produit la même année, à savoir 100 milliards d’euros de valeur totale", est-il indiqué.

Ainsi, résume la CSL, les prix à la consommation échappent en grande partie à la concurrence internationale et ils représentent en sus très mal l’ensemble des activités productives du Luxembourg. En outre, la relation prix (hors consommation) - "compétitivité" n’est "absolument pas établie dans le cas du Luxembourg" et suggérerait même, ajoutent les auteurs, "une relation inverse à la relation souhaitée entre perte de compétitivité et augmentations de prix".

Au final, conclut la CSL, "il semble clair que, contrairement aux idées reçues, l’inflation luxembourgeoise, qui n’est guère divergente du reste de la zone euro, nuit bien davantage aux ménages – dont la valeur des revenus du travail s’érode notamment en cas de modulation de l’index – qu’aux entreprises dont les performances ne sont finalement pas affectées par la progression des prix à la consommation".