"Schengen est un système perfectible et bien en route", a-t-il commencé par dire, "mais l’actualité nous réserve des surprises et ce que nous considérions comme définitivement acquis dans l’Union européenne et comme un droit fondamental, celui de circuler librement, de surcroît inscrit dans la Charte des droits fondamentaux, peut toujours subir un assaut de la part des uns et des autres." Bref, pour le ministre, "préserver Schengen reste d’actualité. C’est même un devoir de défendre ce système".
Pour le ministre, cela a été "un choc" quand la France, lors de son différend avec l’Italie sur le laissez-passer donné par cette dernière aux Tunisiens qui avaient amarré à Lampedusa, a réintroduit les contrôles aux frontières intérieures. Un deuxième choc a été l’initiative du Danemark de réintroduire des contrôles à ses frontières avec l’Allemagne et la Suède, sans consulter personne, pour des raisons de politique interne et en avançant comme "prétexte" la criminalité organisée en provenance d’Allemagne. Bref, ces incidents ont montré selon Nicolas Schmit "la fragilité du système" et qu’un gouvernement d’un Etat membre de l’espace Schengen peut réintroduire des contrôles sans consulter personne ni se soumettre à aucun contrôle.
Le Conseil européen de juin 2011 a réagi selon les mots du ministre "sous pression". Schengen n’est pas remis en cause, ni le principe de libre circulation des personnes, mais en même temps, l’on demande "une meilleure gouvernance de Schengen". Actuellement, la gestion de Schengen est partagée entre le Conseil et la Commission. Ce système, pense-t-il, a effectivement besoin d’être amélioré. Et c’est ce que la Commission a essayé de faire en présentant le 16 septembre ses propositions pour régler entre autres les situations exceptionnelles d’ores et déjà prévues par dans les clauses de sauvegarde du code d’application.
"Les propositions de la Commission consolident-elles Schengen, améliorent-elles sa gouvernance ?" Voilà les premières questions que le ministre s’est posées.
Dans les clauses de sauvegarde il est notamment question de pressions migratoires exceptionnelles. Les 2000 à 3000 Tunisiens qui étaient rassemblés à Lampedusa constituaient-ils une situation exceptionnelle ? Pour Nicolas Schmit, c’est le Luxembourg qui est en fait aujourd’hui sous une pression migratoire exceptionnelle. Rien que le lundi 26 septembre, 110 Macédoniens et Serbes ont demandé une demande d’asile politique. C’est comme s‘il y avait en Italie une arrivée journalière de 13 000 demandeurs d’asile. Le Luxembourg constate qu’il y a donc un problème aux frontières extérieures et aussi intérieures. Mais il n’introduit pas de contrôles aux frontières intérieures, "car ce serait se tirer non pas une balle, mais des salves de balles dans les pieds". Bref, la "situation exceptionnell" est un concept "vague et flou".
Dans un tel contexte, il serait utile d’avoir "une procédure qui ne permette pas à un Etat membre de procéder à des mesures arbitraires dictées par une situation politique intérieure". Cela est d’autant plus important quand on a des majorités politiques qui font écho à des positions de partis comme le Front national en France ou le Parti du peuple au Danemark. Il faut donc une procédure, une prévisibilité et un contrôle commun de la nécessité de mesures exceptionnelles. Et c’est ce que font sur le fond les propositions de la Commission qui poussent selon Nicolas Schmit "vers une logique communautaire au sein du système Schengen".
Au Conseil JAI, la réaction de certains Etats a été d’insister sur la doctrine classique que la gestion des frontières extérieures relève de la souveraineté nationale. Mais dans les faits, objecte le ministre de l’Immigration, "Schengen a d’ores et déjà mutualisé nos frontières et nous partageons nos frontières extérieures". Et aux frontières intérieures, l’on a la libre circulation des personnes, qui est un droit fondamental. Mais il faut un mécanisme de coordination, et celui que la Commission vient de proposer est "une bonne piste", car il pourrait mener "à une meilleure gestion, à une sécurité juridique accrue, à des décisions plus rapides en cas de situation exceptionnelle, mais avec un contrôle ex post, et à plus de libre circulation".
Nicolas Schmit a admis que quand un pays a des problèmes à protéger efficacement ses frontières extérieures, la question de la confiance, qui est à la base de tout le système, est posée. En Europe, il y a entretemps des forces politiques qui veulent profiter d’un tel défaut, comme en Suède, au Danemark, en Finlande, mais aussi au Sud de l’Europe. C’est une raison de plus de bien organiser les mécanismes d’évaluation des frontières extérieures et aider les Etats membres à constater et à remédier à leurs déficiences. Pour lui, la Commission doit pouvoir participer à cet exercice en coopération avec les Etats membres. Sa proposition d’une approche qui communautariserait l’évaluation des frontières extérieures va "dans la bonne direction". Consolider Schengen et la confiance, échapper à toutes les démagogies, voilà ce qui est souhaitable pour Nicolas Schmit, qui pense que la proposition de Cecilia Malmström est "équilibrée". Ne pas aller de l’avant dans la communautarisation est une alternative, mais elle n’est pas plus efficace. Notamment en matière de sécurité, car celle-ci ne peut être assurée que de manière collective et solidaire, dans le cadre d’une certaine discipline.
Les propositions de la Commission devront être discutées, négociées, passer par le Conseil et le Parlement européen. Vu les oppositions qui se sont annoncées, "la route sera raide, dure et longue", pense Nicolas Schmit, pour qui les Etats membres sont devenues très jaloux de leurs prérogatives. C’est pourquoi "la bataille de la solidarité et de la mise en commun de nos efforts n’est pas gagnée". Mais le fait que le Parlement est une des parties du débat est "plutôt favorable". Ce sera donc pour le ministre "une négociation difficile qui révélera les choix de l’UE que nous voulons : des mécanismes plus intégrés ou le retour en force de l’intergouvernemental, avec toutes ses faiblesses et son arbitraire."