Dans un entretien publié dans le Tageblatt daté du 17 novembre 2011, Jean-Claude Juncker précise ses vues suite au débat sur la gouvernance économique qui a eu lieu la veille au Parlement européen.
Le 16 novembre 2011, Jean-Claude Juncker avait exprimé devant le Parlement européen le souhait que "dans toutes nos démarches, nos méthodes de travail deviennent plus politiques". Il précise au journaliste Guy Kemp que, dans le contexte de la surveillance de la politique macro-économique et du semestre européen, il souhaiterait, si le Conseil européen fait valoir le droit d’être un gouvernement européen, que "nous gouvernions vraiment".
Si le Luxembourg doit se voir recommander de prendre certaines mesures structurelles en matière de politique économique, Jean-Claude Juncker souhaite ainsi pouvoir avoir l’opportunité d’expliquer tant en Conseil européen qu’auprès des ministres des Finances la politique du gouvernement luxembourgeois. "Je veux pouvoir dire pourquoi nous sommes d’accord avec certaines recommandations, jusqu’où nous les mettrons en œuvre et pourquoi nous ne sommes pas d’accord avec d’autres recommandations", précise le Premier ministre.
De même, s’il s’agit d’interdire à un pays de faire quelque chose, il convient aux yeux du Premier ministre de comprendre d’abord les motivations de ce pays. Pour déterminer si une action politique allemande peut avoir un effet négatif dans un autre pays, il faut aussi pouvoir discuter du sujet en détail, poursuit-il.
En bref, pour Jean-Claude Juncker, il ne suffit pas de se déclarer "gouvernement économique", il faut aussi gouverner, ce qui ne signifie pas juste accepter ce qui est assemblé par les fonctionnaires nationaux et ceux de la Commission. "Quand on nous dit que nous devrions abolir l’index, je ne me laisse pas dicter les choses par de hauts fonctionnaires allemands sans mener au Conseil une discussion contradictoire sur le contenu", précise le Premier ministre.
Jean-Claude Juncker contredit cependant l’impression, exprimée par Guy Kemp, que "les pays de l’UE vont tous être mis dans le même sac". "Quand on lit les recommandations, on note qu’il y a de fortes nuances dans l’intensité des recommandations faites aux différents Etats membres", explique le Premier ministre qui observe qu’il y a bien une étude différenciée. Pour autant l’analyse ne lui semble ni assez différenciée, ni assez politique, que ce soit dans son élaboration ou dans l’échange de vues sur les recommandations faites. "Nous avons, malgré les recommandations, souvent mené une autre politique", rappelle-t-il, citant l’exemple des "appels enflammés à une flexibilisation du droit du travail" qu’à aucun moment il n’a acceptée, convaincu qu’il est qu’une protection solide contre les licenciements abusifs permet d’être mieux armé contre un chômage débordant en temps de crise.
Interpellé par le journaliste sur la nécessité de créer de la croissance, Jean-Claude Juncker explique que cette dernière ne saurait être financée par un fardeau laissé aux prochaines générations. "Je constate que les pays qui ne maîtrisent pas leurs finances sont aussi ceux qui connaissent les taux de croissance les plus faibles", observe encore le Premier ministre pour souligner la nécessité de la consolidation des finances publiques, à laquelle il n’y a selon lui pas d’alternative. Pour autant, on ne peut s’en contenter : "parallèlement, il faut aménager des voies pour la croissance permettant aux pays de se financer à l’avenir en devenant plus forts sur le plan économique", ajoute Jean-Claude Juncker. "Je suis pour des mesures d'économies intelligentes et je ne suis donc pas d’avis qu’il faut faire des économies dans le domaine des investissements", poursuit Jean-Claude Juncker pour qui les investissements doivent être orientés vers l’avenir et la croissance.
"Je suis d’avis que les instruments européens doivent être utilisés de façon plus intelligente", lance encore Jean-Claude Juncker qui estime qu’il faudrait par exemple envisager pour des pays comme la Grèce un taux de cofinancement européen plus important que pour le Luxembourg dans le cadre des fonds structurels.
Au Luxembourg, la nécessité d’un renforcement de la coordination des politiques économiques fait consensus, ce qui signifie que l’on oriente la politique nationale selon les intérêts généraux européens, rappelle Jean-Claude Juncker, lorsque Guy Kemp l’interroge sur les limites des droits d’intervention de la Commission. Le Premier ministre est d’avis qu’en matière de consolidation budgétaire, les instances européennes ont besoin d’un plus grand pouvoir d’intervention, surtout dans les pays qui ont des déficits excessifs et qui ne parviennent pas, depuis des années, à s’en tenir aux conditions qu’ils ont acceptées. Pour autant Jean-Claude Juncker n’irait pas jusqu’à "donner à un commissaire le droit de réécrire le budget luxembourgeois". A ses yeux, il revient aux gouvernements de veiller à ce que les engagements qu’ils acceptent de prendre à Bruxelles soient tenus aussi par leurs parlements nationaux. "Je suis relativement réticent en ce qui concerne des possibilités d’interventions absolues", conclut Jean-Claude Juncker qui insiste sur le respect dû aux parlements nationaux.
Pour ce qui est de son mandat de président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker rappelle qu’il a été décidé lors du sommet du 26 octobre que la question se poserait, lorsqu’il arriverait à expiration en juin 2012, de doter la réunion des ministres des Finances de la zone euro d’un président à plein temps. "C’est un travail qui prend beaucoup de temps", souligne Jean-Claude Juncker qui ne sait pas encore s’il en sera ainsi ou non.
Lorsque le journaliste lui demande s’il est intéressé à devenir ce président en titre et permanent de l’Eurogroupe, il lance un "Non ! Absolument pas" on ne peut plus clair. Il relève qu’il a lui-même proposé que ce poste devienne un poste à part entière, ayant pu constater combien il est difficile de le faire à temps partiel. "Surtout dans un temps de crise absolue comme aujourd’hui, c’est devenu pratiquement impossible", confie-t-il au journaliste, ajoutant que chacun sait qu’il en est déjà à son troisième mandat, soit un de plus déjà que les deux prévus par les textes.
Pour ce qui est de l’idée de placer à la tête de l’Eurogroupe l’actuel commissaire en charge de l’euro, Jean-Claude Juncker relève tout d’abord à quel point elle est controversée parmi les Etats membres. "J’ai moi-même certaines difficultés à me l’imaginer", confie-t-il. Jean-Claude Juncker se représente en effet mal comment la Commission, qui dispose du monopole de l’initiative, pourrait présider des réunions au cours desquelles des compromis doivent être trouvés entre les Etats membres sur la base des propositions qu’elle a faites. "Je vois là une contradiction", affirme le Premier ministre.
En ce qui concerne les changements de traités qu’est censé préparer en vue du Conseil européen de décembre Herman Van Rompuy en collaboration avec le président de la Commission et celui de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker déclare s’abstenir de tout commentaire public. "Je pars seulement du principe qu’il s’agira d’une modification limitée du traité", remarque-t-il, exprimant aussi le souhait que "les égarements intergouvernementaux des dernières années ne prendront pas la forme d’un traité".
"La sagesse veut que le Parlement européen doit être impliqué autant que possible à une révision des traités", répond Jean-Claude Juncker lorsque Guy Kemp lui demande s’il convient d’éviter une convention. "S’il s’agit d’une modification très limitée, c’est peut-être trop investir que de convoquer une convention", nuance-t-il cependant avant de conclure que "tout dépend de l’ampleur de la modification du traité".