L’accord trouvé dans la nuit du 8 au 9 décembre 2011 sur un pacte budgétaire qui prendra la forme d’un accord intergouvernemental réunissant les 17 pays membres de la zone euro et les États membres de l’UE qui le souhaitent, c’est-à-dire a priori tous sauf la Grande-Bretagne, n’a pas manqué de susciter de nombreux commentaires dans toutes les capitales.
C’est au sortir du Conseil européen, dans l’après-midi du 9 décembre, que l’agence de presse allemande dpa a recueilli les impressions du Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Juncker. Il s’était déjà montré critique dans les heures qui avaient précédé le sommet au sujet des exigences britanniques qui avaient été formulées en amont de ce sommet attendu.
Jakub Adamowicz cite d’ailleurs le Premier ministre dans le Luxemburger Wort daté du 10 décembre : "les exigences du Royaume-Uni étaient inacceptables pour le Luxembourg et pour d’autres pays de l’UE", a-t-il expliqué, confiant aussi qu’il avait défendu ce point de vue avec force lors des discussions. Les exigences britanniques risquaient en effet selon lui de conduire à une distorsion de la concurrence entre Londres et les autres places financières de la zone euro, parmi lesquelles Luxembourg.
Au sortir des négociations, le ton reste acerbe. "Je crois que le point de vue britannique, qui consiste à considérer la zone euro comme se trouvant au service de la Grande-Bretagne, fait peu de sens", a-t-il ainsi confié à la dpa. Aussi, quand le Premier ministre britannique David Cameron déclare qu’il est dans l’intérêt de son pays que la zone euro fonctionne, Jean-Claude Juncker lui rétorque, comme il l’a fait devant la presse, que "c’est dans l’intérêt européen". "Et nous sommes aussi prêts à accepter des désavantages nationaux pour que ce brassage continental bariolé fonctionne bien", ajoute-t-il, faisant état d’un "état d’esprit très différent" qu’il observe d’un œil chagrin.
Pour autant, Jean-Claude Juncker estime que le sommet a permis d’obtenir "des progrès considérables", rapporte la dpa. Le président de l’Eurogroupe a notamment salué le fait que les marchés comprennent très bien que la participation des créanciers privés est un précédent exceptionnel lié au cas de la Grèce. "Il est clair que cela ne se reproduira jamais plus sous cette forme, et il en ressort un regain de confiance, les marchés financiers et les investisseurs ne courant plus le risque d’être à nouveau châtiés", estime en effet le président de l’Eurogroupe.
"Ce que nous avons décidé aujourd’hui, c’est exactement le contraire de ce que certains pensaient pouvoir décider à Deauville", a noté par ailleurs le Premier ministre luxembourgeois qui faisait référence à la rencontre de Nicolas Sarkozy et Angela Merkel à Deauville en octobre 2010. Jean-Claude Juncker a aussi expliqué à Jakub Adamowicz que les décisions portant sur la mise en place de sanctions plus automatiques dans le cadre de la procédure de déficit excessif portaient la marque des gouvernements du Benelux.
La Luxembourgeoise Viviane Reding, qui est vice-présidente de la Commission européenne, s’est elle aussi exprimée au sujet de la position de la Grande-Bretagne le 12 décembre 2011 sur les ondes de la radio allemande MDR Info. Elle s’y dit convaincue que la Grande-Bretagne va changer d’avis et rejoindre l’accord trouvé. "Nous savons d’expérience qu’ils font des manières tout en cherchant du regard une passerelle pour finalement être de la partie", a-t-elle déclaré au sujet des Britanniques, sans pour autant se prononcer sur le temps que cela pourrait prendre.
"Les Britanniques ont plus besoin de nous que nous n’avons besoin d’eux", estime en effet la commissaire qui a expliqué que le blocage de David Cameron au Conseil fait l’objet de critiques y compris dans son pays, notamment à la City. Viviane Reding tient par ailleurs les Britanniques pour "réalistes", et donc conscients que l’isolement est la pire chose qui pourrait arriver à leur pays qui est très lié à l’UE, ce dont il ne manque d’ailleurs pas de profiter.
Sur la scène politique luxembourgeoise, l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes s’est joint au président de la fraction déi gréng à la Chambre, François Bausch, pour commenter dans un communiqué diffusé le 11 décembre 2011 les résultats du sommet.
"Les décisions du Conseil européen de cette semaine ne vont pas sortir l’UE de la crise", y déplorent-ils. À leurs yeux, le sommet s’est "juste entendu sur des règles conçues pour l’après crise" alors que, selon eux, l’Europe aurait besoin d’urgence d’une "offensive en matière d’investissements et d’un green new deal". Or l’union budgétaire qui ressort de ce sommet mise pleinement sur l’austérité de chacun des États, ce qui n’apportera pas "une résolution de crise européenne et solidaire" et laissera sans correction "le défaut de naissance de l’euro". Cet accent mis sur la politique d’austérité risque non seulement d’être contreproductif sur le plan économique, mais aussi d’être difficile à mettre en pratique, observent par ailleurs les deux députés écologistes. Selon eux la règle d’or fixant une limite au déficit structurel maximum pose problème du fait même qu’il n’existe pas de définition reconnue de ce déficit structurel, lequel repose sur l’évaluation du développement économique à venir d’un pays.
Claude Turmes et François Bausch estiment que les décisions concernant l’EFSF vont-elles aussi "dans la mauvaise direction", dans la mesure où les marchés ne sont en rien disciplinés. Or, jugent les deux parlementaires, l’effet de levier ne fonctionne pas en raison de manque de confiance que les marchés ont dans l’EFSF. Et ce alors que les pays de la zone euro risquent d'après eux de bientôt manquer d’argent si l’Italie et l’Espagne devaient avoir besoin d’être soutenues.
Les deux parlementaires s’interrogent aussi sur la mise en œuvre de ces décisions. "Si les décisions de ce sommet doivent effectivement être ancrées dans un accord intergouvernemental n’impliquant pas tous les États membres de l’UE en mars 2012, la question va se poser de savoir dans quelle mesure les traités pourront servir de base institutionnelle et juridique", relèvent-ils. François Bausch et Claude Turmes craignent par ailleurs que le Parlement européen soit totalement exclu du processus législatif dans la mesure où il n’a aucune compétence en matière d’accords intergouvernementaux au sein de l’UE.
L’eurodéputé socialiste Robert Goebbels a réagi par voie de communiqué dans l’après-midi du 12 décembre 2011, titrant son texte "la double défaite de Cameron". S’il constate que l’accord intergouvernemental trouvé en raison du "veto" britannique à une modification du traité de Lisbonne conduit à "une Europe à deux vitesses", Robert Goebbels estime aussi que l’influence britannique sur la politique européenne s’en trouve réduite. Ce qu’il voit comme "la première défaite" de David Cameron.
Mais le plus gros échec du Premier ministre britannique, c’est, aux yeux de Robert Goebbels, le fait que sa tentative de chantage n’a pas marché. "Cameron aurait été prêt à donner son aval à une modification limitée du traité de Lisbonne pour y introduire une politique budgétaire plus stricte dans le cas où les autres États membres auraient accepté un `opt-out´ pour son pays en matière de régulation financière", raconte Robert Goebbels. "La City ne veut rien savoir d’une réglementation financière européenne pour pouvoir continuer à réaliser dans la pénombre des affaires juteuses sur le dos des autres places financières européennes", indique-t-il, se réjouissant que les participants au sommet n’aient pas cédé à "ce marchandage". C’est donc selon les règles du traité de Lisbonne que seront prises les décisions qui porteront sur la réglementation financière, ce qui signifie que, grâce à la majorité qualifiée, nombre de décisions pourront être prises sans les Britanniques, relève Robert Goebbels. Et "si le gouvernement britannique veut y changer quelque chose, il ne lui reste plus qu’à sortir de l’UE", conclut l’eurodéputé socialiste.