L’agence de notation Standard & Poor’s (S&P) a annoncé dans la soirée du 5 décembre 2011 qu’elle plaçait "sous surveillance négative" les notes qu'elle attribue à la dette à long terme de quinze pays de la zone euro, dont l'Allemagne, l'Autriche, la Finlande, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, les six pays dotés du précieux AAA.
La note de solvabilité de la France est menacée d'un abaissement de "deux crans", à "AA". Pour les cinq autres pays notés "AAA", l'agence prévoit, dans le pire des cas, un abaissement d'un cran, à "AA+".
L'agence a justifié son annonce par sa "conviction selon laquelle les tensions systémiques dans la zone euro ont augmenté ces dernières semaines jusqu'au point de faire pression à la baisse sur le degré de solvabilité de la zone euro dans son ensemble". Les deux seuls pays de la zone à ne pas être concernés sont la Grèce, dont la note correspond actuellement au défaut de paiement, et Chypre, déjà sous "surveillance négative".
S&P a indiqué qu'elle comptait achever son passage en revue des éléments soutenant la notation des quinze pays européens menacés lundi "aussi vite que possible après le sommet européen" des 8 et 9 décembre prochains.
Jean-Claude Juncker, président de l’Eurogroupe a réagi vivement à cette annonce à l’occasion d’un entretien qu’il a accordé au journaliste Friedbert Meurer. Une interview diffusée sur les ondes de la radio Deutschlandfunk le 6 décembre au petit matin.
Le Premier ministre luxembourgeois et président de l’Eurogroupe y fait part de "sa surprise" plus que de son inquiétude. "Après que des efforts considérables ont été faits dans la zone euro ces derniers jours pour maîtriser la crise – je pense au programme d’austérité italien, je pense au programme irlandais, je pense aux efforts de consolidation de l’Espagne et du Portugal – cette menace de l’agence de notation fait l’effet d’un coup de massue", déclare ainsi Jean-Claude Juncker. Soulignant les efforts faits pour consolider et réformer, y compris la façon de gouverner, le Premier ministre tient les dires de Standard & Poor’s pour "parfaitement exagérés". Il dit ainsi s’étonner "beaucoup du fait que cette nouvelle nous parvienne, comme tombée du ciel, alors que nous allons ouvrir le Conseil européen", ce qui ne saurait être un hasard à ses yeux.
Pour Jean-Claude Juncker, cette annonce est en effet "démesurément exagérée, mais aussi injuste". "Nous sommes sur le point de mettre les choses en ordre", argue en effet le président de l’Eurogroupe qui demande aussi à comprendre comment le Luxembourg, dont le faible taux d’endettement explique qu’il ait le triple A, puisse voir tout à coup sa note abaissée. "Si tous les pays de cette terre n’avaient que 20 % de dettes publiques, nous nous porterions tous bien mieux", s’insurge ainsi le Premier ministre luxembourgeois qui voit dans la menace qui pèse sur la note du Grand-Duché une œuvre qui relève de "l’irrationnel".
Pour Jean-Claude Juncker, il ne faut pas accorder aux agences de notation plus de crédit qu’elles n’en méritent. Comme il le rappelle en effet, elles n’ont pas vu venir la crise des sub-primes de 2007/2008, accordant même à ces produits financiers la plus haute solvabilité. "Je tiens le jugement de valeur que rendent les agences de notation pour un jugement que l’on doit remettre en question à tout moment", poursuit ainsi le président de l’Eurogroupe. Et l’annonce faite par S&P ne mérite donc pas elle non plus, selon Jean-Claude Juncker, que l’on doive orienter les futures politiques en fonction des ratings de ces agences.
Lorsque le journaliste lui demande si on devrait arrêter la notation de certains Etats ou groupes d’Etats, Jean-Claude Juncker se montre circonspect. S’il rappelle que la Commission européenne a réfléchi à l’idée de proposer d’exclure de l’évaluation des agences de notation les pays connaissant une difficulté (avant d’y renoncer, ndlr), Jean-Claude Juncker souligne qu’il tenait cette idée pour raisonnable. "Mais je ne suis pas certain que cela soit utile dans cette affaire", concède-t-il, appelant plutôt à "ne pas prendre les ratings autant au sérieux que ne le font les agences pour leurs propres évaluations".
Invité à réagir à la rencontre entre Angela Merkel et Nicoals Sarkozy qui s’est tenue à Paris le 5 décembre, Jean-Claude Juncker a dit trouver les propositions qu’ils ont faites "dans une grande mesure raisonnables"."Cela correspond exactement à ce que beaucoup d’autres ont proposé ces derniers mois au sein de la zone euro et cela démontre à suffisance que l’Allemagne et la France ne font pas seules le chemin qui conduit à une union de stabilité", explique le président de l’Eurogroupe. Se prononcer publiquement en matière de stabilité "n’est pas un privilège allemand ou français", relève-t-il, ajoutant que ces deux pays "enfoncent des portes quasiment ouvertes".
Le Premier ministre luxembourgeois s’est ainsi félicité que l’Allemagne et la France aillent désormais dans la direction impulsée notamment par les propositions des trois pays du Benelux de ces derniers mois. Jean-Claude Juncker leur souhaite même "bienvenue au club", se réjouissant tout particulièrement de leur volonté désormais affichée d’introduire des sanctions automatiques en cas d’enfreinte au critère de déficit fixé par le pacte de stabilité, alors que ces deux pays s’y étaient opposés il y a encore quelques mois.
Pour ce qui est de la façon de procéder, Jean-Claude Juncker appelle à essayer d’obtenir une modification des traités à 27 ou, à défaut, à parvenir au moins au sein de la zone euro à une réforme contraignante du traité qui engagerait les 17 Etats membres de la zone euro. Jean-Claude Juncker espère que ce sera une modification limitée du traité, qu’elle sera négociée dans un temps aussi court que possible et qu’il ne faudra pas trop de temps pour que ces modifications de traité soient transposées dans le droit national des 17, respectivement 27 Etats qu’elles concerneraient.
"Nous ne pouvons pas maintenant afficher publiquement des divergences possibles en matière de changement de traité", juge en effet le président de l’Eurogroupe qui appelle à régler cette question vendredi pour commencer au plus vite les négociations. "Je souhaiterais que, au plus tard d’ici le mois de mars de l’année prochaine, les modifications de traité soient conclues", a-t-il déclaré, interrogé sur les délais qu’il jugeait nécessaire pour la ratification de ces modifications. Du point de vue de Jean-Claude Juncker, ces modifications ne devraient pas être substantielles au point de marquer un transfert massif de compétences des Etats vers Bruxelles et donc de nécessiter des référendums.