Les agences de notation de crédit (ANC) jouent depuis le début de la crise un rôle important, mais perçu comme ambigu et problématique, pour les marchés financiers. Leurs notations sont suivies de près par les investisseurs, les emprunteurs, les émetteurs et les pouvoirs publics. L’abaissement de la note d'une entreprise peut influer sur les fonds propres qu'une banque est censée détenir. L’abaissement de la note d'un emprunteur souverain, donc d’un Etat, peut renchérir le coût des emprunts pour ce pays.
Malgré la législation européenne sur les agences de notation adoptée en 2009 et 2010, les événements survenus récemment dans le contexte de la crise de la dette dans la zone euro – des spéculations sur la faillite d’un Etat membre, des erreurs techniques qui ont laissé entendre que la note de la France serait baissée - ont montré que le cadre réglementaire actuel devait être amélioré.
C'est pourquoi la Commission a présenté le 15 novembre 2011 des propositions visant à renforcer cette réglementation et à en combler les lacunes.
Michel Barnier, commissaire européen chargé du marché intérieur, a déclaré lors de la présentation: "Les notations de crédit influent directement sur les marchés et l'économie et, par ricochet, sur la prospérité des citoyens européens. Elles ne sont pas seulement l'expression d'une opinion. Les agences de notation ont commis de graves erreurs par le passé. J'ai aussi été surpris du moment choisi pour noter certains emprunteurs souverains, par exemple au beau milieu de négociations sur l'octroi d'un programme d'aide internationale au pays. Nous ne pouvons laisser les notations exacerber la volatilité des marchés. Mon objectif premier est de réduire la dépendance excessive à leur égard, tout en améliorant de la qualité du processus de notation. Les agences de notation devraient être soumises à des règles plus strictes, faire preuve de plus de transparence dans leurs notations et être comptables de leurs erreurs. Je souhaite aussi un renforcement de la concurrence dans ce secteur".
Les propositions de la Commission poursuivent quatre objectifs :
Pour empêcher les établissements financiers de se fier exclusivement et aveuglément aux notations de crédit pour leurs investissements, la Commission veut imposer "une obligation générale aux investisseurs d'effectuer leurs propres évaluations de crédit." Les agences de notation et les entités notées elles-mêmes devront, elles, "fournir des informations plus complètes et de meilleure qualité sur les données qui sous-tendent leurs notations, afin que les investisseurs professionnels puissent se forger leur propre opinion". Ensuite, les agences de notation devront transmettre leurs notations à l'Agence européenne des marchés financiers (AEMF), qui veillera à mettre gratuitement à la disposition des investisseurs toutes les notations disponibles pour un instrument de créance donné, sous la forme d'un indice européen de notation (EURIX). Par ailleurs, les agences de notation devront consulter les émetteurs et les investisseurs sur tout projet de modification de leurs méthodes de notation. Ces changements seront communiqués à l'AEMF, qui vérifiera le respect des formes et des procédures applicables.
Pour que les notations de la dette souveraine deviennent plus transparentes et plus fréquentes, elles seraient revues tous les six mois, et les investisseurs et les États membres seraient informés des données et des hypothèses qui sous-tendent chaque notation. Par ailleurs, pour éviter toute désorganisation des marchés, les notations souveraines ne seraient publiées qu'après la clôture des marchés de l'UE, et au moins une heure avant leur ouverture.
Par contre, le communiqué de la Commission dit que "l'éventuelle suspension des notations souveraines" lorsqu’un de ces pays fait l'objet d'un programme de soutien du Fonds monétaire international ou de l'Union européenne - une mesure-phare avancée par le commissaire Barnier dès juillet 2011 et encore le lundi 14 novembre - "est un sujet complexe qui, à notre sens, mérite un examen plus approfondi". L'idée derrière cette mesure était d'éviter que se reproduise ce qui s'est passé notamment avec la Grèce, dont la note avait été dégradée par une agence de notation au moment même où ses partenaires européens étaient en train de mettre au point un plan de sauvetage.
Lors d’une conférence de presse à Strasbourg, le commissaire Barnier a déclaré à ce sujet : "Il y a une mesure, qui de mon point de vue n'était pas la mesure principale, que j'ai proposé de différer: la suspension temporaire de la note souveraine dans certains cas". "Nous avons eu une très longue discussion avec mes collègues" au sein de la Commission, a-t-il expliqué. "J'ai considéré qu'il fallait plus de temps pour convaincre et détailler les mesures techniques de cette suspension", a-t-il dit, promettant de "revenir sur cette question", sans préciser comment. "La suspension temporaire était une idée innovante, peut-être un peu trop innovante", a-t-il aussi déclaré, laissant entendre que cette mesure pourrait revenir dans le débat au Parlement européen. "Il n'y a pas à aller très loin pour entendre des parlementaires qui ont des idées sur la suspension des notations", a-t-il dit.
D’après une source européenne, "une dizaine de commissaires", dont "d'autres commissaires économiques", se seraient opposés à cette mesure car ils considéraient que la suspension de la notation de certains pays serait contre-productive et enverrait un signal négatif aux marchés. Certains de ses collègues "ont considéré qu'il mettait en avant une position nationale", a indiqué une autre source à propos de Michel Barnier, qui est critiqué pour avoir fait délibérément un appel du pied aux eurodéputés pour qu'ils contournent la position de ses collègues de la Commission. Le rapporteur du texte sur les agences de notation au Parlement européen, le socialiste italien Leonardo Domenici, a en tout cas jugé que la proposition de Michel Barnier était "dépourvue de certains éléments importants par rapport à ce qui était anticipé, et en-deçà des attentes". Le fait qu'un long débat ait eu lieu au sein de la Commission sur le sujet "est de mauvais augure pour une législation de cette importance", a-t-il ajouté.
Pour qu’il y ait une plus grande diversité et une indépendance accrue des agences de notation, afin d'écarter les risques de conflits d'intérêts, les émetteurs auraient l'obligation de changer tous les trois ans l'agence qui les note. Ceci devrait permettre à ces petits concurrents de se développer et élargir le choix des émetteurs en termes d'agences de notation. Actuellement, le marché des notations est dominé à 90 % par trois agences, Standard & Poor's, Moody's et Fitch, toutes les trois basées à New York. Enfin, deux notations provenant de deux agences différentes seraient requises pour les instruments financiers structurés complexes, et les actionnaires importants d'une agence de notation donnée ne pourraient pas détenir simultanément de participation dans une autre agence.
Pour rendre les agences de notation davantage responsables de leurs notations, notamment quand elles portent préjudice à un investisseur en enfreignant intentionnellement ou par négligence le règlement sur les agences de notation, les investisseurs lésés devraient pouvoir intenter une action en responsabilité civile auprès des tribunaux nationaux. La charge de la preuve incomberait à l'agence de notation.
Le règlement de l’UE sur les agences de notation de crédit (ANC) (en vigueur depuis décembre 2010) fait partie des initiatives prises par l'Europe en réponse aux engagements souscrits par le G-20 lors du sommet de Washington de novembre 2008. Il a été modifié en mai 2011 afin de tenir compte de la création de l’AEMF .
Les règlements ANC actuels portent essentiellement sur l’enregistrement, les règles de conduite et la surveillance des agences de notation:
Pour être enregistrée, une agence de notation doit respecter un certain nombre d'obligations concernant la conduite ses activités (voir point 2) qui visent à garantir l’indépendance et l’intégrité du processus de notation et à améliorer la qualité des notations émises; l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) est responsable depuis juillet 2011 de l’enregistrement des agences de notation dans l’UE; 28 ANC sont actuellement enregistrées auprès de cette autorité (dont certaines appartiennent au même groupe);
Le règlement existant impose aux agences de notation d'éviter les conflits d’intérêt (leurs analystes de notation ne peuvent pas noter une entité dans laquelle ils détiennent une participation, par exemple), de veiller à la qualité de leurs notations (par exemple en assurant un suivi permanent de celles-ci) et de leurs méthodes de notation (qui doivent notamment être rigoureuses et appliquées de façon systématique) et d'assurer un haut niveau de transparence (par exemple en publiant chaque année un rapport de transparence);
Depuis juillet 2011, l’AEMF exerce des pouvoirs exclusifs de surveillance sur les agences de notation de crédit enregistrées dans l’Union; elle dispose en outre de pouvoirs d'enquête exhaustifs et peut exiger la production de documents ou de données de toute nature, convoquer et auditionner des personnes, procéder à des inspections sur place et infliger des sanctions administratives, des amendes ou des astreintes. Cette surveillance a ainsi été simplifiée et centralisée au niveau européen. Cette centralisation permet aux agences de notation enregistrées de disposer d'un point de contact unique et de bénéficier ainsi de gains d'efficience considérables liés à l'accélération et à la simplification des procédures d’enregistrement et de surveillance, en étant assurées d'une application plus cohérente des règles dont elles relèvent; pour l'heure, les agences de notation de crédit sont les seuls établissements financiers directement soumis à la surveillance d'une autorité européenne de surveillance.
Ces règles européennes s'appliqueraient aux notations d'entités publiques de l'UE, mais aussi d'entités publiques à l'extérieur de l'UE dès lors qu'elles seraient émises par des agences de notation enregistrées dans l'UE.
Les propositions présentées le 15 novembre 2011 seront transmises au Parlement européen et au Conseil (les États membres) pour négociation et adoption.
L’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (Verts/ALE) a d’ores et déjà confié au Luxemburger Wort que le Parlement européen continuerait de s’engager pour une agence de notation européenne au service de l’intérêt général, une idée que la Commission n'a pas retenue, à son grand regret.