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Economie, finances et monnaie - Fiscalité
Dans un entretien accordé à Luxembourg for Finance, Jean-Jacques Rommes revient en détail sur l’idée, pas assez précise selon lui dans les discussions en cours, d’introduire une taxe sur les transactions financières
18-01-2012


Dans un entretien publié le 16 janvier 2012 sur le site Luxembourg for Finance, le directeur de l’Association des Banques et Banquiers Luxembourg (ABBL), Jean-Jacques Rommes, fourbit ses arguments contre l’introduction dans quelques pays seulement d’une taxe sur les transactions financières. Il évoque les conséquences qu’elle aurait sur le Luxembourg, mais il aussi dénonce le flou certain qui règne dans les discussions.

"Parmi les pays qui veulent introduire une telle taxe, il semble plus facile d’obtenir un consensus sur la volonté de le faire que sur la façon de le faire", relève Jean-Jacques Rommes

Un des problèmes identifiés par Jean-Jacques Rommes est le fait que les hommes politiques n’ont pas clairement établi à quelle fin ils veulent une telle taxe. "Nous savons que les gouvernements ont besoin d’argent, et c’est là une raison légitime d’introduire une taxe", explique-t-il, avant de souligner que les gouvernements plaident aussi pour "décourager les transactions néfastes". "Que veulent-ils enfin de compte : veulent-ils décourager certains types de transactions, ce qui impliquerait qu’ils ne lèveraient pas la taxe, ou bien veulent-ils introduire une taxe en sachant qu’ils imposent des transactions qui profitent à l’économie ?", s’interroge ainsi le directeur de l’ABBL. "Le manque de clarté concernant les motivations n’aide pas à avancer", remarque-t-il.

Sur l’utilisation qui serait faite des revenus tirés de cette taxe, "il n’y a pas de consensus parmi les gouvernements européens", relève encore Jean-Jacques Rommes qui souligne que, pour le moment, la discussion porte seulement sur la question de savoir s’il faut ou non introduire une telle taxe : "Parmi les pays qui veulent introduire une telle taxe, il semble plus facile d’obtenir un consensus sur la volonté de le faire que sur la façon de le faire", observe-t-il, dénonçant là "une approche dangereuse". Malheureusement, remarque le directeur de l’ABBL, "aucune décision n’a jusque là été prise sur des points essentiels, comme le champ d’application, le niveau de taxation ou encore qui en bénéficierait".

"J’ai l’impression que dans l’Europe du Nord, l’expertise économique prévaut, alors que dans le Sud, c’est la volonté politique qui l’emporte", fait remarquer Jean-Jacques Rommes qui estime que "nous allons nous retrouver dans une situation inconfortable si ces deux éléments sont contradictoires".

Pour les acteurs du secteur, la proposition de la Commission semble "trop générale pour être efficace", rapporte Jean-Jacques Rommes

Certes, Jean-Jacques Rommes reconnaît que, dans certaines conditions, la taxe pourrait faire sens. Mais tout est dans le détail, précise-t-il. La Commission suggère un taux de taxation de 0,1 % sur les transactions d’actions et d’obligations, et de 0,01 % sur les dérivés, rappelle-t-il, relevant que, pour nombre d’associations bancaires en Europe, cette proposition semble "trop générale pour être efficace".

Jean-Jacques Rommes estime que, même en introduisant une taxe sur les transactions financières dans les 27 pays de l’UE, il y aurait un risque de voir transférées les transactions vers d’autres centres financiers, comme New York, Tokyo, Singapour, Hong Kong ou Dubaï.

Si une telle taxe devait être introduite, son champ d’application devrait donc être mondial, car l’industrie financière est mondiale, plaide Jean-Jacques Rommes qui juge nécessaire un accord au niveau du G-20, et c’est là le minimum, pour que cela marche. Et cela pourrait même être selon lui "une bonne nouvelle pour les recettes des gouvernements quand on sait à quel point le secteur public a besoin de moyens".

Jean-Jacques Rommes confie ainsi, non sans une certaine ironie, qu’il apprécierait que la France fasse cavalier seul en introduisant une telle taxe, comme l’a laissé entendre le président Sarkozy le 9 janvier dernier, car une telle "avancée unilatérale" offrirait selon lui "une évaluation d’impact crédible". "Cette taxe nuirait à l’industrie financière française et même les gens qui ne sont pas des experts en finance comprendraient qu’il est nécessaire de bien réfléchir avant de l’introduire", affirme-t-il en effet.

Le directeur de l’ABBL cite l’exemple de la Suède qui, après une grave crise économique, a décidé d’introduire dans les années 90 une taxe sur les transactions financières. "Il n’a pas fallu longtemps pour que les Suédois réalisent qu’ils apprenaient une leçon à leurs dépens", raconte Jean-Jacques Rommes : la Suède a perdu nombre de transactions, effectuées à Londres et ailleurs.

Jean-Jacques Rommes craint qu’au Luxembourg, l’industrie de l’investissement ne soit touchée, ainsi que le secteur de la compensation

Quant à la position du Luxembourg sur la question qui divise en Europe, Jean-Jacques Rommes fait état de l’attitude très critique et prudente affichée par le ministre Luc Frieden au Conseil Ecofin. "Il a posé quelques questions sur les objectifs et le champ d’application d’une telle taxe, mais d’après lui, les réponses qui lui ont été apportées n’étaient pas très cohérentes", rapporte le directeur de l’ABBL.

De son point de vue, au Luxembourg, l’industrie de l’investissement serait sans aucun doute affectée par une telle mesure. "Un fond domicilié au Luxembourg acheté par des clients asiatiques deviendrait moins attractif que le même fond d’investissement domicilié en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis du fait d’une taxation plus élevée", explique le directeur de l’ABBL qui estime que le secteur de la compensation, c’est-à-dire des grands acteurs comme Clearstream, qui traite des millions de transactions, serait lui aussi frappé.

Jean-Jacques Rommes relève aussi que "l’introduction d’une taxe sur les transactions financières signifierait l’abolition de la taxe d’abonnement" (laquelle représente, dans le projet de budget 2012, des recettes de l'ordre de 630 millions d’euros, ndlr).