Pour Jean Asselborn, beaucoup de choses vont de travers dans l’UE. Elle a été fondée pour "empêcher à jamais que les Européens règlent leurs différends par la guerre". En cela, pense le ministre, l’UE n’est pas mise en question. "Mais", ajoute-il, "sa dimension politique, - les politiques communes économique, sociale, de l’environnement ou de politique étrangère – convainc moins les gens" Cela est d’abord dû selon le ministre au fait que ce qui est discuté et décidé dans l’UE est expliqué aux citoyens par les gouvernements, et ceux-ci présentent souvent leur démarche comme une défense des intérêts nationaux "contre les prétentions des autres".C’est ainsi que les citoyens ont de plus en plus le sentiment que "l’UE ou les autres Etats membres de l’UE veulent me nuire, veulent nous priver de quelque chose". Et cela s’est accentué avec la crise financière.
Jean Asselborn est d’accord pour dire avec le nouveau président du Parlement européen, Martin Schulz, que si les choses continuent ainsi, "la foi dans le projet européen est menacée". Si l’UE devient le bouc émissaire de tous les échecs et dysfonctionnements à l’intérieur des Etats membres, si les peuples européens ne s’identifient plus qu’avec leurs intérêts nationaux, "l’UE sera à terme privée de substance".
Mais est-ce seulement une question de mauvaise perception ou un problème de gouvernance, veut savoir le journaliste Hans-Jürgen Schlamp, qui a mené l’interview. Pour Jean Asselborn, ce sont actuellement "surtout les gouvernements des grands Etats membres qui font passer leurs intérêts de manière radicale". Et à la question du journaliste qui veut savoir si "les Grands sont plus égoïstes et moins européens", Jean Asselborn répond par un "sûrement" laconique.
Pour le chef de la diplomatie, c’est une bonne chose que les deux Grands, la France et l’Allemagne, veuillent "diriger" l’Europe, c’est même la raison d’être fondatrice du projet européen, mais qu’ils le fassent "dans le cadre des traités européens, et cessent de les ignorer quand cela leur sied pour forger des coalitions de volontaires en dehors des traités". Cela ne fait pas avancer l’UE, pense Jean Asselborn, pour qui le pacte budgétaire est une perte de temps et d’énergie, parce qu’il sera un traité intergouvernemental et que l’on pourrait régler tout ce que l’on veut régler dans le cadre du système européen existant.
Et d’expliquer que la Commission européenne ne pourra pas traduire devant la Cour de Justice de l’UE les pays fautifs, comme le désire l’Allemagne, parce que le pacte est un traité entre des pays de l’UE, mais pas une partie des traités de l’UE, de sorte que la Commission ne pourrait être mandatée dans le sens voulu par l’Allemagne que si elle obtient pour ce faire l’accord de tous les Etats membres. Et cela est peu vraisemblable.
Interrogé sur la nécessité de l’austérité, Jean Asselborn est d’avis que des économies budgétaires sont devenues nécessaires, "mais l’Europe ne doit pas faire des économies au point d’en mourir". Comme le Premier ministre Jean-Claude Juncker lors de la visite d’Elio Di Rupo à Luxembourg, il insiste sur la nécessité de miser sur la croissance, "car il ne faut pas oublier que l’UE compte actuellement 27 millions de chômeurs". Mais cette façon de voir les choses, admet-il, n’est pas partagée par tous les Etats membres de l’UE. Il sera néanmoins question de la relance de la croissance et de la création d’emplois lors du sommet européen fin janvier 2012, assure le ministre, et "ce sera nettement plus important que de mener d’interminables débats sur des traités".
Reste qu’il s’agira d’un sommet, et à ces sommets, (Jean Asselborn utilise ici un néologisme, "Gipfelei", que l’on pourrait traduire par "sommetite" en analogie avec "réunionite", ndlr), les décisions sont prises par consensus, et non de manière majoritaire. Il s’agit donc toujours du "plus petit dénominateur commun", et "cela n’est bon ni pour la substance de l’UE ni pour les citoyens qui sont affectés par les compromis obtenus de cette manière-là", conclut Jean Asselborn.