Au cours du mois de décembre 2011, les douze ministres * des Affaires étrangères du Benelux, des deux grands, l’Allemagne, de la France, mais aussi de l’Italie, de la Pologne, des trois pays baltes, de la Finlande et de la Suède, ont adressé une autre lettre à la Haute Représentante pour la politique extérieure de l’UE, Catherine Ashton. Dans cette lettre sont abordés la préparation des sessions du Conseil, la coordination avec la Commission, le fonctionnement des délégations, le financement, les méthodes de recrutement et la coordination avec les Etats membres. Les douze ministres veulent offrir, avant la présentation d’un rapport sur la première année de fonctionnement du SEAE, "quelques suggestions sur la manière dont le fonctionnement du SEAE pourrait être amélioré » afin qu’il devienne plus efficace et « développe pleinement son potentiel".
Les Douze souhaiteraient disposer d’un agenda annuel du CAE qui serait ajusté en fonction des nécessités. Ils souhaiteraient aussi que le SEAE produise des documents préparatoires ou des projets de décision de manière plus régulière et les fasse circuler "suffisamment à l’avance" des sessions du CAE.
Les Douze sont d’avis qu’une "coopération étroite entre le SEAE et la Commission est essentielle pour une action extérieure de l’UE efficace et cohérente", sachant que la Haute Représentante est également vice.-présidente de la Commission. C’est pourquoi les décisions concernant les relations extérieures de l’UE doivent être mieux préparées avec la Commission, tant au niveau politique au sein du groupe des commissaires compétents pour un volet "relations extérieures" qu’au niveau technique. Les ministres recommandent que les unités du SEAE soient plus impliquées dans le travail avec la Commission et ils se demandent si la structure organisationnelle du service est assez efficace pour assurer ce type de coopération, qui se répercuterait aussi sur la coordination du financement d’activités.
Les Douze pensent que le SEAE a fait d’importants progrès pour développer un "esprit de corps" et en matière de formation commune (SEAE / Etats membres). Mais des "formations complémentaires, conjointes avec les Etats membres, devraient être envisagées". La coopération pratique entre le SEAE, la Commission et le secrétariat du Conseil doit être « revue » (lieu des réunions, infrastructure…) en termes d’efficacité. Finalement, de nouvelles procédures et directives de gestion de crise devraient être élaborées.
Une délégation de l’UE dans un pays tiers ne peut vraiment fonctionner selon les Douze que si le chef de délégation reçoit "toutes les informations nécessaires à temps », peut « pleinement se concentrer sur les priorités politiques" et que la délégation peut "gérer (elle-même) ses dépenses administratives efficacement". Ils veulent aussi que "les chefs de délégations soient impliqués dans les décisions prises au siège".
Le dispositif de financement ne semble pas encore au point. Il a déjà fallu amender le règlement financier pour que le chef d’une délégation de l’UE puisse exécuter le budget de sa délégation. Les Douze proposent maintenant de permettre au chef de délégation de pouvoir déléguer à ses adjoints certaines compétences opérationnelles budgétaires – qui relèvent tant de l’action communautaire que de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) - afin qu’il puisse se concentrer sur ses tâches les plus essentielles.
La coopération et la coordination avec les ambassades des Etats membres devraient être renforcées, qu’il s’agisse d’arrangements de partage d’infrastructures, de partage des ressources disponibles, de renforcement des capacités d’analyse politique, de démarches communes qui aient plus d’effet, etc..Le Luxembourg notamment a insisté à plusieurs reprises sur ces aspects. La mise en place d’un réseau de communication sécurisé est aussi une priorité. La création de postes d’attachés à la sécurité et à la défense dans les délégations de l’UE devrait également être envisagée.
Les Douze voudraient aussi, et notamment les Etats membres plus petits, dont le Luxembourg, que soient exploitées toutes les possibilités du Traité pour renforcer le rôle du SEAE en matière de protection consulaire des citoyens européens.
Dans un discours qu’il a tenu le 20 décembre 2011 à Riga devant la conférence diplomatique de la République de Lettonie, le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois, Jean Asselborn a mis en exergue la dimension de soutien concret aux citoyens qu’un tel dispositif peut représenter alors que l’euroscepticisme sévit. Cela est surtout vrai, a-t-il souligné, « quand un désastre touche un pays tiers et que nos citoyens ont besoin d’aide et d’informations, ce qu’une délégation de l’UE présente sur le terrain devrait pouvoir offrir comme soutien en pareil cas ». Selon lui, ce que les consulats et les ambassades des Etats membres plus grands peuvent offrir comme aide devrait aussi pouvoir être offert à tous les citoyens de l’Union par les délégations de l’UE. Le Benelux, les pays baltes, la Finlande et la Suède, tous signataires de la lettre des Douze, a-t-il annoncé, ont lancé une réflexion commune dans ce sens qui pourrait être reprise par le SEAE. Jean Asselborn veut pousser de l’avant cet effort, et "pas seulement parce que c’est bon pour les Etats plus petits qui ne sont pas présents partout sur le globe, mais parce que c’est bon pour l’UE et la perception que les citoyens ont de l’Union".
Les signataires de la lettre insistent sur la nécessité de ne pas "déconnecter" le SEAE des Etats membres Ils réclament enfin une "représentation adéquate" des diplomates nationaux dans le nouveau service, rappelant que leur proportion devra atteindre un tiers d'ici 2013, un objectif qui est loin d'être réalisé à ce jour. Les Douze veulent donc savoir quand et comment l’objectif d’avoir un tiers de diplomates des Etats membres d’ici 2013 sera atteint. "Tant que cet objectif ne sera pas rempli, aucun nouveau recrutement externe ne devrait être effectué", pensent-ils. Tous les postes devraient être publiés à tous les niveaux, en particulier ceux couverts par la décision sur les recrutements du comité consultatif et les postes de chefs de division.
Les procédures de recrutement doivent aussi être revues. "Les candidats sélectionnés devraient avoir suffisamment de temps pour prendre leurs dispositions en matière de voyage et de travail". La longueur de la procédure de sélection est ressentie comme « dissuasive par les candidats », critiquent les auteurs de la lettre.
Cette question, Jean Asselborn se l’est posée ouvertement lors de son discours du 20 décembre 2011 à Riga, capitale d’un autre Etat membre dit "plus petit". Leurs candidats sont-ils traités avec équité ? Il cite pour le Luxembourg le seul cas de diplomate issu du service diplomatique luxembourgeois, Marc Ungeheuer, qui était ambassadeur du Luxembourg en Thaïlande, en Indonésie, au Laos, en Malaisie, à Singapour et au Vietnam avec résidence à Bangkok, qui a été nommé en septembre 2010 chef de délégation à Singapour. Mais selon lui, "le SEAE fait de son mieux pour que les candidats les mieux qualifiés soient pris", et cela en tenant compte à la fois de l’équilibre géographique et entre les genres.
Mais il insiste surtout sur la nécessité que les Etats membres soient impliqués dans le processus de recrutement et siègent dans les jurys de sélection. "C’est seulement ainsi que nous pouvons être sûrs que les talents traditionnels des diplomates des Etats membres seront autant appréciés par le jury que la culture administrative et le savoir-faire de l’UE", pense Jean Asselborn. Et pour cela il faut préparer les candidats et les faire bénéficier de l’expérience de ceux qui sont déjà passés par ces épreuves, soit dans un jury soit comme candidats.
Jean Asselborn ne pense pas que le SEAE puisse se substituer aux services diplomatiques nationaux. Il s’agit pour lui d’un "outil européen qui permet à l’UE de faire un meilleur usage des ressources diplomatiques qui sont dans les mains des Etats membres". Il doit travailler de concert avec les ministres des Affaires étrangères des Etats membres et leurs ambassades. D’où la nécessité de se coordonner sur le terrain et de partager l’information, deux démarches sur lesquelles Jean Asselborn insiste le plus pour qu’il y ait en fin de compte une seule politique européenne à l’encontre d’un pays tiers, et pas celle de quelques Etats membres.
* Les signataires de la lettre sont les ministres des Affaires étrangères Didier Reynders (Belgique), Urmas Paet (Estonie), Erkki Tuomioja (Finlande), Alain Juppé (France), Guido Westerwelle (Allemagne), Giulio Terzi di Sant’Agata (Italie), Edgars Rinkēvičs (Lettonie), Audronius Ažubalis (Lituanie), Jean Asselborn (Luxembourg), Uri Rosenthal (Pays-Bas), Radosław Sikorski (Pologne), Carl Bildt (Suède).