Dans le cadre de l'Année européenne du vieillissement actif, le laboratoire INSIDE de l'Université du Luxembourg organise au premier semestre 2012 une série de cours intitulée "Vieillissement, migration et modes de vie transnationaux - Perspectives internationales et luxembourgeoises".
Les questions de vieillissement et migration sont jugées capitales pour tous les pays de l'Europe. Les systèmes sociaux nationaux, les régulations d'immigration et les raisons de la migration sont extrêmement importants pour les biographies, les conditions de vie et l'inclusion sociale des migrants plus âgés.
La série de cours projetée se concentrera sur les différents aspects et questions de migration et vieillissement sous des perspectives luxembourgeoises et internationales : les conditions et modes de vie des migrants âgés, la précarité, la qualité de vie et le vieillissement actif, les relations intergénérationnelles et les réseaux de soutien dans le cadre de la migration et sur la diversité dans les systèmes de santé et soins.
Le premier cours de cette série, intitulé "Migrants âgé(e)s au Luxembourg : un tableau à multiples facettes", a été donné le jeudi 1er mars 2012 par Paul Zahlen, du Statec. Paul Zahlen a d’abord essayé de donner des définitions et de préciser des concepts liés à l’âge. Il a ensuite dressé le cadre démographique, puis évoqué des faits et des perceptions liés aux familles et ménages. Il a ensuite évoqué les revenus et les conditions de vie des migrants, notamment des migrants âgés et exposé quelques éléments liés à la perception de la vie.
Premier point, la définition de l’âge, dans laquelle entrent des éléments physiologiques comme la santé, l‘appartenance à une classe d’âge, le rapport au travail (cessation du travail ou non), des éléments économiques comme le système de pensions, des éléments culturels et symboliques, les sociétés européennes étant considérées comme des "sociétés vieillissantes", la question du conflit des générations, et le fait que nombre de ces notions sont en train de se modifier, car en 20 ans, l’espérance de vie s’est accrue au Luxembourg de 8 ans, passant de 72,8 à 80,8 ans, et une personne qui atteint 65 ans, peut espérer en 2010 vivre encore 19,6 ans au lieu de 14,7 ans en 1980.
Et puis, qu’est-ce un migrant ? Pour Paul Zahlen, les migrants peuvent être les "non-nationaux" ayant un pays de naissance autre que le Luxembourg, mais ce peuvent aussi être les migrants de la 1e ou 2e génération. Et que faire des ménages "mixtes" ? Bref, les « migrants » ne constituent pas un groupe homogène. Pour sa présentation, le statisticien a donc décidé de parler de façon pragmatique des "migrants âgés" comme de non-nationaux âgés de plus de 65 ans, avec quelques extensions aux 50-64 ans. Ces migrants âgés de plus de 65 ans représentent au Luxembourg 14 350 personnes en 2010, contre 55650 Luxembourgeois de la même classe d’âge, dont 55 % de femmes. Il y a peu de migrants hommes âgés de plus de 85 ans – 190 personnes, mais néanmoins 700 femmes.
Un premier constat : Le Luxembourg a connu et continue de connaître une dynamique démographique exceptionnelle, qui est due à l’immigration. Sa population a augmenté de plus de 65 % depuis 1960, contre 20 % en Belgique, 30 % en France et 12 % en Allemagne.
Depuis 20 ans, explique Paul Zahlen, le nombre de Luxembourgeois a augmenté de 20 000 personnes, notamment à travers les naturalisations, passant de 270 000 à 290 000 personnes, mais le nombre d’étrangers a augmenté de plus de 110 000 personnes, passant de 113 000 a 221 000. Les "étrangers" représentent en 2012 43 % de la population totale, contre 29 % en 1991. Les Portugais constituent le groupe le plus large (37 % du total des étrangers, plus de 81 000 personnes, un chiffre qui ne se recoupe pas d’ailleurs avec celui du consulat portugais (LIEN) mais l’immigration s’est diversifiée, avec l’arrivée de personnes d’autres Etats de l’UE et de pays tiers, plus de 30 000 personnes qui constituent désormais plus de 14 % des étrangers au Luxembourg.
La structure de la population du Luxembourg est relativement jeune. La classe d’âge des 30-49 ans est fortement représentée dans la population étrangère - près de 40 % des étrangers contre 26 % des Luxembourgeois – et la part des plus de 65 ans est faible dans la population étrangère – 7 % des étrangers, mais près de 20 % des Luxembourgeois. Cela se traduit aussi dans les chiffres liés au taux de dépendance qui mesure le niveau potentiel du soutien reçu par les plus jeunes (de 0 à 14 ans) et les personnes âgées (les plus de 65 ans) de la part de la population active, donc ceux qui sont âgés selon les conventions statistiques de15 à 64 ans. Le Luxembourg a actuellement un taux de dépendance moins élevé que la moyenne européenne (28,5 %). Il est vrai que le système est basé sur le modèle de croissance actuel, et celui-ci est construit sur un marché du travail qui recrute largement une main d’œuvre de frontaliers et de nouveaux arrivant résidents. Le taux de dépendance luxembourgeois gravite autour de 20,4 % selon la Commission, de 22,4 % selon Paul Zahlen, et il a en fait peu évolué depuis 15, 16 ans. Ce chiffre ne tient pas compte des frontaliers, mais bien des résidents issus de la migration. Selon une étude d'Eurostat et de la Commission, le taux de dépendance luxembourgeois évoluera, dans une projection toujours basée sur le modèle actuel, de 23,1 % en 2020 à 30 % en 2030 et à 41,9 % en 2050.
La migration vers le Luxembourg est "jeune", mais son caractère massif fait que la proportion des étrangers parmi les plus de 65 ans et plus est plus élevée au Luxembourg que dans les plupart des autres pays, avec 20,5 %. Les deux autres pays qui ont une population d’étrangers âgés encore plus élevée étant l’Estonie et la Lettonie, qui ont une forte population russe résidente depuis les années 40 qui n’a pas quitté le pays après l’indépendance, et pour laquelle ces Etats membres de l’UE n’ont pas facilité l’accès à la citoyenneté de leur pays de résidence. En général, dans l’Union, la part des personnes âgées dans la population étrangère est largement en-dessous de 5 %. La Belgique compte 6,1 %, la France 4,3 % et l’Allemagne 3,9 % de personnes âgées étrangères. La situation du Luxembourg est donc bien unique dans l’UE.
Mais même si la migration est "jeune », le vieillissement de la société luxembourgeoise est pour Paul Zahlen inéluctable. D’autre part, la part des personnes âgées de 50 à 64 ans a aussi augmenté dans la population active, passant de 15 à 21,4 % entre 1995 et 2010, de 17 à 24,9 % parmi les Luxembourgeois, et de 11,9 à 17,6 parmi les étrangers.
En ce qui concerne les types de ménages, les ménages "nombreux" sont plus répandus parmi les Portugais âgés et les étrangers hors UE, le nombre de personnes en emploi présentes dans ces ménages est plus important, et les étrangers sont, avec 669 personnes contre 4877 Luxembourgeois, sous-représentés dans les « ménages collectifs » (maisons de retraite, maisons de soins …), car la part des étrangers dans la population des 60 ans et plus est de 25 % et leur part dans les institutions de seulement 14 %.
Quant à la question de la perception de la famille et de la "solidarité intergénérationnelle", l’étude sur les valeurs en Europe de 2008 a mis en évidence bien des différences. Les liens avec les parents ont été abordés par la question : "Quels que soient les qualités et les défauts de ses parents, on doit toujours les aimer et les respecter". Les résidents du Luxembourg sont 64 % à répondre par oui, et se situent dans la moyenne européenne, comme les Belges et les Allemands, mais pas comme les Portugais, qui sont 85 % à répondre par oui. La même question, ventilée au Luxembourg, montre que les Luxembourgeois répondent à 60 % par oui, mais les Portugais du Luxembourg à 80 %.
La question de l’obligation parentale est posée avec l’énoncé "Le devoir des parents est de faire de leur mieux pour leurs enfants, même au dépens de leur propre bien-être". Avec entre 72 et 74 % de réponses positives, Luxembourgeois et étrangers ne se distinguent pas. Mais avec entre 78 % et 79 %, les Français et les Portugais réagissent autrement.
L’obligation des enfants vis-à-vis de leurs parents est posée quant à elle à travers l’énoncé "Les enfants adultes doivent fournir l'aide que nécessitent leurs parents, même aux dépens de leur propre bien-être". Ici, Luxembourgeois et étrangers se différencient, avec 46,1 % et respectivement 55,8 % de réponses positives. Sur ce point, Italiens (63 % de réponses positives) et Portugais (66 %) se distinguent des autres étrangers. A une autre question - "Lorsque l'un des parents est gravement malade ou affaibli, c'est surtout la responsabilité de l'enfant adulte de prendre soin de lui /d'elle" - les Luxembourgeois répondent positivement à 62 % et les étrangers à 71 %, les Portugais et les Italiens étant pour 74 % d’entre eux de cet avis.
La "solidarité intergénérationnelle", concrètement, comme le dit Paul Zahlen, se traduit par exemple par des chiffres qui datent de 2002 sur la proportion des ménages « pivots », dont le chef de ménage est âgé de 45 à 64 ans et a versé de l’argent à un membre de leur famille qui est extérieur au ménage, des chiffres ventilés selon la nationalité du chef de ménage et le type de transferts. Les Luxembourgeois sont 16 % à l’avoir fait régulièrement et 39 % à l’avoir fait occasionnellement. Les Portugais sont 26 % et 39 %. Les montants réguliers médias s’élèvent à 2000 euros par an, les montants occasionnels médians à 1740 euros.
Il s’agit en fait d’une solidarité plutôt "descendante" (donc envers la descendance), mais Paul Zahlen constate que les Portugais pratiquent une solidarité "ascendante" assez importante. Les Luxembourgeois pratiquent le soutien "descendant" à 14,4 % de manière régulière et à 37 % de manière occasionnelle. Les Portugais ne sont ici que 8,8 % respectivement néanmoins 39,7 %. L’aide des Luxembourgeois à leurs ascendants n’est régulière que pour 1,5 % d’entre eux et occasionnelle pour 2,2 %. Les Portugais sont presque 17 % à aider régulièrement leurs ascendants.
Sous cette rubrique, Paul Zahlen a traité les questions liées aux migrants âgés sur le marché du travail, jeté un coup d’œil sur les pensions par nationalités et pays de résidence, scruté le revenu moyen des plus de 65 ans, regardé aussi le taux de pauvreté par nationalité et la structure des revenus.
Deux tiers des étrangers résidents travaillent dans les services aux entreprises, la construction, l’intermédiation financière, le commerce et le secteur Horeca. Ils sont largement majoritaires dans les services domestiques et le secteur Horeca. Ils ne le sont plus dans la construction, où ils représentent 40 % des salariés, contre 50 % de frontaliers.
Le salaire médian des résidents évolue entre 4300 euros mensuels pour les résidents belges, 3818 euros pour les Luxembourgeois et 2334 euros pour les Portugais. Au Luxembourg, les immigrés sont en général plus intégrés sur le marché du travail qu’en Europe. Le taux d’emploi des 55-64 ans a aussi fortement augmenté au Luxembourg, passant de 21,7 à 36,1 % chez les Luxembourgeois et de 31,5 % à 46 % parmi les étrangers entre 1995 et 2010. Reste que les étrangers âgés de 50 à 64 ans sont plus touchés par le chômage que les Luxembourgeois, avec un taux de chômage de 5,3 % contre 3 % en général, en sachant que la moyenne UE est de plus de 14 % d’étrangers au chômage contre 6,9 % de nationaux.
Du côté du système des pensions, en 2010, sur un total de 140 000 pensions payées, 80 000 sont restés au Luxembourg (57 %) et 60 000 (43 %) ont été transférées à l’étranger. Et sur les 79 000 pensions versées à des étrangers, seulement 27,7 % sont restées au Luxembourg. Pour les Portugais, la part des pensions qui restent au Luxembourg est néanmoins de plus de 52 %. Mais, insiste Paul Zahlen, le montant total des pensions transférées à l’étranger ne représente que 21,5 % du total des pensions payées. En d’autres mots, les montants moyens des pensions transférées à l’étranger sont globalement plus faibles que le montant versé aux résidents, car ici entrent en jeu les types de pensions, la durée des carrières, etc. Un autre fait qui en découle est qu’au Luxembourg, les pensions moyennes des résidents de nationalité luxembourgeoise sont plus élevées que celles des résidents étrangers, avec une pension vieillesse moyenne qui tourne autour de 2800 euros pour les Luxembourgeois et de 2125 euros pour les ressortissants des autres pays de l’UE.
Malgré ces disparités, Paul Zahlen estime que le Luxembourg dispose d’un système de pensions très développé et performant quant au maintien du niveau de vie. Le taux de remplacement théorique est beaucoup plus élevé au Luxembourg que dans les pays voisins, où il tourne autour de 90 % de la rémunération moyenne, alors que dans les pays voisins, ce taux évolue entre 49 et 40 %.
En général, les personnes âgées sont au Luxembourg mieux loties qu’en Europe en moyenne, avec un revenu médian supérieur de 5 % au revenu médian général, alors qu’il est dans l’UE en moyenne de 8 % inférieur à ce revenu médian. Mais, constate de nouveau Paul Zahlen, les Portugais au Luxembourg sont dans une situation moins favorable. Le revenu médian individuel des Luxembourgeois de plus de 65 ans est de 2800 euros, le leur arrive à 1800 euros.
Le taux de pauvreté des personnes âgées au Luxembourg (5,9 %) est malgré tout beaucoup plus faible que dans les autres pays européens, le taux de pauvreté étant de plus de 15 % dans la zone euro, et d’ailleurs aussi de plus de 15 % au Luxembourg pour la population âgée de moins de 65 ans. Mais il faut différencier ces 5,9 %. Il concerne 3,6 % de ressortissants luxembourgeois et 12,9 % de ressortissants de l’UE âgés de plus de 65 ans et résidant au Luxembourg.
Quant à la structure du revenu des ménages, la part des pensions de retraite avoisine pour les Luxembourgeois, dans la classe d’âge des 50-64 ans, déjà les 15 % du total du revenu, alors que cette part tourne autour de 6 % pour les autres ressortissants de l’UE, mais autour de 12 % pour ceux qui viennent de pays tiers. D’une manière générale, le travail garde une importance plus grande chez les étrangers âgés, entre 66 % pour les Luxembourgeois, 70 % pour les Portugais et 77 % pour les ressortissants de l’UE. La part du revenu du capital est faible chez les Portugais, de 0,1 % pour ceux qui sont âgés de plus de 65 ans contre 6,8 % pour les Luxembourgeois de la même classe d’âge.
Un fait essentiel est aussi que la part des propriétaires de leur logement parmi les étrangers est plus faible que parmi les Luxembourgeois, mais elle augmente quelque peu avec l’âge surtout pour les étrangers non-portugais. Chez les plus de 65 ans, les Luxembourgeois sont propriétaires de leur logement à près de 90 %, les autres ressortissants de l’UE à près de 70 %, et les Portugais à près de 50 %.
Paul Zahlen a ensuite évoqué une enquête du CEPS/INSTEAD de 2005 sur les intentions de retour des migrants. A ce moment-là, 25 % des Portugais avaient décidé de rester au Luxembourg, c’est-à-dire 40 % de ceux qui avaient pris une décision de rentrer ou de ne pas rentrer dans leur pays d’origine. C’était aussi le cas de 76 % des Belges, de 42 % des Cap-Verdiens et de 86 % des ex-Yougoslaves.
La perception de la santé, le bien-être subjectif et la confiance dans les autres, cette dernière étant un indice de capital social, ont été l’objet des dernières considérations de Paul Zahlen.
En ce qui concerne la perception de la santé au Luxembourg, les personnes âgées sont, pour l’expert, logiquement moins nombreuses à considérer que leur santé est bonne ou très bonne, mais il constate une diversité non-négligeable parmi les migrants (âgés) selon la nationalité. Les Luxembourgeois âgés de plus 50 ans sont 69 % à se considérer en bonne ou très bonne santé. Les étrangers sont 63 % à voir les choses ainsi, mais chez les Portugais (45 %) et les Italiens (58 %), la vue des choses change.
La satisfaction avec la vie montre elle des divergences peu prononcées selon l’âge, mais aussi une certaine diversité selon les nationalités. Ainsi, parmi les résidents du Luxembourg âgés de plus de 50 ans, les Luxembourgeois expriment une satisfaction de 8,3 points sur une échelle de 10, les étrangers une satisfaction de 7,8, un chiffre qui se tasse un peu avec les Portugais qui affichent un indice de 7,3 points.
La confiance dans les autres, un indice de capital social, montre une confiance plus élevée pour les personnes de plus de 50 ans, mais également - et surtout - une diversité considérable selon les nationalités. La confiance dans les autres est plutôt basse chez les Luxembourgeois, de 28,5 % seulement, un peu plus élevée (32,4 %) chez les personnes âgées de plus de 50 ans, contre 33,2 % chez les étrangers tous âges confondus, et 42 % chez les étrangers âgés de plus de 50 ans. Mais dans les deux catégories, les Portugais se retrouvent avec seulement 17 à 18 % à avoir confiance dans les autres, alors que ce taux dépasse les 50 % chez les Belges et les Allemands de plus de 50 ans.
Mais pour Paul Zahlen, les différences entre nationalités cachent souvent le fait que les divergences de perception de la vie sont également - et souvent plus largement - liées au statut socio-économique. Par exemple : la confiance dans les autres augmente avec le niveau d’éducation que ce soit pour les Luxembourgeois ou les étrangers, partant de 22 % en passant par 27-29 % à plus de 50 %, selon le degré d’éducation inférieur, moyen ou supérieur.
Tentative de conclusion de Paul Zahlen
Les personnes âgées au Luxembourg ont un niveau de vie moyen assez élevé comparé aux autres pays de l’UE.
Le travail est un élément plus important pour les migrants âgés que pour les autochtones âgés (taux d’emploi, composantes du revenu…).
La famille tient une place plus centrale dans la vie des Portugais.
Des différences considérables en termes de revenus et de niveau de vie existent parmi les migrants âgés.
L’analyse de la situation des migrants âgés devrait s’inscrire dans une analyse plus globale des inégalités économiques et socioculturelles qui caractérisent la société luxembourgeoise.
La question de la solidarité entre « générations » s’inscrit dans la problématique générale de la place de la solidarité dans une société.
… et finalement, ajoute l’expert, il convient de ne pas éluder la question de la « reproduction sociale »