Le 29 mars 2012, le débat d'orientation de la Chambre des députés traitait du semestre européen et des grandes orientations budgétaires du Grand-Duché comme du programme national de réforme (PNR). Les échanges ont mis au jour le vaste consensus qui règne quant à la nécessité de contrôler sinon réduire le déficit budgétaire. Le ministre des Finances, Luc Frieden, a tracé avec fermeté la voie que souhaite emprunter le gouvernement, à savoir celle d'une maîtrise des dépenses qui ces dernières années ont crû davantage que le volume des recettes. Toutefois, en réponse à la "nouvelle culture des dépenses" avancée par Luc Frieden, le député socialiste, Lucien Lux, a proposé une "nouvelle culture des recettes", complémentaire. Cette dernière s'intéresserait notamment au fait que 80 % des entreprises ne paient pas d'impôt sur le revenu des collectivités et pourrait augmenter la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu. Dans les rangs écologistes, la maîtrise du déficit passerait par un mix, composé pour moitié d'une hausse des recettes et pour autre moitié d'un contrôle des dépenses.
En ouverture du débat, le ministre des Finances, Luc Frieden, a partagé la conception qu'il se faisait de ce qui est le premier débat de consultation du genre. Ainsi, doit-il être l'occasion de "parler avec toutes les fractions et tous les citoyens du futur de notre pays". Certes, les finances publiques pourraient sembler un domaine limité. Toutefois, recettes et dépenses sont "les fondements de la formation de l'avenir de notre pays en termes de finances et quelle voie nous voulons emprunter". Aussi, Luc Frieden avançait-il que du débat devaient émerger "beaucoup d'idées à prendre en considération pour le programme de croissance et de stabilité" qui sera envoyé à la fin du mois d'avril à Bruxelles, mais aussi pour le budget national habituellement discuté au deuxième semestre de l'année.
Luc Frieden a d'abord souligné que la situation est certes "meilleure que dans beaucoup d'autres pays, mais pas bonne en comparaison avec la situation enregistrée dans le passé au Luxembourg".
Les dernières années, les dépenses ont augmenté plus vite que les recettes. Le budget pour l''année 2011 devrait enregistrer un déficit de plus de 250 millions d'euros soit 0,7 % du PIB, laquelle cache la situation inquiétante du budget de l'Etat central qui enregistre un déficit égal à 2,5 % du PIB soit 1,043 milliard.
L'évolution des dépenses implique de réduire sérieusement le déficit à partir de 2013, à une cadence que le ministre des Finances fixe à 500 millions d'euros chaque année, afin de ne pas enfreindre les critères du traité de Maastricht. Luc Frieden a réitéré son appel à un "changement de culture des dépenses", à la remise en question de l'automatisme de certaines des dépenses et à passer au crible l'efficacité des dépenses actuelles, dans chacun des quatre domaines que sont les investissements, où "nous ne pouvons pas tout construire ce que nous voudrions" a-t-il dit, les transferts sociaux (allocations familiales, revenu minimum garanti, chômage, constructions de logement), les rémunérations de l'Etat qui "ont augmenté via une série de mécanismes" et le coût du fonctionnement de l'Etat.
Comme il l'avait fait le 21 mars 2012, Luc Frieden a rappelé qu'il est d'avis que c’est sur les dépenses qu'il faut se pencher. "Le levier des recettes n'apporte des solutions qu'à court terme", a-t-il dit. De plus, il risque de porter ombrage aux enjeux de compétitivité. " Nous devons conserver pour les particuliers et les entreprises un paysage fiscal qui permet d'être compétitif par rapport à l'étranger. Nous sommes une économie ouverte. Les gens qui viennent ici ne sont pas nécessairement mariés avec le Luxembourg." La charge fiscale doit en conséquence non seulement "raisonnable" mais aussi "favorable" à l'activité économique. Cependant, Luc Frieden a jugé "évident qu'à la fin une série d'impôts directs et indirects doivent être adaptés".
Laisser filer les dépenses sociales serait "plus simple", mais néanmoins irresponsable. "Ce à quoi nous sommes habitués doit changer (…) si nous voulons à long terme des finances saines, qui sont un fondement du développement économique, si nous voulons que le Luxembourg reste un pays où on peut payer des dépenses sociales sans recourir à l'emprunt, et sans charger les prochaines générations avec hauts impôts". Il a conclu : "Nous devons tous dans un effort solidaire, travailler ensemble et on y arrivera. Si on ne fait rien, les dix prochaines années risquent d'être difficiles pour le pays."
Marc Spautz a soutenu le ministre des Finances dans la mesure où il considère qu'il faut veiller à laisser l'environnement économique du pays compétitif en termes fiscaux. Il entrevoit des possibilités d'adaptation de la tranche supérieure de l'imposition mais "sans exagérer". Il considère que l'impôt de solidarité devrait être flottant en étant désormais couplé au taux de chômage. ll met en doute la pertinence de la taxe sur les transactions financières. "Quand on la veut il faut savoir ce que ca signifie pour la finance."
Marc Spautz a conclu par ces mots : " La situation est grave. Il y a besoin de réagir vite sans tomber dans la panique. Il faut être honnête avec soi et avec la situation comme elle est. "
Pour le député et non moins président du parti libéral, Claude Meisch, la situation est caractérisée par un fort chômage, la désindustrialisation et un déficit record d'un milliard d’euros chaque année. "Il est grand temps de tirer le signal d'alarme", estime-t-il. Il a renvoyé aux propositions émises par son parti dès 2006, qui dresseraient le constat que livrait déjà à la même époque et continue aujourd'hui de livrer le ministre des Finances, Luc Frieden
Claude Meisch défend la rigueur budgétaire mais dénonce des appels à une telle rigueur quand ils sont concomitants avec des dépenses supplémentaires qu'il décèle notamment dans la réforme des pensions, laquelle augmenterait les prestations accordées à des pensionnés, au moment où m'Etat doit emprunter un milliard d'euros par an, "alors que le but du projet est de protéger le système de pension".
A l'entame d'un très long discours, Lucien Lux est revenu sur la nouvelle procédure européenne que constitue le semestre européen. Il constate "une baisse de la confiance dans l'opinion publique" nourrie par l'impression d'"un déficit démocratique en Europe". "Il est bon de se demander pourquoi on sauve les banques et en même temps assainit le budget", a-t-il fait savoir. "Il serait bon de dire aux gens que tout cela n'est pas une fin en soi. (…) Ce qui arrive aux familles, aux salariés, ça n'a pas été un choix." Lucien Lux constate justement le retour depuis quelques semaines d'un choix entre un modèle libéral flanqué d'un Etat faible et un modèle social à renforcer par un Etat fort. Or, ce dernier modèle ne serait toutefois possible que sous les auspices d'une bonne gouvernance et de moyens financiers disponibles, d'où sa compréhension pour les efforts budgétaires à livrer.
"Le six pack et le semestre européen ne sont-ils pas trop unilatéralement orientés vers la question économique, vers l'austérité", a-t-il interrogé avant de se déclarer content que le Premier ministre, Jean-Claude Juncker appartienne désormais à ceux qui disent que la croissance économique n'a pas été assez prise en compte dans le management de la crise.
Citant Jacques Delors, Lucien Lux souligne que la politique économique est pour moitié une "question psychologique". "Il est important de ne pas pousser les gens dans le repli, dans l'absence d'espoir."
Pour le député socialiste, c'est ainsi à une "autre culture des recettes" à laquelle la situation convierait, en plus de la "nouvelle culture des dépenses" prônée par Luc Frieden.
Il défend aussi la nécessité d'une taxe de transaction financière, qui serait aussi question de crédibilité puisque l'un des enseignements de la crise financière "était que les banques devaient aussi payer pour les dommages budgétaires". La déclaration du Premier ministre à ce sujet, considérant que le but était bon mais le moyen pouvait être différent, laisse un "arrière-goût fade au peuple". "Les leçons n'ont pas été tirées comme elles auraient du l'être".
Il considère aussi que l'impôt payé par les entreprises devrait être relevé alors que 83 % de celles implantées au Luxembourg n'en paie pas. La part de l'impôt sur les revenus a progressé de 70 % sur la période 2000-09 tandis que l'impôt sur les sociétés a bondi de 40 %.
Intervenant au nom des Verts sur la politique budgétaire, François Bausch a dit d’emblée qu’il acceptait les chiffres présentés par le Comité de prévision et le ministre des Finances Luc Frieden. La perspective d’un milliard de dettes supplémentaire qui doit être contracté par an ne lui inspire pas de panique, mais il faut faire quelque chose, car il ne faut pas sous-estimer le risque de se retrouver d’ici 2014 avec une dette équivalant à 21 % du PIB, donc plus de 12 milliards, l’équivalent d’un an de budget, avec un risque que la dette croisse rapidement, même en cas de bonne croissance.
Les Verts ont néanmoins trouvé que les scénarios de croissance avancés par les experts étaient toujours trop optimistes, et que donc pour eux les recettes seraient de ce fait aléatoires. Par ailleurs, deux raisons de la crise subsistent : les marchés financiers fonctionnent toujours avec une régulation insuffisante. Les prix de l’énergie, et surtout du pétrole, continuent de monter.
Il y a des inconnues et des hypothèques qui planent sur le budget. Le commerce électronique aura des recettes croissantes jusqu’en 2015 à un milliard, puis, en vertu des changements européens du régime de la TVA, elles décroîtront ensuite de 70 %, et devront donc être compensées. Les garanties de 2,6 milliards pour la Dexia constituent un risque, de même que les garanties dans le cadre du ESM.
Pas question pour les Verts de laisser des montagnes de dettes aux plus jeunes. Pas question non plus de mettre en péril le triple AAA. Ils plaident pour un paquet budgétaire équilibré qui mise sur un effort placé à 50 % sur les recettes et à 50 % sur les dépenses pour arriver à l’équilibre budgétaire.
Les investissements devront être définis selon des priorités. Pour eux, ce sont l’éducation, la recherche, la mobilité et le logement. Côté recettes, ils veulent réduire la trop grande dépendance aux services financiers. Ils ne sont pas contre une hausse du taux marginal de l’impôt sur le revenu, une hausse qui rapporterait néanmoins seulement 40 millions de plus, alors qu’il faut compenser des pertes de recettes autrement plus grandes de plusieurs centaines de millions. François Bausch a aussi mis en garde contre une hausse forte et impromptue de l’impôt sur les entreprises. Il faudrait plutôt élargir l'assiette de cet impôt et inclure les sociétés financières. Une autre piste est une forte imposition des plus-values immobilières Finalement il faudrait supprimer certains abattements fiscaux contraires à d’autres politiques, comme celle de la mobilité. Des critères écologiques pourraient guider une réforme des impôts indirects.
D’autres pistes des Verts, qui pensent qu’il faut profiter de l’incitation à l’équilibre budgétaire pour réformer les finances publiques et investir, c’est de construire autrement, moins cher, d’aborder les transferts sociaux sans tabous, si l’on veut préserver l’Etat-providence. Il serait aussi judicieux de mettre fin à certains types de subsides qui n’auraient jamais dû être introduits.
François Bausch s’est dit ulcéré par le dernier accord salarial dans la fonction publique, qui prévoit une hausse des salaires de 2,2 % alors que la "firme Etat est en déficit". Pour ce qui est des pensions, il pense qu’il faut agir et éviter la fiscalisation des retraites.
Bausch résume son plan ainsi : faire des économies, agir sur les recettes et les dépenses, investir, agir vite et de manière efficace, sachant que les ressources disponibles sont encore riches, mais limitées. De même, les écologistes proposent de concentrer la politique sociale surtout sur les 20 % de la population qui frise ou est dans la pauvreté.
A l'issue des débats, le ministre des Finances, Luc Frieden a concédé qu'"un frein aux dépenses peut avoir un effet sur le déficit'. "Mais à moyen et long termes, un haut déficit, un endettement élevé avec des impôts élevés peut être un frein absolument réel au développement économique".
Il a ainsi réaffirmé la motivation du gouvernement à emprunter les trois prochaines années une voie qui permettra de réduire le déficit de 500 nouveaux millions d'euros chaque année.
Répondant à diverses interventions, il a rappelé que les citoyens les plus aisés supportent un effort fiscal déjà conséquent. Alors que 40 % des gens ne paient pas d'impôt, 5 % des contribuables reversent plus de 50 % de leurs revenus en impôts. De même, il a donné à considérer qu'avant d'actionner un tel levier, il fallait observer la situation à l'étranger et notamment sur les places directement concurrentes de Zurich et Londres vers lesquelles seraient délocalisées des activités si on les imposait de manière démesurée. Ainsi, a-t-il aussi tenu à rappeler, la place financière fournit 75 % de l'impôt sur les collectivités. C'est dans l’industrie que l'on retrouve les entreprises qui ne contribuent pas à cet impôt. Le ministre des Finances a concédé qu'il avait des moyens d'y remédier.
Enfin Luc Frieden a rappelé qu'à partir de 2015, 800 millions euros de recettes tirées du commerce électronique disparaîtront des recettes de l'Etat. Or, au plus tard en 2015, la TVA devra être réévaluée pour compenser. Cet impôt ne serait pas "un impôt antisocial" comme il l'a entendu dire, puisque plus le pouvoir d'achat est grand, plus la consommation et donc le paiement de la TVA le sont aussi. "Nous avons la TVA la plus faible de l'UE et les autres pays sont largement au-dessus", a-t-il fait remarquer avant de rappeler que la priorité est la baisse du volume des dépenses. "La voie qu'on doit emprunter est difficile. Mais, en fait, nous n'avons pas d'alternative. Car l'alternative est celle qui diffère la résolution du problème et l'accroît".