Le commissaire en charge des questions de fiscalité, Algirdas Semeta, a pris position avec fermeté au sujet des accords fiscaux bilatéraux conclus par l’Allemagne et le Royaume-Uni avec la Suisse.
Dans un courrier daté du 5 mars 2012 adressé à la présidence danoise et transmis en copie à tous les ministres des Finances de l’UE, le commissaire reconnaît certes que les Etats membres sont "libres de conclure des accords internationaux", mais il rappelle aussi que ces accords "ne doivent inclure aucun aspect qui empiéterait sur un domaine dans lequel un action commune de l’UE a été engagée ou est envisagée".
Le même jour, Algirdas Semeta ouvrait, aux côtés de l’eurodéputée libérale Sharon Bowles, qui préside la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, les discussions du Forum fiscal de Bruxelles qui avait pour thème "la politique fiscale dans le contexte d’une monnaie commune". Il a donc pu répondre aux questions de la presse au sujet de cette lettre.
Dans son courrier, que le quotidien suisse Le Temps diffuse dans son intégralité sur sa version en ligne, Algirdas Semeta constate que les accords bilatéraux conclus avec la Suisse portent sur la fiscalité des revenus de l’épargne perçus par les résidents allemands et britanniques d’organismes payeurs suisses et qu’ils prévoient des mécanismes visant à assurer l’imposition de tels revenus conformément aux lois du pays de leur pays de résidence. Or, rappelle le commissaire, des mécanismes ayant le même objectif sont prévus dans la directive sur la fiscalité de l’épargne (2003/48/CE) et l’accord entre l’UE et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive en question.
Dans sa lettre, Algirdas Semeta assure que ses services ont eu des discussions "très constructives" avec les autorités allemandes et britanniques afin d’assurer la compatibilité de leurs accords avec le droit européen. Le commissaire se dit donc "confiant" quant à l’issue "satisfaisante" qui sera trouvée. Interpellé par la presse sur cette question, Algirdas Semeta a déclaré que les autorités britanniques et allemandes avaient donné leur accord pour modifier les accords selon les principes dont ils ont discutés. D’après le commissaire, ces deux pays vont donc négocier ces amendements avec la Suisse.
Ce courrier est aussi l’occasion de rappeler "les limites juridiques" liées à la conclusion de tels accords et de souligner l’importance de progrès en matière d’amélioration des mécanismes de fiscalité de l’épargne.
Le commissaire rappelle ainsi le contexte législatif actuel, qui prévoit l’échange automatique d’informations sur les revenus transfrontaliers de l’épargne ainsi qu’un régime transitoire basé sur la retenue à la source. Sans compter les accords conclus au niveau de l’UE avec un certain nombre de pays tiers, parmi lesquels la Suisse. Algirdas Semeta rappelle que la Commission a mis sur la table, en 2008, une proposition de révision de la directive sur la fiscalité de l’épargne, qui entend notamment élargir la définition du paiement d’intérêt et introduire des mécanismes renforcés pour identifier les bénéficiaires du revenu de l’épargne. La Commission demande aussi à être mandatée pour négocier avec la Suisse des mesures équivalentes, souligne encore le commissaire.
Dans ce contexte, poursuit Algirdas Semeta dans sa lettre, "les Etats membres devraient s’abstenir de négocier, de parapher, de signer ou de ratifier avec la Suisse, ou tout autre pays tiers, des accords si un domaine réglementé au niveau européen devait être concerné".
Il donne une liste plus précise des limites à ne pas franchir.
Ainsi, "en ce qui concerne les impôts directs et l’avenir", tous les secteurs et produits qui sont déjà couverts par la législation européenne sur la fiscalité de l’épargne, ainsi que ceux qui sont inclus dans les propositions de modification de la réglementation dont les Etats membres débattent depuis plus de deux ans doivent être exclus du champ d’application des accords.
Concernant le passé, la régularisation des avoirs dissimulés au fisc "ne peut pas couvrir la taxe sur la valeur ajoutée (TVA)", poursuit le commissaire. "Si de tels accords prévoient une coopération plus large que le domaine de la fiscalité, les principes d’une compétence exclusive externe de l’UE s’appliquent de la même façon dans des domaines qui sont déjà régis ou pourraient l’être à l’avenir par l’harmonisation communautaire", ajoute-t-il en évoquant le domaine des services bancaires et d’investissement. Une référence à "certaines concessions que l’Allemagne et le Royaume-Uni ont faites à la Suisse", comme l’explique Le Temps dans son édition du 6 mars 2012 : "ces deux pays se sont notamment engagés à `faciliter´ l’accès des opérateurs helvétiques à leur marché national des services financiers".
Algirdas Semeta insiste pour conclure sa missive sur la nécessité d’avancer sur le dossier difficile des amendements que la Commission souhaite apporter à la directive sur la fiscalité de l’épargne. "Vu l’intérêt que tous les Etats membres ont à assurer le plein respect de leurs lois fiscales, je crois qu’il est plus que jamais nécessaire de donner la plus haute priorité au mandat que devrait donner le Conseil à la Commission pour ouvrir les négociations avec nos partenaires, parmi lesquels la Suisse", conclut-il sa lettre.
La Commission européenne est prête à faire des efforts en matière de lutte contre l’évasion fiscale et la fraude, ainsi que le demande le Conseil, a assuré le commissaire devant la presse. Mais il n’a pas manqué d’appeler les Etats membres à assumer leurs responsabilités au niveau européen. "Rien ne justifie un délai supplémentaire pour l’adoption de la directive révisée sur la fiscalité des revenus de l’épargne et du mandat de négociation dont la Commission a besoin de la part du Conseil pour négocier avec les pays tiers les mesures équivalentes", a lancé Algirdas Semeta. Il espère pouvoir aboutir sur ce dossier sous présidence danoise.
Mais pour cela, il faut convaincre l’Autriche et le Luxembourg, qui bloquent tout progrès sur ce dossier depuis longtemps, à changer de position, ainsi qu’il l’a expliqué à la presse. "Je les invite à changer de position et à permettre à la Commission de commencer les négociations avec la Suisse", a-t-il lancé à l’adresse de ces deux pays, se félicitant à l’idée que la renégociation des accords dits Rubik "va paver la voie pour avancer sur le dossier de la fiscalité de l’épargne".