Dans un arrêt prononcé le 24 mai 2011, suite aux recours en manquement introduits par la Commission européenne à l’encontre de six États membres, dont le Luxembourg (avec la Belgique, l'Allemagne, la Grèce, la France et l'Autriche), la Cour de Justice de l'Union européenne avait proclamé qu'un Etat membre ne pouvait pas réserver l'accès à la profession de notaire à ses seuls nationaux. Il était reproché au Luxembourg une discrimination fondée sur la nationalité interdite par le traité CE et la non application aux notaires de la directive 89/48/CEE sur la reconnaissance des qualifications professionnelles
Le 16 décembre 2011, la Chambre des députés a adopté à l'unanimité la loi portant modification de la loi modifiée du 9 décembre 1976 relative à l’organisation du notariat. Toutefois, comme le président de la Chambre des notaires l'a confié le 7 mars 2012 à la journaliste du magazine PaperJam, Frédérique Moser, le plus dur reste à faire.
Interrogé d'abord sur l'anticipation dont aurait pu faire l'objet la situation condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne, le président de la Chambre des notaires rappelle le flou juridique qui entourait cette profession, flou qui laissait d'ailleurs tout aussi perplexes le Parlement européen et la Commission européenne. "Nous sommes une autorité publique, travaillant comme profession libérale. C’est une grande différence par rapport à toutes les autres professions libérales, tels que les médecins, avocats, etc", rappelle-t-il.
"Jusqu’au 24 mai dernier, il y avait un flou sur la signification de l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’UE". Cet article exclut de l'application de la libre circulation des personnes, des services et des capitaux "les activités participant dans [un] État, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique. "Il était ainsi possible d'interpréter cet article de telle sorte que la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles n'englobe pas les notaires. "Nous pouvions légitimement nous interroger sur les raisons qui avaient poussé les pères de l’Europe à introduire l’expression "même à titre occasionnel" dans l’article 45 du traité. Jusqu’à l’arrêt de la Cour, cela concernait les notaires."
Mais, désormais, la Cour de justice de l'Union européenne a tranché, en donnant un sens "très restrictif" à la notion d'"exercice de l’autorité publique". "La Cour a répondu. Le pouvoir régalien est le pouvoir de coercition : le gouvernement, la justice et la magistrature, ainsi que la force publique. On peut penser de cet arrêt ce que l’on veut, mais maintenant, nous savons où nous en sommes. Nous pouvons donc passer au stade deux : la mise en pratique de cette nouvelle orientation et l’organisation de la profession", poursuit Frank Molitor. Finalement, "nous avons décidé de profiter de cet arrêt pour entamer une refonte totale des textes".
La prudence tient à cœur de celui qui se dit "très ouvert aux idées européennes" et est également le vice-président du notariat européen. "Ce que nous voulons éviter, et en cela je suis presque toujours en phase avec le ministre, c’est d’être continuellement appelés devant la Cour de Justice de l'Union européenne. Nous voulons travailler de façon constructive et positive. La nouvelle loi devra donc ménager les intérêts nationaux – car je veux qu’il y ait encore des notaires luxembourgeois – tout en faisant très attention à ce que cela n’aboutisse pas à la discrimination des non-nationaux. Il faut donc que le texte subisse avec succès le test de proportionnalité."
"Ce texte est le premier étage de la fusée, suite à l’arrêt de la Cour", poursuit Frank Molitor. "C’est l’étage le plus simple. Le volet le plus ardu, ce sera bien entendu le second étage, la nouvelle réglementation concernant les critères d’accès à la profession, qui en est la conséquence directe." Concernant la liberté d’établissement, "un ressortissant communautaire peut maintenant devenir notaire au Luxembourg". Par contre, "ce qui est exclu, c’est qu’il demande au ministre de créer un poste pour lui. Il doit être dans la file et prouver qu’il maîtrise les spécificités du droit et des pratiques administratives nationales ; il doit aussi prouver qu’il pratique la langue nationale et les langues administratives."
La "file" c'est la liste de réserve pour accéder à une profession dont le nombre d'offices est réglementé et limité à 36. Le Ministère de la Justice a d'ailleurs demandé en janvier 2012 le retrait du rôle (c’est-à-dire l’arrêt des travaux parlementaires) du projet de loi 5997, qui avait pour objet principal la mise en place des associations de notaires, ajoute la journaliste. "Il est possible que le projet d’association soit rediscuté dans le cadre de la réforme, mais dans une version sans doute plus ‘soft’. Cela n’est plus qu’un détail, face à l’ampleur du chantier qui nous attend", commente pour sa part Frank Molitor.
Le travail le plus épineux et controversé qui reste à réaliser réside donc dans la réglementation sur l'accès à la profession. La Chambre des notaires doit adresser ses propositions au ministre de la Justice avant le 30 juin prochain. Les candidats-notaires devront suivre le même cursus que les candidats luxembourgeois. Mais, "pour moi" poursuit le président de la Chambre des notaires, "il est difficile d’exiger de quelqu’un qui est notaire à Metz ou à Trêves, depuis 20 ans, un an de stage au Luxembourg. Peut-on aussi exiger de lui qu’il suive, physiquement, les cours complémentaires de droit luxembourgeois et les cours spécifiques de droit notarial ?" Toutefois, il faut considérer que "le droit civil luxembourgeois a l’avantage – ou le désavantage – de ne pas copier les textes étrangers. Il a ses spécificités et le maîtriser est absolument nécessaire pour la sécurité juridique." Il faudra toutefois encore composer pour définir quelle ancienneté leur sera accordée.
En tout cas, pour Frank Molitor, il est décisif que le Luxembourg soit fixé le premier pour agir avec liberté : "Aucun pays voisin n’a encore tranché cette question. Le premier qui le fera sera le Luxembourg et on a tout intérêt à ne pas laisser pourrir la situation. La France et l’Allemagne peuvent s’offrir le luxe de régler la question au niveau politique, et je les vois bien dire au Luxembourg ce qu’il a à faire. Il faut donc rapidement positionner le notariat luxembourgeois pour qu’il ait un grand avenir devant lui, dans une grande Europe."
Le président de la Chambre des notaires considère que la venue de notaires étrangers a des avantages. Ceux qui se seront formés à toutes les subtilités de la législation luxembourgeoise constitueront "un enrichissement pour la profession".
D'autre part, Frank Molitor ne se fait aucun souci pour la pérennité de l'activité de notaires luxembourgeois. Il y a d'"autres éléments qui lui donnent "confiance en l’avenir" : le maintien de tarifs réglementés, l’importance réitérée de l’impartialité, le rattachement obligatoire à une organisation professionnelle, qui garantit également le respect de la déontologie, écrit Frédérique Moser.
De même, le président de la Chambre des notaires se rassure du fait que la jurisprudence a défini que l'acte authentique et l’authentification sont exclus de la libre prestation de services. La perspective de voir naître des notaires "ambulants" est donc écartée.