Le 14 mai 2012, Alex Hoffmaister, le chef de la mission du Fonds monétaire international (FMI), a présenté à la presse les conclusions préliminaires de sa mission au Luxembourg, mission qui s’inscrit dans le cadre des consultations périodiques au titre de l’article IV des statuts du FMI. Le rapport final sera discuté dans la deuxième quinzaine de juin au FMI.
Ces conclusions préliminaires sont toutefois sans appel : Alex Hoffmaister, qui se livre à l’exercice pour la troisième année consécutive confie avoir vu apparaître depuis sa première mission des signes de détérioration dans la stabilité pourtant bien connue du Luxembourg. Et il appelle à agir.
Ainsi, la croissance luxembourgeoise, qui a ralenti en 2011, est estimée pour 2012 à 0,5 % seulement par les analystes du FMI. Une prévision plus sombre encore que celle présentée par la Commission quelques jours à peine auparavant. L’explication principale : la faiblesse de la demande extérieure liée aux incertitudes qui pèsent sur la zone euro. Sans compter la volatilité des marchés financiers et l’incertitude des perspectives financières qui pèse sur la demande intérieure. Une intensification de la crise de la zone euro aurait des effets au Luxembourg tant par le biais de l’économie réelle que de la finance, préviennent les auteurs de ce rapport préliminaire. Ainsi, selon eux, un ralentissement dans la zone euro augmenterait le chômage, mais pourrait aussi altérer la capacité des ménages à assurer le service de leur dette et affaiblir par voie de conséquence la qualité des actifs des banques domestiques. Mais les économistes du FMI imaginent aussi qu’un "accident politique dans la zone euro pourrait déclencher une crise financière embrasant la région". Et de ce point de vue, ils relèvent que si l’exposition aux dettes souveraines en difficulté s’est réduite, les banques internationales basées à Luxembourg continuent d’être exposées à des risques de liquidité.
Le défi pour le Luxembourg, c’est donc de maintenir sa stabilité économique en limitant les vulnérabilités du secteur financier, d’assurer la durabilité budgétaire, et de promouvoir la croissance et l’emploi.
Pour ce qui est du secteur financier, la mission du FMI note des progrès dans le renforcement de la supervision du secteur, mais appelle à renforcer encore la coordination transfrontalière en la matière, notamment dans le cadre européen.
Les auteurs de ce rapport intermédiaire observent aussi qu’il existe plusieurs domaines dans lesquels les progrès réalisés au niveau européen en matière de régulation sont cruciaux, mais dont le report régulier pose problème au Luxembourg. C’est le cas par exemple pour ce qui est des efforts visant à améliorer et harmoniser les mécanismes de résolution des crises bancaires, ainsi que les systèmes de garantie des dépôts. En matière de fonds d’investissement, la directive UCITS V peut offrir des opportunités de renforcer les régimes dépositaires, mais les progrès observés sur ces initiatives sont lents, et mettre en œuvre les réformes pourtant nécessaires de longue date avant d’avoir les orientations de l’UE risque de nécessiter d’avoir à les revoir par la suite. Le FMI recommande donc d’avancer sur les actions ne requérant pas législation, comme le renforcement des plans de relance et de résolution qui vont être requis pour toutes les grandes banques européennes.
Nombre de réformes du secteur financier au niveau mondial et européen sont susceptibles d’avoir un impact important sur le secteur financier luxembourgeois, souligne aussi le rapport intermédiaire. A priori, répondre aux exigences de fonds propres de Bâle III et de la directive les mettant en œuvre dans le droit européen (CRD IV) ne devrait pas poser de difficultés. Mais de plus hauts standards de liquidités pourraient constituer un défi.
Les conclusions préliminaires de la mission appellent aussi à clarifier le rôle de la CSSF et de la BCL pour ce qui est de la supervision des risques liés aux liquidités, une clarification rendue nécessaire notamment par les exigences de Bâle III. Autre suggestion, établir une autorité macro-prudentielle nationale selon les recommandations du Comité européen du risque systémique. Enfin, il s’agit de renforcer l’indépendance opérationnelle de la CSSF.
Mais Alex Hoffmaister a surtout insisté sur la nécessité d’assurer la durabilité des finances publiques. La mission qu’il a conduite estime en effet que le déficit public va augmenter de 0,5 à 2 % du PIB en 2012. Et si, dans un contexte de croissance ralentie, le budget a pu soutenir l’économie en maintenant le cap des investissements, la mission met en garde contre la prioritarisation à court terme des investissements qui peut avoir un impact sur les perspectives de croissance à long terme. Alex Hoffmaister s’inquiète de voir augmenter les dépenses, notamment pour les salaires et le social, tandis que les investissements publics diminuent.
Dès que la croissance reprendra, il faudra mettre en œuvre une consolidation budgétaire de haute qualité soutenue par un cadre budgétaire pluriannuel, prévient le rapport préliminaire. En l’absence de mesures correctives, la dette publique augmenterait fortement dans les cinq années à venir, reflétant notamment le déclin structurel des recettes, comme celles provenant du e-commerce. Le FMI salue l’objectif réaffirmé d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2014, mais la mission estime qu’il faudrait des mesures supplémentaires pour y parvenir. Ils évaluent qu’il faudrait économiser encore 1 % du PIB. La consolidation budgétaire devrait se concentrer essentiellement sur la rationalisation des dépenses courantes, recommandent les experts du FMI.
À plus long terme, prévient le chef de mission, et il a largement insisté sur ce point, la réforme du système de pensions ne sera pas suffisante. "La générosité du système de retraite luxembourgeois va aboutir à la plus haute augmentation de dépenses liées à l’âge de toute l’UE", est-il indiqué dans le rapport préliminaire. De ce point de vue, pour Alex Hoffmaister, la proposition de réforme dite de "pensions à la carte" n’est qu’un premier pas, car il faudrait attendre 40 ans pour en voir les effets. Pour parvenir à un système viable, il faudrait augmenter l’âge légal de départ à la retraite, comme dans nombre d’autres pays. Mais il faudrait surtout réduire, si ce n’est éliminer les périodes complémentaires et limiter l’indexation des pensions à l’ajustement au coût de la vie, deux spécificités du système luxembourgeois qui sont très problématiques selon lui. Le chef de la mission du FMI a en effet fustigé le système de double indexation des retraites sur la base des salaires et des prix en appelant à une plus juste distribution intergénérationnelle du poids de l’ajustement.
Pour ce qui est du soutien à l’emploi, le chef de mission du FMI a insisté lourdement sur la nécessité de dépenser plus efficacement les ressources mises en œuvre. C’est le chômage de longue durée qui est dans la ligne de mire d’Alex Hoffmaister. Il faut selon lui orienter l’aide aux chômeurs de longue durée de façon à mieux encourager et faciliter le retour à l’emploi, en se concentrant notamment sur la formation.
Plus largement, si le report de l’indexation automatique des salaires a permis, selon les analystes du FMI, de limiter les incidences négatives sur la compétitivité, il faudra aller plus loin à long terme en excluant par exemple les prix de la nourriture et du pétrole de l’index de référence, avec pour objectif de supprimer l’indexation à moyen terme.