"L’Europe a subi en 2011 une crise financière sans précédent, les perspectives de ralentissement économique ayant aggravé la crise de la dette souveraine", souligne le président de la BCL, Yves Mersch, en introduction à la Revue de stabilité financière publiée le 25 avril 2012. "Cette crise sévère s’est propagée à la sphère financière, affectant à la fois la solidité des établissements de crédit et mettant en péril leur capacité à financer l’économie.(…) Les coûts de refinancement y ont atteint des niveaux insupportables pour la soutenabilité de la dette publique et pour le financement de l’économie compte-tenu de fortes corrélations entre le coût du financement des banques, des entreprises et des Etats dans les pays fragilisés."
Yves Mersch souligne deux principaux facteurs de risque persistants pour expliquer les vulnérabilités actuelles : "les difficultés des banques européennes à se refinancer sur les marchés interbancaire et obligataire non-sécurisés" et "les craintes d’une réduction du soutien du secteur de l’intermédiation à l’économie réelle, à travers la raréfaction du crédit". L'atonie économique peut alors en retour aggraver le risque de crédit et de contrepartie pour les établissements de crédit.
C'est l'action notamment de la Banque centrale européenne qui, en la matière, aurait limité la casse : "Sans les nouvelles mesures (…), les contraintes de financement et l’accentuation d’un "deleveraging" (NDLR : désendettement par la vente d'actifs) désordonné auraient été beaucoup plus sévères pour le secteur bancaire et, au final, pour l’économie réelle."
L'action de la BCE a paré aux difficultés de refinancement en dollar des banques de la zone euro observée à partir de l'été 2011. Elle s'est ensuite notamment distinguée par des opérations de refinancement à long terme (LTRO), dont deux massives en décembre 2011 et février 2012, à hauteur de 1000 milliards d'euros. En mettant des liquidités à disposition des établissements de crédit, elles leur ont évité "de recourir à des ventes précipitées et à des prix sacrifiés d’actifs stratégiques". Les analyses effectuées à partir des données de la première opération LTRO du mois de décembre montrent qu’elle a permis à la fois "la modération du rationnement du crédit à l’économie", "l’atténuation de l’aversion au risque à l’égard des banques et de leurs conditions de financement", mais aussi "l’interruption d’un processus évident d’un "deleveraging désordonné".
Or, malgré les améliorations sensibles dans l’environnement financier européen depuis la fin 2011, "la profitabilité des établissements de crédit est caractérisée par des niveaux historiquement bas", dans un contexte d’atténuation généralisée des profils de risque.
En procédant à ces opérations de refinancement, la Banque centrale européenne a recouru à des "mesures monétaires non conventionnelles" qui n'ont pas vocation à devenir la norme pour atteindre la stabilité financière. Au lieu de cette "gestion du risque" (risk management), une surveillance macro-prudentielle, défaillante avant la crise, doit désormais pouvoir détecter et corriger à temps les chocs systémiques en devenir. Une telle politique fait l'objet d'un large soutien politique depuis plusieurs années, notamment depuis le rapport De Larosière de 2009, rappelle Yves Mersch.Ce rapport fut le préambule à la création du Comité européen de risque systémique (CERS), en novembre 2010.
Cette institution fait partie du Système européen de surveillance financière (SESF). En décembre 2011, le CERS a envoyé une recommandation aux Etats membres afin qu'ils identifient les autorités macro-prudentielles auxquelles accorder un tel mandat au niveau national. Elle a aussi souligné la nécessité de formuler des objectifs intermédiaires, des instruments effectifs et efficaces, des indicateurs permettant l'application de la politique, et des mécanismes comptables, rappelle le Rapport de stabilité financière.
Chaque pays est ainsi invité à reconsidérer son architecture institutionnelle de surveillance prudentielle. Pour ce qui est du mandant, "le consensus international (CERS, FMI, FSB) est en faveur de l’attribution d’un rôle moteur aux banques centrales dans la conduite de la politique macro-prudentielle nationale", souligne le président de la BCL.
Si les banques centrales seraient les institutions aptes à mener cette politique, c'est notamment parce qu'elles sont détachées des échéances électorales et de "la tendance à l'inaction" de la classe politique. Pour cause à cette nonchalance, "les bénéfices de cette politique sont difficiles à observer et peuvent seulement être déterminés à long terme, s'ils le peuvent, tandis que les coûts sont généralement hautement visibles et directement." Les mesures pour contrer les risques structurels risquent de faire face à l'opposition d'arguments tels ses coûts excessifs, le manque d'urgence et l'interférence avec le marché.
Par ailleurs, les banques centrales ont déjà pour charge la sauvegarde des systèmes de paiement et fournissent le financement des prêteurs en dernier ressort. Elles disposent des compétences et de l'expertise adéquates. En la matière, il reste encore des outils à affiner, des problèmes à résoudre. Le Rapport fait d'ailleurs montre, par quatre analyses, des recherches menées par les économistes de la BCL.
"Notre principal message est que nous en savons assez pour commencer la mise en œuvre de la politique macro-prudentielle, même s'il reste des questions sans réponse. L'inaction est coûteuse et beaucoup de questions ne peuvent trouver de réponse qu'à travers le "learning by doing" (l'apprentissage sur le tas)", écrit la BCL. D'ailleurs, cette flexibilité, cette capacité d'adaptation aux nouveaux risques sera le lot quotidien d'une telle institution émergente. Il s'agira de "s'adapter à des risques émergents, des situations changeantes".
Pour aiguiller le parcours vers la stabilité, des objectifs intermédiaires et à long terme doivent être définis à trois niveaux :
Le risque systémique se déniche dans la tendance des agents financiers à assumer un risque excessif en cas de croissance et d'y devenir inversement allergique en cas de recul. Il est aussi traqué par l'analyse de la distribution des risques selon les compartiments du secteur financier.
Pour ce faire, il existe déjà des indicateurs jugés fiables. Le plus fiable d'entre eux est une forte croissance du crédit. Observée, elle est un "indicateur puissant de crises financières", particulièrement quand elle est couplée à de fortes augmentations de prix des actifs.
Ensuite, les données sur l'endettement des établissements du crédit, de forts prix de l'immobilier et "peut être aussi le financement et la liquidité" sont des facteurs fiables et servent déjà de support au rapport de stabilité financière pour pointer les risques émergents.
A chacune de ces deux dimensions répondent des instruments différents. En réponse aux indicateurs signalant un amoncellement de risques, correspond par exemple l'exigence d'un capital tampon anticyclique ou l'action sur le plafond tel que le ratio d'endettement maximal.
Les instruments à mettre en œuvre sont eux aussi connus. Les exigences en fonds propres liées à la surveillance macro-prudentielle font d'ailleurs l'objet de la proposition de directive du 20 juillet 2011 au sujet de laquelle le Conseil Ecofin débattait le 2 mai 2012.
Un consensus international règne là aussi sur le minimum d'outillage macroprudentiel :
La surveillance macro-prudentielle reposerait aussi sur le principe de transparence. Il s'agirait de décrire en amont quels indicateurs doivent donner lieu à l'usage de quel instrument. Cette transparence aurait d'ailleurs le pouvoir de lutter contre le fameux "penchant à l'inaction". Cela permettrait aussi de circonscrire les attentes envers le comportement de l'autorité macro-prudentielle mais aussi aux participants du marché de prendre en compte les décisions politiques futures qui augmenteront l'efficacité de la politique.
Elle permettrait ainsi la comparaison entre le comportement de l'autorité, les objectifs intermédiaires fixés, les instruments utilisés en relation aux niveaux des indicateurs qui ont justifié l'intervention de l'autorité. Avant la décision, le souci de transparence exigerait de relater l'analyse et les délibérations dans le processus de prise de décision. Elle devrait publier les valeurs des indicateurs et dire pourquoi une action sera prise ou pas en fonction de ces valeurs.
Cette politique macro-prudentielle nécessite aussi de nouveaux pouvoirs tels que celui de collecter des informations des institutions financières à l'intérieur et à l'extérieur du périmètre de régulation. Il faut aussi désigner les institutions financières les plus grandes à l'échelle du système pour des exigences prudentielles additionnelles. L'autorité doit aussi avoir la possibilité de donner des recommandations aux autorités législatives sur le périmètre de régulation. Elle devrait aussi être en mesure d'agir seule et d'employer ses outils pour sauvegarder la stabilité financière. Ainsi, elle pourrait augmenter l'exigence de fonds propres si les distorsions fiscales augmentent le risque pris par les institutions financières, cite en exemple le Rapport de stabilité financière.
D'ailleurs, Yves Mersch défend pour chaque autorité nationale une certaine liberté qui prenne en compte les spécificités nationales: "Une certaine flexibilité au niveau national est souhaitable. Ceci permettrait aux autorités compétentes de posséder les leviers de pilotage de leur système financier en réponse à des circonstances spécifiques à l’économie nationale".
Certes ils ne sont pas sans coût, mais les instruments doivent être confectionnés dans une perspective qui regarde au-delà des cycles financiers et incorpore l'impact du "risque moral" sur le comportement des agents financiers.
Dans son éditorial, Yves Mersch souligne la résistance particulière luxembourgeoise : "En dépit des fortes amplitudes des chocs subis, l’analyse des données depuis le déclenchement de la crise en 2008 laisse présager une résistance appréciable du secteur bancaire luxembourgeois dans sa globalité par rapport à l’expérience affichée par plusieurs pays, y compris les pays limitrophes. "
Le volume des affaires dans le secteur financier n'a pas repris. "Il s'explique notamment par le "processus de restructuration et de consolidation des activités de certains grands groupes bancaires ayant des filiales ou des succursales au Luxembourg".
Quant aux fonds d’investissement, les investissements nets se sont élevés à seulement 5 284 millions d’euros, contre 161 568 millions d’euros l’année précédente. Les "effets de marché" ont eu un impact négatif de 107 766 millions d’euros, alors qu’ils avaient contribué à la croissance de la VNI à hauteur de 196 433 millions d’euros en 2010.
D'ailleurs, la BCL fait remarquer que le niveau des dépôts effectués auprès d'elle progressent, ce qui "serait plutôt un indicateur de la persistance des tensions sur le marché interbancaire et un levier de gestion de la liquidité des banques dont l’usage excessif serait synonyme de la perte de confiance dans les acteurs financiers".
Toutefois, le Luxembourg ne connaît pas de resserrement significatif du crédit tel qu'observé dans les pays voisins. Cinq banques se partagent toutefois 85 % des crédits aux ménages résidents, qui pèsent plus de 22 milliards d'euros. "S’agissant de l’impact du choc des prix de l’immobilier résidentiel au niveau national sur le ratio des fonds propres, celui-ci apparaît à première vue peu vraisemblable étant donné que peu de banques sont impliquées dans le financement de l’immobilier résidentiel au Luxembourg."
Cependant, la BCL prévient qu'il faut tout de même garder cette situation à l'œil. "Les risques pour la stabilité financière dans l’économie luxembourgeoise demeurent maîtrisables au regard de ce qui est observé dans bon nombre d’autres économies européennes. Toutefois, la vigilance reste de mise, notamment en raison de la forte concentration des crédits hypothécaires domestiques aux mains d’un nombre restreint d’institutions, ce qui pourrait engendrer des répercussions importantes en cas de retournement brusque et sévère du marché immobilier."
La BCL s'est intéressée à la stabilité du secteur financier et a notamment soumis les banques à son propre stress-test. Il en ressort que "la situation financière globale du secteur bancaire est compatible avec les exigences de stabilité financière du système bancaire. Toutefois, l’examen des scores individuels des banques luxembourgeoises laisse présager la persistance d’un certain degré de fragilité."
Au niveau des fonds propres, la BCL a calculé qu'au 31 décembre 2011, "le ratio de solvabilité moyen des banques luxembourgeoises est resté quasiment constant à un niveau de 18,2 %, en baisse de seulement 0,1 % par rapport au 31 décembre 2010". On observe, ainsi, d’une part, une diminution des fonds propres (-2,9 %), contribuant pour -0,6 % à l’évolution du ratio, et d’autre part, une diminution des actifs pondérés par le risque, qui se traduit par une baisse des exigences additionnelles en fonds propres de 2,4 %, contrebalançant ainsi l’effet de la diminution des fonds propres sur le ratio de +0,5 %.
La BCL ajoute qu'"en moyenne les banques luxembourgeoises gardent une certaine marge afin de répondre à ces exigences plus contraignantes" découlant des règles de Bâle III. Le ratio de levier par rapport aux fonds propres de base se situe, quant à lui, à 5,3 %.
Par contre, au sujet des normes de liquidité, la situation est un peu plus délicate. Une majorité des banques luxembourgeoises ne les respecte pas encore. Pour le "ratio de liquidité à court terme", la composition restrictive des actifs éligibles pour le stock d’actifs liquides et le plafonnement des flux entrants à 75 % des flux sortants "s’avèrent particulièrement pénalisantes pour le modèle d’affaires des banques luxembourgeoises".
En conséquence, prévient la Banque centrale, une partie des banques devront apporter des ajustements à leur modèle d’affaires, rallonger la structure d’échéance de leurs sources de refinancement ou bien augmenter le stock des actifs liquides éligibles afin de respecter le ratio de liquidité à court terme lors de son entrée en vigueur en 2015.
"D'un côté, les bilans des institutions bancaires luxembourgeoises ne sont pas soumis aux mêmes pressions que ceux de leurs homologues européennes." Leur exposition aux obligations émises par les Etats grec et portugais est relativement limitée dans une perspective européenne. Mais leur exposition aux obligations d’autres Etats à fort taux d’endettement est assez élevée. Ainsi, dans une perspective européenne, l’exposition totale des banques luxembourgeoises aux dettes de l’Italie, de l’Espagne et de la Belgique apparaît importante au regard du PIB national (50 %). "Exprimée en pourcentage des fonds propres, l’exposition redevient plus raisonnable, mais reste néanmoins dans la moyenne haute au niveau européen."
D'autre part les banques luxembourgeoises sont peu exposées au risque d'une éventuelle dégradation de l'économie domestique.
Par contre, les banques sont "plus vulnérables face à un choc négatif affectant le PIB de la zone euro que face à un choc identique affectant le PIB luxembourgeois", comme l'a confirmé une étude récente de la BCL.
Au final, au Luxembourg, "on peut constater que les résultats luxembourgeois ne signalent pas de risques majeurs pour les trimestres à venir, ni par rapport à un éventuel risque de resserrement de crédit, ni en ce qui concerne le risque de refinancement des banques."
"La présence de diverses poches de croissance au niveau mondial permet de penser que l’économie de la zone euro ne devrait pas connaître de nouvel épisode dépressionnaire semblable à celui observé au tournant des années 2008-2009", observe Yves Mersch. A cela s'ajoute que les développements économiques récents aux Etats-Unis ont été plus positifs que prévus, à la faveur d'exportations soutenues par l’affaiblissement du dollar.
Toutefois, "le climat conjoncturel dans la zone euro s’est continuellement dégradé au cours du second semestre de l’année 2011 et les perspectives de croissance économique à court terme demeurent assez sombres, même si la situation semble s’être stabilisée depuis le début de l’année 2012". Ce qui se ressent dans la dégradation marquée de la situation sur le marché du travail. Le taux de chômage a atteint en février 2012 un record historique de 10,8 % (contre 10 % en février 2011).
La très forte interdépendance qui existe entre la santé financière des établissements bancaires et celle des Etats, les liens ténus entre les développements de la sphère financière et de la sphère dite réelle de l’économie, ainsi que la relative lenteur pour la mise en place d’un mécanisme financier européen fiable et nécessaire pour contenir la crise et sa propagation, permettent de comprendre la nature de la spirale récessive dans laquelle l’économie européenne s’est enfoncée à partir de l’été 2011", explique encore le rapport de la BCL.
L'Allemagne sera la future locomotive : "Avec la dépréciation de l’euro observée ces derniers mois, l’activité économique en zone euro devrait pouvoir bénéficier à l’avenir du maintien de la bonne dynamique de croissance à l’échelle mondiale, en particulier dans les économies qui, à l’instar de l’Allemagne, reposent sur une base industrielle solide et sont largement tournées vers l’extérieur."
Le sommet européen de décembre 2011, l'accord sur le second plan de financement de la Grèce le 21 février 2012 et les mesures exceptionnelles annoncées au cours du quatrième trimestre 2011 par la BCE, ainsi que les indicateurs avancés ressortant au-delà des attentes aux Etats-Unis et dans une certaine mesure dans quelques grands Etats européens, ont influencé l'appétence pour le risque des investisseurs.
Il suffit ainsi de considérer encore le montant record des recours à la facilité de dépôt de l’Eurosystème pour y voir le symptôme "d’un niveau encore élevé d’aversion au risque des banques de la zone euro".
L'austérité pourrait se retourner contre les pays qui la mettent en pratique, prévient la BCL qui met en garde contre "une possible défiance des investisseurs vis-à-vis des Etats périphériques les plus fragiles, suspectés de devoir recourir eux aussi à des renégociations de leurs dettes publiques". "A court terme, les mesures d’austérité ont a contrario un impact négatif sur l’activité, qui peut conduire les investisseurs à douter de la cohérence des stratégies mises en œuvre."
La BCL s'attaque "aux mesures d'austérité parfois conséquentes" prises simultanément dans de nombreux pays européens, constatant que leur effet fut "très limité".