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Emploi et politique sociale
Les politiques de l’emploi évaluées à l’intersection entre les besoins sociaux au niveau national luxembourgeois et les exigences macro-économiques formulées au sein de l’UE
14-05-2012 / 15-05-2012


L’Observatoire de l’emploi RETEL  et le Fonds social européen (FSE) ont organisé les14 et 15 mai 2012 un séminaire  sur le suivi et l’évaluation des politiques de l’emploi.

Nicolas Schmit : Plaidoyer pour une évaluation des politiques publiques dans un environnement économique et social qui change

Nicolas Schmit, ministre du Travail et d e l'Immigration, au cours d'une de ses interventions à la conférence de l'Observatoire de l'Emploi sur l'évaluation des politiques de l'emploi, les 14 et 15 mai 2012 à MondorfLe ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit, a constaté dans sa première intervention au début du séminaire que l’évaluation des politiques de l’emploi n’avait, pas plus que pour d’autres politiques, une grande tradition au Luxembourg. Cela tient selon lui au fait que le pays a déjà en tant que tel du mal à mettre en œuvre des politiques publiques, et parce que les politiques n’aiment pas être contestés à partir des résultats de leur entreprises. Pourtant, a-t-il admis, les politiques de l’emploi sont très onéreuses, et il est donc utile de les soumettre à une évaluation, ne serait-ce que pour voir si l’argent du contribuable a été dépensé pour atteindre les objectifs fixés. Tant que les caisses publiques étaient pleines, l’on se passait de ce genre d’exercice, "mais maintenant, on se pose plus de questions". Le séminaire du RETEL tombe donc « au bon moment », alors que la révision des finances publiques a commencé au Luxembourg.

Reste que les mesures prises au cours des années ont une histoire, remarque le ministre. Quand le chômage était faible, les mesures prises avaient "un effet marginal". On se trouvait dans "une logique de subvention", une subvention au travail plus qu’au chômage, malgré tout. Mais entretemps, le travail a changé. Le marché demande plus de qualification, plus de performance, plus de formation, alors que la majorité des chômeurs ne sont pas assez qualifiés ou mal qualifiés. On ne peut donc plus subventionner untel qui n’est plus qualifié pour un emploi donné.

Le ministre n’a pas esquivé les comparaisons européennes, qui montrent selon lui que le Luxembourg dépense moins que d’autres Etats membres pour ses politiques de l’emploi. Certes, le chômage y est en-dessous de la moyenne de l’UE. Mais l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, admet Nicolas Schmit, mènent des politiques de l’emploi plus actives, plus efficaces et plus onéreuses que le Luxembourg. Le pays doit donc accepter des "interrogations légitimes", dans la mesure où il a plus investi dans « des mesures passives qu’actives », des mesures qui activent l’emploi. Il a même beaucoup dépensé pour sortir des personnes de l’emploi, comme par le reclassement ou les préretraites, honnies par le patronat, mais exigées dès qu’il s’agit de restructurer, comme récemment dans la sidérurgie.

L’ADEM a reçu plus de ressources humaines, mais dans l’UE, les "services d’activation" reçoivent 11 % des budgets des politiques de l’emploi, et au Luxembourg, avec seulement 4 %, le ministre estime qu’ils sont "sous-financés". La formation absorbe 43 % des budgets dans l’UE, mais seulement 9 % au Luxembourg. Le Luxembourg investit dans les chômeurs, est même « généreux » selon des observateurs étrangers, mais il n’investit pas assez dans la formation. Il y a d’autres aides ou mesures, comme l’aide au réemploi, qui ont été détournées de leur objectif. Il faudra viser à faire plus avec moins, résume le ministre. Avec 600 millions d’euros, le Fonds de l’emploi arrive à ses limites. Il ne s’agira plus de subventionner le chômage, mais de qualifier le chômeur. Une des injonctions informelles qui proviennent de l’UE est qu’il faudra aider tous les participants au marché du travail.     

Jean Ries : la méthodologie

Un exposé sur la méthodologie de l’évaluation de Jean Ries du STATEC, auteur d’une récente étude sur les dépenses du Luxembourg en matière de politiques d’emploi à l’aune des dépenses effectuées dans le reste de l’UE, situa l’objet des réflexions : l’évaluation aurait pour objet l’optimisation des politiques publiques, pour norme un nouveau référentiel à construire et pour conséquence une aide à la décision. Les politiques publiques seraient abordées selon les critères de leur pertinence, de leur cohérence avec d’autres politiques menées par l’Etat, de leur efficacité, c’est-à-dire l’effet qu’elles auraient produit, de leur efficience, c’est-à-dire la relation entre leur utilité et leur coût, et de leur impact systémique.

L’évaluation des politiques de l’emploi au sein de l’UE avec la méthode de coordination ouverte (MOC)

Olivier Marchand et Christine Charpail de l’INSEE ont ensuite présenté un bref historique de l’émergence de la stratégie européenne pour l’emploi depuis le Sommet pour l’Emploi tenu sous présidence luxembourgeoise du Conseil en 1997 en passant par les différentes phases de la Stratégie de Lisbonne jusqu’à son intégration dans la stratégie Europe 2020, sous le signe, entre autres, de la méthode ouverte de coordination, la MOC.

Au début, il s’agissait de prévenir le chômage en développant des concepts qui étaient dégagés de séances où les Etats membres scrutaient mutuellement entre pairs leurs politiques de l’emploi et qui trouvaient leur place dans des rapports, des lignes directrices et des recommandations non-contraignantes. Cela a grandement modifié l’attitude des Etats membres face aux problèmes soulevés. Ensuite, avec la révision de la stratégie de Lisbonne en 2005-2006, la stratégie européenne de l’emploi a été intégrée dans des stratégies économiques et sociales plus globales. Elle est devenue un élément des programmes nationaux de réforme, les PNR, lorsqu’il a fallu soulever les défis en matière de croissance et d’emploi. A partir de 2006, il est ainsi de plus en plus question de flexicurité. Avec la crise, la stratégie Europe 2020 est décidée, « sans véritable débat démocratique », a souligné Olivier Marchand. L’emploi devient un aspect, la 7e ligne directrice parmi 10 autres lignes directrices. L’évaluation des politiques nationales n’a rien de scientifique selon lui.

Pour avancer dans l’élaboration de politiques de l’emploi ou sociales convergentes dans l’UE, il a fallu trouver une méthode qui tienne compte du fait que l’UE en tant que telle n’est pas directement compétente dans les domaines de l’emploi et de la politique sociale, mais que cette compétence relève des Etats membres. La méthode ouverte de coordination, la MOC, s’est imposée. Avec cette méthode, les pairs – dans ce cas-ci un membre d’une autorité nationale compétente et un expert par Etat membre - scrutent les politiques des autres Etats membres, ont des échanges critiques, tiennent des réunions qui, selon les participants, sont très interactives et livrent assez d’informations pour que de bonnes pratiques puissent être dégagées. De l’autre côté, et là Christine Charpail a exposé quelques réserves, la Commission européenne pousse trop vers l’identification de bonnes pratiques et pour que celles-ci soient transposées dans d’autres pays, ce qui est loin d’être toujours faisable. Néanmoins, nombreux sont les exemples d’Etats membres qui ont commencé à changer des politiques à la suite de cette "peer review dans le cadre de la MOC", pour exprimer les choses en langage communautaire.

Les effets et usages nationaux de la politique européenne de l’emploi et de la gouvernance économique

Bernard Conter de l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) a ensuite analysé la stratégie européenne pour l’emploi  et ses impacts en Belgique dans un contexte "d’européanisation des politiques publiques". Concernant la stratégie européenne pour l’emploi, il a souligné combien elle était au début conçue pour rééquilibrer la gouvernance économique européenne naissante, pour devenir ensuite avec la crise un des éléments seulement de cette gouvernance économique. Un signe qui ne trompe pas selon lui est que le Conseil EPSCO xompétent piour les politiques sociales et de l'emploi a perdu de son influence et que toutes les politiques économiques sont en fin de compte déterminées au Conseil ECOFIN, et surtout par les ministres des Finances, qui ont le dernier mot sur la surveillance macro-économique.

La construction européenne induit de manière de plus en plus tangible des ajustements dans les politiques publiques des Etats membres, constate Bernard Conter, et ce dans deux sens : les unes sont valorisées et renforcées, d’autres sont jugées dépassées et devraient être revues voire abolies, si elles sont perçues comme inadaptées au niveau national. La pression d’adaptation est donc devenue plus grande que jamais. Mais en même temps, elle a la capacité de mobiliser des ressources pour des changements nécessaires.

Pour Bernard Conter, l’on fait trois usages de cette européanisation des politiques publiques : un usage cognitif, pour faire avancer des idées dans les Etats membres ; un usage stratégique, pour mener des politiques à long terme ; un usage de légitimation, pour invoquer un référentiel puissant pour ses idées et intentions. Il y a retrait de vielles politiques, il y a investissements dans de nouvelles politiques, il y a adaptations de politiques et encore transformations.

En Belgique, le semestre européen, qui a été introduit alors que le pays se trouvait dans une crise financière et une crise politique – pas de gouvernement entre avril 2010 et décembre 2012 – et devait néanmoins mener une présidence de Conseil au 2e semestre de 2011, s’est annoncé avec une pression d’adaptation massive. L’Etat belge était placé sous surveillance budgétaire, confronté à des recours de la Commission et à des menaces de sanctions. Le pays a accepté une influence plus forte des décisions politiques européennes, il a accepté l’influence de l’UE sur la mise en œuvre des recommandations macro-économiques et les acteurs politiques en ont largement fait un usage en politique interne. Le seul point où la Belgique n’a pas été "docile" a été, à l’instar du Luxembourg, comme l’a souligné Bernard Conter, le refus de revenir sur la pratique de l’indexation des salaires et la hausse de l’âge légal de départ à la retraite. D’autres mesures comme la rigueur budgétaire, un contrôle accru des chômeurs, la limitation des préretraites, etc. sont passées aisément. Finalement, Bernard Conter croit que la crise politique a pu être résolue avec des acteurs s’appuyant sur l’UE.

L’évaluation questionnée au cours d'un débat très délibératif

Patrice Furlani (Ministère du Travail) et Daniel Byk qui a animé le débat lors de la conférence de l'Observatoire de l'Emploi sur l'évaluation des politiques de l'emploi, les 14 et 15 mai 2012 à MondorfL’analyse des politiques de l’emploi au Luxembourg menée au cours de la journée du 14 mai 2012 a conduit le lendemain à la formulation d’une demi-douzaine de questions. Peut-on aller au Luxembourg vers une culture de l’évaluation des politiques publiques ? Que faire pour que ces évaluations servent les partenaires sociaux ? Quel serait le rôle de ces derniers ? Il y aurait des évaluations ex post, mais y en aurait-il aussi ex ante ? Quelle serait la place de l’évaluation des politiques publiques dans le paysage administratif et scientifique du pays ? Y aurait-il, au-delà de l’analyse quantitative, une évaluation qualitative ?

Au cours du débat qui a suivi, Vincent Jacquet, du LCGB,  a plaidé pour que l’on tienne compte, au-delà du critère de cohérence interne, de la cohérence externe des politiques menées, notamment avec celles de l’UE. Pour André Roeltgen, le secrétaire général de l’OGBL, "il faut toujours revoir le monde", même dans une évaluation qui aborde des politiques liées au marché du travail. Car toutes les mesures dans ce domaine dépendent aussi de décisions macro-économiques et macro-politiques. Pour Daniel Byk, qui animait la table-ronde, une évaluation doit se concentrer sur son objet, mais aussi s’intégrer dans une vision plus globale des choses.

C’est pourquoi il est important que les experts indépendants qui sont chargés de l’évaluation des politiques de l’emploi ne posent pas seulement les questions qu’ils élaborent eux-mêmes avec leur donneur d’ordre, le gouvernement, mais aussi celles qu’ils élaborent avec les partenaires sociaux, qui connaissent l’impact de certaines mesures dans les entreprises, et qui doivent traiter les mêmes questions au Comité permanent sur le travail et l’emploi, dans des négociations sur des contrats collectifs ou carrément dans la tripartite. Pour Vincent Jacquet, c’est d’autant plus vrai que les partenaires sociaux sont des destinataires de ces évaluations qui identifient les échecs et les succès des politiques et qui préparent des décisions qui ne sont pas que nationales, mais sont aussi prises au niveau européen, comme sur la question du chômage des jeunes, au centre actuellement du dialogue social européen.

Daniel Byk résuma de la manière suivante cette partie du débat : Les partenaires sociaux ont confiance dans les experts en charge de l’évaluation, mais ont un problème avec les questions qui sont posées, celles-ci devant aussi reprendre celles des partenaires sociaux. Une vraie culture de l’évaluation suppose un dialogue ouvert, transparent et public sur les mesures et les questions qu’elles soulèvent, cela afin que les acteurs concernés "s’approprient le travail d’évaluation".

Serge Allegrezza, le directeur du STATEC, n’a pas manqué de souligner que dans le cadre du six-pack, la directive sur le cadre budgétaire exigeait dorénavant des exercices d’évaluation sur la qualité des prévisions macro-économiques (art. 4,6) et une description des politiques envisagées à moyen terme ayant un impact sur les finances des administrations publiques, y compris une évaluation de leur effet que, vu leur impact direct à long terme sur les finances des administrations publiques (art. 9.2) pour voir si les politiques envisagées sont susceptibles d’être soutenables à long terme pour les finances publiques. Le Luxembourg sera donc bien obligé d’élaborer des procédures dans ce sens et de les inscrire dans la loi. Il faudra limiter les mesures dans le temps avant d’envisager de les renouveler.

Dans ses conclusions, Daniel Byk a retenu qu’un bon exercice d’évaluation se base sur le dialogue entre partenaires sociaux qui élabore les questions à poser en amont et discute en aval des résultats. L’obligation d’évaluer pourrait être inscrite dans la loi ou s’imposer progressivement. Il faudra par ailleurs anticiper au moment où une mesure est prise qu’elle sera évaluée afin de disposer des critères et des informations nécessaires. Sans oublier qu’un tel exercice suppose en amont et en aval la mobilisation de ressources considérables.

Le ministre du Travail, Nicolas Schmit, de nouveau présent à la fin des travaux, a conclu en promettant que le séminaire était "le démarrage d’un nouveau processus" visant l’équilibre entre une économie qui change et les besoins sociaux. La prochaine étape sera en tout cas "opérationnelle" et inclura tous les acteurs.