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Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
Traité établissant l’EMS – Le processus de ratification suit son cours au Luxembourg, le Conseil d’Etat ayant rendu un avis complémentaire sur les amendements introduits en mai par le gouvernement
14-06-2012


Le traité établissant un mécanisme européen de stabilité financière est censé entrer en vigueur le 1er juillet 2012. Mais nombre de parlements nationaux ne l’ont pas encore ratifié. Et c’est d’ailleurs le cas au Luxembourg, où trois projets de lois ont été déposés à cette fin.

Un premier projet de loi (n° 6334), déposé le 27 septembre 2011, modifie le traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE), en introduisant la possibilité de créer, dans le cadre de l’article 136, un mécanisme de stabilité pour les Etats membres dont la monnaie est l’euro. Le Conseil d’Etat a marqué son accord avec ce projet de loi dans un avis rendu le 6 mars 2012.

Le deuxième projet de loi (n° 6405), déposé le 5 mars 2012, institue le mécanisme de stabilité en portant approbation du traité signé le 2 février 2012 à Bruxelles. Dans un avis rendu le 23 mai 2012, le Conseil d’Etat donne son feu vert à ce texte, l’article unique du texte de loi ne donnant pas lieu à observation.

Le troisième projet de loi (n° 6406), déposé le 5 mars 2012, donne son accord sur la participation de l’Etat luxembourgeois au capital de l’EMS. Dans un avis rendu le 23 mai 2012, le Conseil d’Etat donnait là encore son feu vert.

Entre temps, Michel Wolter a été nommé rapporteur pour ces trois textes sur lesquels les députés ont pu discuter avec le ministre Frieden le 20 mars 2012.

Les amendements introduits par le gouvernement

Mais le 14 mai 2012, le Conseil de gouvernement a saisi la Chambre au sujet de cinq amendements au troisième projet de loi.

Le premier amendement introduit dans le projet de loi le principe selon lequel "aucune obligation due par le mécanisme européen de stabilité ou la banque européenne d’investissement à un Etat ni aucun bien détenu par le mécanisme européen de stabilité ou la banque européenne d’investissement pour le compte d’un Etat ne peut être saisi ni mis sous séquestre ni bloqué". 

Le gouvernement explique que l’EMS sera appelé à coopérer avec d’autres institutions internationales, dont le Fonds Monétaire International (FMI), dans le cadre de ses missions, et qu’il bénéficie, à l’instar du FMI, bénéficie d’une immunité de juridiction et d’exécution sur base du traité. Or, le FMI dispose en outre d’une immunité spécifique dans son Etat de siège destinée à assurer que les opérations de financement décidées par les organes du FMI et qui représentent une mise en œuvre des décisions de cette institution sont retirées à d’éventuelles interventions des autorités judiciaires ou exécutives du pays du siège. Il paraît dès lors utile aux yeux du gouvernement, au vu de l’importance des activités de l’EMS pour la stabilité financière de la zone Euro et du caractère d’exceptionnelle gravité des situations exigeant son intervention, d’assurer que les opérations de l’EMS bénéficient du même type de protection dans son Etat du siège. Ainsi, les obligations de l’EMS envers un Etat dans le cadre des opérations de financement de celui-ci ainsi que les biens détenus par l’EMS pour le compte de cet Etat ne doivent pas pouvoir faire l’objet d’une mesure d’exécution, de conservation ou de blocage, étant donné que ces créances et biens sont indissociablement liés aux missions de l’EMS et doivent bénéficier par extension de l’immunité accordée par le traité à l’EMS et ses biens.

Un deuxième amendement prévoit une modification du même ordre de la loi modifiée du 9 juillet 2010 relative à l’octroi de la garantie de l’Etat dans le cadre de l’EFSF. En effet, argue le gouvernement, dans la mesure où l’EFSF fait partie intégrante du mécanisme de stabilité financière mis en place par les autorités européennes, et est déjà actif dans ce domaine et doit continuer, pendant un certain temps, d’exercer ses activités en parallèle au mécanisme européen de stabilité (EMS) une fois celui-ci mis en place, il est nécessaire de faire bénéficier I’EFSF de la même protection afin d’assurer que les deux outils qui ont été créés dans un même but de préservation de la stabilité financière soient sur un pied d’égalité à cet égard.

Un troisième amendement modifie la loi modifiée du 9 juillet 2010 de façon à ce que l’EFSF bénéficie de la même immunité de juridiction et d’exécution que l’EMS et d’autres organisations financières internationales comme le FMI. L’idée est là encore que les deux instruments de stabilité financière soient sur un pied d’égalité.

Un quatrième amendement modifie le titre de la loi du 9 juillet 2010 de façon à l’intituler "Loi relative au Fonds européen de stabilité financière", une façon d’adapter l’intitulé de la loi par une référence plus générique à l’EFSF, explique le gouvernement.

Un cinquième amendement modifie par ailleurs le titre du projet de loi 6406 lui-même : il s’agira désormais du "projet de loi relative (1) à la participation de l’Etat au mécanisme européen de stabilité; (2) à certaines immunités du mécanisme européen de stabilité et de la banque européenne d’investissement et (3) modifiant la loi modifiée du 9 juillet 2010 relative à l’octroi de la garantie de l’Etat dans le cadre de l’instrument européen de stabilisation de la zone euro".

L’avis complémentaire du Conseil d’Etat sur les amendements

Mais dans un avis complémentaire rendu le 14 juin 2012, le Conseil d’Etat réagit vivement à ces amendements. Certes les deux derniers ne font l’objet d’aucune observation. Mais il en va autrement des trois premiers.

Ainsi, le premier amendement est-il jugé superfétatoire par le Conseil d’Etat. En effet, le Conseil d’Etat observe que le traité instituant le mécanisme européen de stabilité, signé le 2 février 2012 à Bruxelles, institue à son article 32 un régime d’immunités et de privilèges spécifique au profit de l’EMS.

Quant au deuxième amendement, le Conseil d’Etat s’y oppose formellement dans sa forme actuelle. Le texte prévoit l’insaisissabilité et l’interdiction de mettre sous séquestre ou de bloquer les obligations dues par la société anonyme de droit luxembourgeois EFSF pour le compte d’un Etat, souligne le Conseil d’Etat. Et il fait remarquer en premier lieu que ce ne sont pas les obligations qui sont saisissables, mais les biens et les créances. Le Conseil d’Etat fait ensuite état de ses difficultés à comprendre comment cette société pourrait disposer d’obligations pour le compte d’un Etat. L’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution prescrit l’égalité de tous devant la loi, soulignent les auteurs de cet avis. Or, l’immunisation voulue par le texte sous avis est générale et concerne tous les avoirs de la société. "Cette intention dépasse de loin ce qui est admissible dans ce libellé, car il octroierait à cette société un statut d’inviolabilité, qui conformément à l’article 4 de la Constitution existe en droit luxembourgeois uniquement en faveur de la personne du Grand-Duc", conclut le Conseil d’Etat.

Au sujet du troisième amendement le Conseil d’Etat "ne saurait accorder la dispense du second vote constitutionnel à un texte octroyant une immunité de juridiction aussi absolue à une société de droit privé que celle prévue à l’amendement sous revue". Le Conseil d’Etat rappelle en effet que même si nombre d’organismes internationaux disposent d’une immunité de juridiction plus ou moins large, celle-ci ne peut être absolue et doit s’apprécier au regard du respect d’autres engagements internationaux contractés par le Luxembourg. De plus, ajoute le Conseil d’Etat, l’EFSF est constitué sous la forme d’une société luxembourgeoise de droit privé. "Octroyer une immunité de ce genre en des termes aussi larges que ceux employés par les auteurs de l’amendement, en vertu d’une loi nationale, pose en outre la question de la conformité d’un tel régime avec les engagements internationaux contractés par le Luxembourg, ainsi que celle de la conformité avec les dispositions de notre Constitution, et plus particulièrement avec l’article 10bis de celle-ci".

Le Conseil d’Etat dit donc "éprouver de sérieux doutes que le juge constitutionnel luxembourgeois puisse se satisfaire du seul motif cité ci-dessus pour cautionner une immunité de juridiction sous tous ses aspects de la société et des biens, des financements et des avoirs de celle-ci, telle qu’envisagée par les auteurs de l’amendement, fût-elle par définition limitée en son effet à la compétence juridictionnelle luxembourgeoise". Conscient que les actionnaires de la société anonyme visée disposent d’une immunité souveraine inhérente à un Etat indépendant, le Conseil d’Etat se demande si cet état de fait est suffisamment convaincant pour faire admettre une quasi inviolabilité de la société, et ce jusque dans le chef des organes, agents et salariés de celle-ci.

A la lecture de l’amendement, le Conseil d’Etat considère que cette entité de droit privé, ses organes, agents et salariés échapperaient entre autres à toute poursuite pénale, à toute injonction des autorités publiques en matière de surveillance de leurs activités, à tout litige devant le juge civil et commercial. Le Conseil d’Etat se demande donc si cela a bien été l’intention des auteurs de l’amendement. Car il dépendrait de la seule volonté de la société de se soumettre, voire de soumettre ses organes, agents et salariés au contrôle des juridictions nationales et internationales. "Un tel régime de droit exorbitant par rapport au droit commun au bénéfice d’une société de droit privé, même si son actionnariat se compose d’Etats, est aux yeux du Conseil d’Etat beaucoup trop large pour conclure à une disparité objective, rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but, conditions exigées par le juge constitutionnel pour accepter la compatibilité avec l’article 10bis de la Constitution", est-il conclu dans l’avis.

Le Conseil d’Etat s’interroge par ailleurs sur la plus value de ce troisième amendement par rapport au deuxième, jugé "autrement plus efficace sur le plan international, alors qu’une immunité de juridiction décrétée par le seul législateur luxembourgeois risquera de ne guère trouver application au-delà de la sphère de compétence des juridictions nationales et alors que même au niveau national, son efficacité est discutable".

Le Conseil d’Etat fait donc une proposition concernant les amendements deux et trois, à savoir d’ajouter à l’article à insérer dans la loi modifiée du 9 juillet 2010 un nouveau paragraphe formulé de la sorte :

"(2) Les biens, les financements et les avoirs de la société, où qu’ils soient situés et quel qu’en soit le détenteur, utilisés aux fins des opérations de financement des Etats membres de l’Union européenne en difficultés financières dont la devise est l’euro, ne peuvent faire l’objet d’aucune forme de saisie ou de mainmise."

Selon le Conseil d’Etat, le libellé proposé garantit que les différences instituées peuvent être considérées comme procédant de disparités objectives, de sorte qu’elles sont rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but au sens de la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle.

Les députés de la commission des Finances et du Budget vont se pencher sur le dossier lors de leur réunion du 19 juin prochain.