Le 15 septembre 2011, la Chambre des Députés réunie en session extraordinaire s’est prononcée avec 54 voix contre 5 – celles de l’ADR et du député de Déi Lénk - en faveur du projet de loi qui porte la garantie de l’Etat luxembourgeois au sein du Fonds européen de stabilité financière (EFSF) de 1,15 à 2 milliards d’euros, un fonds dont la capacité de garantie est censé passer de 440 à 780 milliards.
La Commission des Finances avait déjà approuvé le 8 septembre 2011 à une large majorité le projet de rapport de son président-rapporteur Michel Wolter (CSV). Seul le député ADR Gast Gibéryen avait voté contre le texte proposé. Un large consensus avait existé alors entre les députés sur la nécessité d’approuver les décisions prises au niveau européen. Mais ils avaient aussi été unanimes pour dire que l’augmentation de la garantie à elle seule ne résoudra pas tous les problèmes auxquels sont confrontés les pays les plus lourdement endettés de la zone euro. Un propos qui sous-tend comme un fil d’Ariane les contributions des députés qui sont intervenus lors du débat à la Chambre.
Le rapporteur du projet de loi, Michel Wolter (CSV), a souligné le caractère exceptionnel du projet, ce qui justifiait que la Chambre se réunisse en dehors de ses sessions ordinaires. Il a exprimé le désir de la Chambre d’être informée sur les agissements de l’EFSF et d’être consultée à chaque fois qu’une grande décision doit être prise en termes d’engagements par rapport à un pays en difficulté. Par ailleurs, il a vu confirmée sa prévision faite lors du débat sur la Grèce du 14 juillet 2011, à savoir que la crise n’est pas finie.
Claude Meisch a apporté le soutien de la DP au projet, qui soutient aussi l’idée que l’EFSF puisse intervenir sur le marché secondaire des obligations. Il préfère que ce soit l’EFSF qui use de ce droit plutôt que la BCE, car le fonds bénéficie maintenant d’une légitimité démocratique pour ce faire. Le DP est aussi en faveur du projet de loi, parce qu’il n’y a pas d’alternative.
Une restructuration de la dette grecque ou une faillite de l’Etat grec seraient possibles, mais les conséquences trop néfastes pour le pays, l’UE et donc le Luxembourg. "Sauver ou ne pas sauver, qu’est-ce qui est plus cher?", s’est demandé le chef de file des libéraux, qui reste sceptique sur la capacité de remboursement de la Grèce au vu de la récession qui la touche malgré l’indéniable engagement du gouvernement en place. Il estime donc qu’il convient de dire aux Luxembourgeois ce qu’un non-remboursement à l’EFSF pourrait leur coûter, afin que la politique actuellement menée puisse être acceptée.
Claude Meisch veut plus d’Europe, et comme son collègue l’eurodéputé libéral Charles Goerens, un plan Marshall pour l’Europe du Sud, si l’on veut éviter que les jeunes des Etats membres du Sud perdent la foi en la démocratie. Plus d’Europe, c’est plus de coordination macroéconomique, ce sont les eurobonds. Mais, pour Claude Meisch, ce n’est pas nécessairement une règle d’or inscrite dans les constitutions nationales, puisqu’elle est déjà inscrite dans les traités européens depuis Maastricht. Quant à la présidence de l’Eurogroupe, à ses yeux, ce ne sera plus Jean-Claude Juncker, mais quelqu’un qui fera ce travail à temps plein. Finalement, Claude Meisch s’est prononcé contre toute politique qui ferait progresser l’endettement du Luxembourg.
Alex Bodry (LSAP) a rappelé dans son intervention que la Chambre ne votait pas sur l’aide à la Grèce, mais pour augmenter les capacités de l’EFSF, les pays profitant actuellement avant tout de l’EFSF étant l’Irlande et le Portugal.
Eviter qu’un pays ne tombe et qu’il n' y ait un effet domino est la tâche du moment dans une Europe solidaire. Mais cette solidarité exige également un comportement responsable du pays aidé. Elle exige aussi que l’égalité entre Etats membres de l’UE soit maintenue. Les politiques de consolidation des finances publiques doivent veiller à ce que la justice sociale ne soit pas entamée. D’où la nécessaire participation du secteur privé aux efforts en cours pour éviter la faillite de certains Etats membres de l’UE.
Comme les autres partis, les socialistes ne considèrent pas la loi comme un blanc-seing au gouvernement pour engager des moyens publics. Au contraire, elle fixe un maximum, et si de nouveaux paquets ou actions devaient être décidés, la Chambre devra en être informée ou être consultée avant de très grandes décisions, en règle à travers la Commission des finances, et dans un cas exceptionnel, en plénière. Bref, tout dialogue doit être mené en amont. Pour cela, nul besoin d’une loi, mais d’un accord politique entre législatif et exécutif.
Les socialistes sont par ailleurs opposés à une règle d’or inscrite dans la Constitution. "Cela ne fait pas de sens pour le Luxembourg", a déclaré Alex Bodry, pour qui les traités et le pacte de stabilité suffisent, alors qu’un ancrage constitutionnel serait juridiquement inefficace et poserait au niveau européen des problèmes, vu l’inévitable diversité des dispositions. Finalement, tout Etat se doit de garder une marge pour mener le cas échéant des politiques anticycliques. "La politique budgétaire est plus que l’équilibre budgétaire", pense Alex Bodry, qui ne s’oppose pas à une meilleure gouvernance économique dans l’UE. Mais l’actuelle pléthore de propositions donne "une image désastreuse de l’UE". Aussi ne faut-il pas oublier les marchés financiers, leur responsabilité, la nécessaire régulation ou interdiction de certaines opérations et l’introduction d’une taxe sur les transactions financières (TTF).
Tout ceci pour conclure que le LSAP n’approuve pas avec enthousiasme la loi, mais considère qu’être "contre", ce serait "agir contre les intérêts du pays".
François Bausch a apporté d’emblée le soutien des Verts à une "loi nécessaire" dans un pays comme le Luxembourg qui a "une responsabilité propre". Il faut éviter l’effet domino d’une faillite grecque, car tous les Etats membres de l’UE risquent alors de "passer du rhume à la pneumonie".
Ce qui fâche actuellement le chef de file des Verts, c’est que l’argent drainé vers les marchés par l’impression de billets pour pallier la crise ne bénéficie qu’aux spéculateurs à l’origine de la crise. Ce qui le fâche aussi, c’est que la réponse à la crise soit avant tout fiscale, que l’on mise sur les impôts indirects et la réduction des dépenses sociales, ce qui va au détriment des simples citoyens et contribue au démantèlement de l’Etat social qui a fait la tradition de l’Europe d’après-guerre. La conséquence en est une perte de confiance des populations en l’UE.
Simultanément, la récession fait que les dettes augmentent et que les spéculations continuent, "car le marché est aveugle et ne veut pas voir les conséquences de ses actions". C’est pourquoi il faut, selon François Bausch, des règles de façon à prévenir des scénarios comme celui qui a mené après la crise de 1929 au fascisme et à la guerre. La loi sur l’EFSF est "un progrès, mais pas une solution", pense le député, car les spéculations notamment contre l’Italie et l’Espagne continuent.
Pour lui, la Grèce doit rester dans la zone euro et l’UE doit se doter d’une gouvernance économique, mais aussi sociale et aller vers un marché obligataire commun. Un tel processus entraînera quelques restrictions en termes de souveraineté nationale, mais des politiques fiscales convergentes, une taxe sur les transactions financières et une fiscalité écologique auront en échange des effets positifs sur l’UE.
Le député ADR Gaston Giberyen, qui avait déjà voté contre le projet de loi à la Commission des Finances, a rappelé que la première loi sur l’EFSF avait été votée le 1er juillet 2010 à l’unanimité. Lors du débat, a-t-il narré, il avait été dit que la garantie de l’Etat luxembourgeois aurait plus un caractère symbolique et pour calmer les marchés, que l’EFSF constituerait seulement un recours ultime quand tout irait mal, mais que l’on n’aurait sûrement pas recours au fonds d’aide. "Tout faux", s’est exclamé le député, "rien ne s’est calmé et l’EFSF est utilisé". Pire : la crédibilité financière des Etats membres de la zone euro n’est pas celle que l’on croyait.
Pour lui, le peuple grec est une victime exsangue soumise à des sacrifices et à une situation sociale insupportable qui constitue une véritable bombe à retardement. Les solutions proposées ont selon lui avant tout conduit à une socialisation des pertes dont les banques ont profité. "Nous avons aidé les banques et pas les Grecs". Mettant en avant les réticences de la Finlande et de la Slovaquie à apporter des garanties supplémentaires à l’EFSF, il s’est demandé pourquoi vers où l’EFSF se dirigeait et si le Luxembourg n’aurait pas pu attendre le vote d’autres parlements plutôt que de se hâter.
Par ailleurs, l’ADR est d’accord pour l’introduction d’une TTF au niveau des pays du G20, mais il est en revanche contre une règle d’or budgétaire, les traités étant suffisants. L’ADR s’oppose aussi à un gouvernement économique franco-allemand, d’autant plus que ce sont les membres du Conseil européen qui ont le plus violé les limites budgétaires et de l’endettement qui veulent maintenant plus de pouvoirs. Sa conclusion : "la Grèce ne pourra pas rembourser ses dettes, et payer pour la Grèce est une opération kamikaze".
André Hoffmann (Déi Lénk) a regretté que l’UE se laisse toujours pousser par les fauteurs de crise. L’Etat providence et la démocratie en pâtissent selon lui, et la crise systémique est devenue plus profonde, sans que les dirigeants n’arrivent à changer les règles. Pour retrouver la confiance des citoyens, il faudra changer de politique.
"Comment nous continuerons avec l’euro dépend de la manière dont nous continuerons avec l’Europe", c’est ainsi que Ben Fayot (LSAP), le Nestor de la politique européenne à la Chambre des députés, a introduit son intervention. "Ici, nous ne menons pas un débat technocratique, mais un débat sur l’existence du Luxembourg dans l’UE. Nous parlons donc d’une question existentielle", a-t-il lancé.
Avec l’élargissement de l’Europe, Ben Fayot voit venir "une Europe à plusieurs vitesses, rendue possible à travers les coopérations renforcées prévues dans le traité de Lisbonne". Pour les socialistes, l’Europe est avant tout celle des solidarités, pas seulement celle de la liberté de circulation des marchandises des services et des capitaux, une solidarité vers l’intérieur et vers l’extérieur. La sortie de la Grèce de l’euro n’est donc pas une solution. Il comprend les craintes d’un Gast Giberyen sur la dette, la récession et le chômage grecs. C’est pourquoi l’effort pour réduire les dettes souveraines doit d’abord toucher ceux qui peuvent contribuer. Les spéculateurs doivent être associés aux aides. Or, la participation du secteur privé décidée le 21 juillet au Conseil européen se fait attendre.
Ben Fayot est pour un marché obligataire européen bien régulé, pour un Fonds Monétaire européen, pour une gouvernance économique où des Etats membres exercent sur d’autres Etats membres une pression de pairs basée sur des faits. Il est peu enthousiaste à l’idée de l’automaticité des sanctions en cas de non-respect de certaines règles que veut le Parlement européen. En fin de compte, les parlements nationaux doivent aussi avoir leur mot à dire.
Ben Fayot ne pense pas non plus qu’il faille changer les traités – un processus toujours très long – pour arriver à une gouvernance économique de l’UE. Mieux vaut trouver des compromis politiques hic et nunc. Chaque Etat membre doit pouvoir choisir sa voie pour atteindre les objectifs fixés en commun en matière de politique économique européenne et de limitation de la dette publique. De même, il serait mieux de trouver des solutions institutionnelles sans changement de traité : un Ministre des Finances européen membre de la Commission, un président de l’Eurogroupe qui est aussi président du Conseil européen, quels que soient ses choix, le Luxembourg doit d’abord miser sur la méthode communautaire.
Mais tant que les marchés financiers internationaux ne sont pas disciplinés, "aucun danger ne pourra être écarté" dans l’UE. Or, les Etats membres n’ont pas encore réussi à introduire des limitations ou un encadrement des bonus, à réguler certains marchés, à avoir une position commune face aux agences de notation, ou à introduire une TTF. Ils ne sont arrivés qu’à mi-chemin. Bref, "nous sommes ici plus au début qu’à la fin".
Le ministre des Finances, Luc Frieden a salué le fait que face à une "loi nécessaire, mais qui ne me remplit pas de joie", les députés ont adopté "une attitude responsable". Si la dette publique de la zone euro dépasse les 85 %, c’est qu’elle s’est accumulée sur des années et ne peut être diminuée que sur des années. Qu’il y ait maintenant des contradictions sur la vitesse de la réduction des dettes est logique. Chez certains Etats membres, le risque de récession est réel. Il y aura donc des aides temporaires, mais les réductions substantielles de la dette sont en échange incontournables.
Répondant à Ben Fayot, il a admis que sur la TTF et la limitation de certains produits financiers, il n’y avait pas d’avancées, mais que la régulation des marchés financiers avait beaucoup progressé depuis 2008. Mais cela est moins essentiel que la nécessité de faire sortir certains Etats membres de la crise et de restaurer la confiance des marchés.
La loi sur l’EFSF est aussi là "pour montrer que la politique est plus forte que marchés", en permettant, par des garanties renforcées, de lancer des emprunts à meilleur marché. Par ailleurs, les garanties luxembourgeoises n’ont pas encore été utilisées. En tout, l’EFSF a engagé 48 milliards pour l’Irlande et le Portugal, mais 9 milliards seulement ont été avancés. Quant aux prêts bilatéraux pour aider la Grèce, personne ne peut dire si les Grecs arriveront à les rembourser. "Mais si nous n’aidons pas, le risque de chaos et de contagion est encore plus important". Bref, il faut tout faire pour que cela marche. Par son vote, la Chambre a su, selon le ministre, "montrer où est l’intérêt du pays".