Principaux portails publics  |     | 

Justice, liberté, sécurité et immigration - Traités et Affaires institutionnelles
La révision de la gouvernance de Schengen en débat à la Chambre des députés après une décision controversée du Conseil JAI et les menaces de boycott du Parlement européen
27-06-2012


Le 27 juin 2012, une heure d’actualité a eu lieu à la Chambre à la demande des Verts sur les décisions qui ont été prises le 7 juin 2012 au Conseil JAI dans la cadre de la révision du système Schengen.

Le contexte

SchengenLe Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) du 7 juin 2012 avait adopté une orientation générale sur deux propositions législatives liées à Schengen qui règlent la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures. Il s’agit d’une part du  mécanisme d'évaluation de Schengen, qui exclut de fait le Parlement européen des décisions, et d’autre part, des modifications du code frontières Schengen en ce qui concerne des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles, ces modifications devant être co-décidées avec le Parlement européen. Elles impliquent la possibilité pour les Etats membres de rétablir, de façon temporaire, les contrôles aux frontières nationales en cas de pression migratoire incontrôlable à une de leurs frontières extérieures.

Le Parlement européen avait très mal réagi à cette décision lors d’une plénière le 12 juin 2012. La conférence des présidents des groupes politiques du Parlement européen avait ensuite décidé le 14 juin 2012, sans les voix des conservateurs eurosceptiques de l’ECR et de l’extrême droite, de suspendre les négociations avec les gouvernements européens sur plusieurs projets de lois jusqu'à ce que ces derniers lui rendent ses pouvoirs dans le processus de réforme de Schengen.

Une action du Parlement européen devant la Cour de Justice de l’UE semble par contre plus difficile. Car la Commission aurait déjà transmis au Conseil pour décision une position de compromis avec une base juridique d’où le droit du Parlement à la codécision aurait déjà été retiré, contrairement à ce que demandait le rapport Coelho sur la révision du système Schengen.

La commissaire européenne en charge, Cecilia Malmström, avait-elle aussi très mal réagi à la décision du Conseil.

Le débat à la Chambre

La décision du JAI du 7 juin 2012 n’avait pas non plus fait l’unanimité à la Chambre. D’où la demande des Verts que le gouvernement vienne s’expliquer au cours d’une heure d’actualité Verts où il pourrait donner des éclaircissements sur le dossier et sa lecture de l’affaire.

Félix Braz (Verts), après avoir fait l’historique des événements qui ont déclenché le débat sur Schengen – le contentieux franco-italien sur les réfugiés tunisiens début 2011, les problèmes à la frontière gréco-turque aussi, - a voulu savoir ce qu’il en était de la clause migratoire, pourquoi le Luxembourg avait en fin de compte porté une décision, quelles avaient été les réticences, etc.

Pour le député vert, Schengen est "un élément fondateur de l’identité européenne et la libre circulation des personnes une question éminemment communautaire". Aussi a-t-il voulu savoir pourquoi le Parlement européen, donc les représentants élus des peuples européens, a été exclu du mécanisme d’évaluation. Il a aussi critiqué le projet de conclusions du Conseil européen des 28 et 29 juin 2012 sur Schengen, les jugeant insuffisantes

Félix Braz a ensuite déposé une motion qu’il voulait soumettre au vote de la Chambre à l’issue du débat. Cette motion met en valeur "l’attachement du Grand Duché de Luxembourg au principe de la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne et aux acquis de Schengen". Elle souligne "la forte opposition rencontrée par ces décisions devant toutes les grandes formations politiques du Parlement européen". Elle met l’accent sur "la forte adhésion des citoyens européens à cet acquis essentiel de la construction européenne qu’est l’espace de Schengen". Et sous ces prémices, et en vue du Conseil européen, la motion demande au gouvernement :

  • d'œuvrer lors du Conseil européen des 28 et 29 juin en faveur d'une approche communautaire dans la gouvernance de l'espace de libre circulation Schengen;
  • d’agir pour que l'article 26 du code frontières Schengen introduisant une "Procédure spécifique en cas de circonstances exceptionnelles mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans contrôle aux frontières intérieure" soit régi sous le contrôle de la Commission européenne ;
  • de veiller à ce que les décisions des ministres de l'Intérieur du 7 juin soient réévaluées sous cet angle;
  • d'œuvrer au niveau européen pour une véritable politique européenne d'immigration tenant compte des besoins démographiques de l'Union européen et attachée aux valeurs de la convention européenne des droits de l'homme et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Le porte-parole du CSV, Félix Eyschen, a expliqué que tout le système Schengen était avant tout basé sur la confiance entre partenaires. Mais cette confiance a été sérieusement ébranlée avec l’affaire des laissez-passer que le gouvernement Berlusconi avait donnés en 2011 aux Tunisiens qui avaient débarqué sur les côtes italiennes. De son point de vue, l’Italie a transféré son problème de manière unilatérale vers un autre pays. Il a aussi souligné la question des personnes qui entrent légalement dans l’espace Schengen, mais qui entament ensuite après trois mois un  séjour illégal. Il n’a pas voulu stigmatiser ces personnes, tout en expliquant que l’on ne pouvait pas fermer les yeux sur les dangers sociaux et politiques qu’entraînaient ces comportements. Le Luxembourg est aussi touché par les nombreuses demandes d’asile de personnes venant des Balkans occidentaux. 75 % des passages illégaux se font aux frontières avec l’Europe du Sud-ouest, a-t-il aussi souligné.

Félix Eyschen a ensuite défendu la thèse qu’il aurait mieux valu que ce soit la Commission qui prenne les décisions dans le cadre du mécanisme d’évaluation, comme cela était initialement prévu et il a déploré que le Conseil en ait décidé autrement. Pour lui, cette décision mérite d’être remise en question, car la Commission comme gardienne des traités aurait peut-être agi de manière plus indépendante.

Félix Eyschen a souligné dans son intervention les grandes difficultés des pays qui ont de longues frontières extérieures. Mais il a aussi insisté sur le fait que ces pays ne sont pas laissés seuls et reçoivent des aides substantielles de toute sorte – financière, technique, ressources humaines – s’ils ont des problèmes sérieux, comme c’est le cas de la Grèce. Pour Félix Eyschen, les contrôles aux frontières intérieures en cas de défaut ou de situation exceptionnelle resteront une exception, même avec les règles décidées le 7 juin. Schengen est un des acquis les plus importants de l’intégration européenne et cela doit rester ainsi. Reste que le député CSV ne peut pas éviter de jeter un regard très critique sur la manière dont le Conseil a exclu le Parlement européen du mécanisme d’évaluation et qu’il faudra donc veiller à ce que l’équilibre soit rétabli entre les institutions européennes.

Paul Helminger a souligné dans sa brève intervention au nom du DP que "la réforme du 7 juin n’est pas acceptable" pour son parti. Il s’agit d’une "attaque contre la méthode communautaire". Pour lui, le Parlement européen devrait malgré tout aller plaider sa cause devant la CJUE. Alors que l’UE est en crise et que le message dominant qui émerge est que l’intégration politique serait une des voies d’issue, l’on relativise selon lui un des acquis les plus importants de cette même UE. Il faut selon lui sortir de ce paradoxe.

Ben Fayot a pris position au nom des socialistes. La discussion autour de Schengen est pour lui d’abord le fruit de la non-solidarité d’un Etat membre envers un autre, ce qui a mis l’espace Schengen sous pression. Y a-t-il un déferlement de réfugiés ? 20,2 millions de personnes qui sont en Europe viennent de pays tiers, soit 4 % de la population. 312 000 personnes ont déposé une demande d’asile. 4,5 millions de personnes séjournent illégalement sur le territoire de l’UE. Il y a par ailleurs un chômage moyen de plus de 10 % dans l’UE. Mais d’un autre côté, il y a une forte  pénurie de main d’œuvre qualifiée. La question se pose donc de savoir si l’UE peut accepter autant d’immigration illégale, comme le Luxembourg en connaît avec les demandeurs d’asile des Balkans occidentaux qui ne sont pas de vrais demandeurs d’asile selon lui, dans la mesure où ils viennent avant tout pour des raisons économiques et sociales. Le problème est que l’on a tendance à faire de la politique avec ces problèmes et que l’on s’attaque alors à Schengen qui est "un acquis fondamental".

La décision du Conseil JAI du 7 juin est, telle est l’interprétation de Ben Fayot, un compromis entre ceux qui veulent fermer les frontières et ceux qui ne le veulent pas, comme le Luxembourg, où l’on est particulièrement réticent à l’égard du populisme anti-Schengen. Ben Fayot ne pense pas que le Parlement européen aura beaucoup de chances devant la CJUE et doute même que le recours soit déposé, vu le peu de chances qu’il a selon l’avis même des jurisconsultes du Parlement. Ce qui importe maintenant pour lui, c’est d’améliorer les contrôles et la protection aux frontières extérieures. Mais, a-t-il mis en garde, un meilleur contrôle aux frontières extérieures "n’est pas la panacée", prenant pour exemple le Royaume Uni, une île qui n’est à dessein pas membre de l’espace Schengen, et qui a malgré tout des problèmes avec la perméabilité de ses frontières. Il a conclu en encourageant le gouvernement luxembourgeois à contribuer à maintenir Schengen au sein du Conseil  et lui a exprimé sa confiance en cela.

Fernand Kartheiser a déclaré que son parti, l’ADR, est en faveur du principe de la libre circulation des personnes. Mais "tout ce qui est contre Schengen n’est pas forcément populiste". La politique doit se baser sur les besoins réels des citoyens, car il y a selon lui des abus réels qui peuvent conduire à la fermeture de certaines frontières extérieures. Pour l’ADR, il faut pratiquer la libre circulation avec mesure, et on ne peut pas libéraliser les politiques de visas à l’égard de tous les pays. Selon lui, une libéralisation du régime des visas à l’égard de la Turquie conduira très vite à un déferlement de Kurdes sur l’Europe occidentale. Pour l’ADR, c’est un droit souverain des Etats de rétablir des contrôles à leurs frontières, même si dans l’espace Schengen, il est juste de coordonner une telle mesure avec ses voisins. Il s’agit avant tout de protéger et de laisser circuler librement "les gens honnêtes".

L’intervention de Nicolas Schmit

Dans son intervention en sa qualité de ministre de l’Immigration, Nicolas Schmit a d’abord dit l’attachement du Luxembourg  à Schengen, en premier lieu parce qu’il s’agit d’un dispositif  vital pour le pays, ensuite parce qu’il est fier que ce traité sur la libre circulation des personnes soit parti d’une localité du Luxembourg. Il a salué l’organisation du débat, dans la mesure où il lui a donné l’opportunité d’évacuer certains malentendus qui circulaient depuis le 7 juin.

Le ministre a expliqué que les contrôles aux frontières intérieures pouvaient déjà être rétablis sous certaines conditions et circonstances particulières et pour des périodes limitées.

Au-delà du fait que c’est un contexte politique particulier qui a déclenché le débat sur Schengen et les contrôles aux frontières intérieures, les contrôles aux frontières sont pour le ministre "un leurre et ne conduisent pas automatiquement à plus de sécurité". Pour lui, il y a d’autres moyens pour assurer la sécurité que des contrôles visibles aux frontières, et les victimes de ces contrôles seront les gens honnêtes.

Le point le plus controversé du débat aura été la clause migratoire, car elle a été le point de départ de revendications de plusieurs gouvernements, comme les gouvernements français, italien ou allemand. S’il y a une pression migratoire à laquelle un pays ne peut pas faire face, de sorte que cela a une influence sur les frontières des autres pays de l’espace Schengen, le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est envisageable. Mais clause migratoire ou non, a-t-il souligné, le Luxembourg s’est défendu contre une approche qui aurait donné de trop grandes latitudes aux Etats membres pour rétablir les contrôles aux frontières intérieures.

Il n’en reste pas moins qu’en même temps, une discussion sur le bon fonctionnement de l’espace Schengen et de ses frontières extérieures et un contrôle correct de ce fonctionnement s’est avéré nécessaire, vu que le système exige que la confiance règne sur la manière dont ces contrôles sont effectués, a-t-il ensuite estimé. Pour Nicolas Schmit, cette vérification doit se faire selon des critères précis, ce qui est le sens du mécanisme d’évaluation sur lequel le processus de décision est en cours. Le Luxembourg est pour qu’un tel mécanisme d’évaluation s’applique, mais pas seulement par rapport à la migration, mais aussi en ce qui concerne le terrorisme ou la criminalité organisée.

Ce mécanisme doit être renforcé. Il fonctionne actuellement seulement entre les Etats, et augmenter les prérogatives de la Commission aurait plus d’impact. Le Luxembourg a défendu jusqu’au bout la position que la Commission se voit attribué un rôle de leader. Mais le rôle que le Conseil a donné à la Commission n’est pas aussi fort que le Luxembourg l’aurait souhaité.

Le fait que l’article 70 TFUE a été finalement proposé par la Commission au Conseil qui refusait dans sa majorité l’article 77 a été ressenti  par le Parlement européen comme un affront. Le Luxembourg a lutté jusqu’au bout pour l’article 77, mais la base juridique devait être adoptée de manière unanime. Le Luxembourg  aurait été selon le ministre le seul pays à bloquer. La Belgique a hésité un moment, « mais personne ne voulait empêcher le passage de l’article 77 à l’article 70 », a narré le ministre.

Nicolas Schmit a ensuite recommandé la lecture des conclusions du Conseil du 7 juin 2012 qui, selon ses mots, "ne sont pas définitives" sur l’issue du dossier avant une discussion avec le Parlement européen sur le dossier.

On y lit : "En ce qui concerne la révision du mécanisme d'évaluation de Schengen présentée en septembre 2011 par la Commission, le Conseil a accepté à l'unanimité, à ce stade, de changer la base juridique de la proposition en remplaçant l'article 77, paragraphe 2, point e), par l'article 70 du TFUE. Le Conseil a également décidé de consulter le Parlement européen à titre volontaire pour que l'avis de celui-ci soit, dans toute la mesure du possible, pris en compte sous tous ses aspects par le Conseil avant qu'il n'adopte l'acte définitif."

Nicolas Schmit a ensuite expliqué qu’au cours de la réunion du Conseil JAI, des arguments juridiques solides ont été avancés en faveur du transfert vers l’article 70 TFUE, et que tout recours contre la décision devrait s’avérer difficile. Par ailleurs, il ne s’agit pas selon lui de pousser le Parlement vers la sortie. 

Finalement, ce qui devrait donner à penser est que le Parlement européen a en fin de compte pouvoir de codécision sur la deuxième question du paquet, le contrôle aux frontières dans le code frontières, qui ne peut être changé sans le Parlement. Bref, aux yeux du ministre, les conclusions du 7 juin sont plus ouvertes que certains ne le pensent. Si le Parlement européen devait dire non à la modification du code frontières, il n’y aurait pas de changements et le système Schengen resterait en l’état.

Nicolas Schmit a continué avec la description de la procédure qui précède le rétablissement de contrôles aux frontières intérieures. Il faut une demande jusqu’à 40 jours avant, il y a discussion avec la Commission sur la base d’une évaluation, si des déficits sont dûment constatés. L’ordre public et la sécurité intérieure, qui peuvent être invoqués, sont des concepts juridiques. "Ce n’est donc pas une approche arbitraire. L’approche doit être juridiquement fondée et justifiée dans les faits." Ce n’est qu’après « qu’un mécanisme est déclenché pour permettre des contrôles ». Seul le Conseil pourra demander à la Commission d’introduire une proposition pour autoriser ces contrôles. Là aussi, avec ces étapes, "ce n’est pas l’arbitraire total", a conclu le ministre, avant d’ajouter que tout ne sera pas si automatique : avant toute décision, des aides et tout un programme seront proposés à l’Etat en question pour améliorer sa situation avant que les contrôles ne puissent être rétablis.

Mais, s’accorde-t-il à dire, ce n’est pas ce que le Luxembourg a demandé. Cependant, a-t-il donné à penser à la Chambre, les situations difficiles ne le concernent pas directement. Le Luxembourg n’est pas, comme la frontière entre la Grèce et la Turquie, "un des points névralgiques et critiques de nos frontières extérieures". Bref, le Luxembourg n’a pas acquiescé avec un cœur léger à cette décision, mais il l’a fait après avoir consulté le Premier ministre. Le Luxembourg continuera, a assuré Nicolas Schmit, de défendre une approche autant que possible communautaire de la question des frontières, qui continueront à rester des frontières nationales, mais qui devront profiter d’une gestion commune. Et ce qui va être mis en place sera donc plus un mécanisme de gestion commune qu’un mécanisme unilatéral.

Adoption de la motion et satisfaction des Verts

Quant à la motion des Verts, Nicolas Schmit n’y trouva rien à redire et elle fut donc approuvée par tous les députés sauf les quatre députés ADR. Les Verts se sont montrés satisfaits du débat et de l’adoption de la motion. Geneviève Montaigu cite dans le Quotidien Félix Braz : "J'ai particulièrement apprécié la franchise de Nicolas Schmit. Si le Luxembourg avait voulu, il aurait pu bloquer cet accord.". Et elle écrit que Félix Braz "au final, a bien compris la position inconfortable qu'occupait le ministre lors de ce Conseil".