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Concurrence - Economie, finances et monnaie
Pour Heinz Bierbaum, les syndicats européens doivent s'engouffrer dans la brèche politique qui s'est ouverte pour permettre la sortie de la crise et reconquérir leurs droits entamés par les politiques d'austérité
19-06-2012


Heinz Bierbaum  (Photo :  Institut INFO)Le 18 juin 2012, les syndicats OGB-L et FNCTTFEL ont invité Heinz Bierbaum, professeur de gestion à l'Ecole supérieure de technologie et d'économie de la Sarre et directeur de l'institut INFO, à tenir une conférence au sujet du  défi que la crise financière et économique pose aux syndicats européens. Membre du parti Die Linke depuis 2004, Heinz Bierbaum connaît bien le monde syndical puisqu'il a œuvré au sein du syndicat IG Metall de 1979 à 1990.

Pour Heinz Bierbaum, la question ne saurait être discutée sans d'abord évoquer la lecture de la politique économique mise en œuvre à l'échelle européenne. Elle est incarnée par le mécanisme européen de stabilité, le pacte budgétaire et le "frein allemand à l'endettement étendu à l'ensemble de l'Europe".  Ce cocktail de mesures "assigne une politique d'austérité rigoureuse", que le président de l'OGB-L avait d'ailleurs dénoncée le 31 mai 2012.

Les syndicalistes doivent être prudents dans leur argumentation contre ces outils. Heinz Bierbaum rapporte les résultats d'un récent sondage mené en Sarre, selon lequel 80 à 90 % de la population sarroise serait favorable à mettre "un frein à l'endettement", tel que le défend mordicus la chancelière allemande, Angela Merkel. Même s'il peut étonner, ce résultat est, selon le professeur, "compréhensible" puisque "faire des dettes est communément considéré comme mauvais" et que  le bon sens populaire considère que "l'on ne peut pas dépenser plus que ce qu'on l'a".

"Quand on fait une dépense pour des investissements productifs, le gain au final est plus élevé que leur coût"

Toutefois, ces arguments ne sont pas transposables à l'économie politique, sans quelques nuances. Ainsi, faut-il distinguer les différentes raisons pour lesquelles les dettes sont contractées : "pour la consommation ou pour des investissements sensés". Ces dernières dettes devront être défendues et plébiscitées puisque, "quand on fait une dépense pour des investissements productifs, le gain au final est plus élevé que leur coût".

Il s'agit ensuite d'expliquer que le frein à l'endettement allemand et son application en Europe constituent "une erreur catastrophique" car la consolidation budgétaire se fait au détriment de l'activité économique et des droits sociaux. Ainsi, rappelle-t-il qu'en Allemagne, les abaissements des impôts ces dix dernières années en faveur des entreprises et des acteurs de la finance, ont privé l'Etat de 800 milliards d'euros de ressources.

De surcroît, la modération salariale allemande a renforcé les déséquilibres économiques au sein de l'Union européenne. Le "dumping salarial allemand" a consisté à ce que l'évolution des salaires soit restée en retrait de l'évolution de la productivité en comparaison avec ce qui se passait dans les autres pays.

Ensuite, cette crise n'est pour Heinz Bierbaum pas une crise de la dette. L'Irlande et l'Espagne n'avaient pas de problèmes avant que la crise ne commence. "L'Irlande était même longtemps présentée comme un pays modèle du développement européen".

Or, la cause principale de cette crise réside dans une "redistribution injuste du bas vers le haut" que la situation allemande incarnerait particulièrement bien. Ainsi, sur les dix dernières années, en Allemagne, les revenus réels ont baissé de 4 % pendant que la richesse du pays augmentait de 30 %.

Heinz Bierbaum considère que la crise ne sera pas vaincue "sans une régulation des marchés financiers, sans une redistribution juste et sans un démontage des déséquilibres européens".

En effet, il constate aussi le besoin d'une réorganisation du secteur bancaire, dont certes, les dirigeants politiques ont parlé en 2008-09 mais où l’on s’est limité à "quelques essais".

Pour le professeur de gestion, la solution passerait par l'interdiction des activités spéculatives  et le retour aux fonctions normales des banques : à savoir le crédit et le soutien à l'investissement.  Au niveau européen, la question de l'approvisionnement en crédits se pose également, pour ce qui est des missions de la Banque centrale européenne. Il y a un non-sens à ce que la BCE prête à 1 % à des banques privées qui elles-mêmes prêtent à des taux bien plus élevés des sommes qui creusent l'endettement au nom desquels sont demandées ensuite des mesures d'austérité. Il faudrait en conséquence "détacher le financement des Etats de celui des banques".

Les droits syndicaux en danger

Ces politiques d'austérité mènent à une réduction des dépenses publiques qui ont pour conséquence un démantèlement social et des politiques de privatisation, qui dans les premiers pays concernés, ceux qui sont les plus touchés par la crise (Irlande, Portugal, Grèce, Espagne et Italie) ont conduit à "des dégradations drastiques des conditions de travail" et  en partie à une paupérisation sociale. "L'Europe sociale voulue par les forces sociales et politiques est plus loin que jamais".

Ces politiques économiques sont contreproductives. Heinz Bierbaum rappelle que la Grèce a connu une baisse de 10 % de son  revenu national depuis le début des plans d'austérité.

Mais à ces conséquences économiques et sociales désastreuses s'ajoutent, dit-il, des "conséquences négatives graves pour le développement démocratique". Des règles démocratiques ne sont pas prises en considération. L'exemple le plus frappant est celui de l'action de la troïka (UE, FMI, BCE) qui met en place les programmes d'austérité pour la Grèce, au mépris de la délibération démocratique. Cette action concertée ne limite pas seulement les droits parlementaires mais aussi ceux des travailleurs et des syndicats.

L'Espagne a ainsi connu une importante dégradation de sa protection contre les licenciements, mais aussi un domaine central de la lutte syndicale, à savoir la politique salariale, a été mis en veilleuse. Les accords salariaux perdent de la valeur à travers la réforme dite des auto-entrepreneurs.

Enfin, au titre des dangers pour les droits démocratiques en Europe, Heinz Bierbaum compte "la hausse des tendances racistes et xénophobes".

Le changement en cours

Heinz Bierbaum affiche toutefois un certain optimisme quant au développement politique qui change actuellement en raison des résultats électoraux en France et en Grèce. Il cite plusieurs mesures françaises intéressantes qui forment "un contre-point aux politiques dominantes" : celle, "hautement symbolique", qui accorde la retraite à soixante ans pour ceux ayant commencé à travailler à 18 ou 19 ans – "Ce n'est pas beaucoup  mais c'est un contre-point à la politique dominante de hausse de l'âge de la retraite", dit-il –, la réduction des salaires des dirigeants d'entreprises publiques et une hausse de l'imposition des hauts revenus.

Les résultats en Grèce influencent aussi le débat politique dans la mesure où elles ont démontré qu'une grande partie de la population n'est pas favorable à la politique européenne.

Ainsi, Heinz Bierbaum constate que les eurobonds, tout comme un moratoire des dettes publiques, ne sont plus des tabous. De même, le thème de la taxe sur la transaction financière est désormais discuté en Allemagne.

Enfin, l'optique d'un programme d'investissement pour relancer l'économie se fait de plus en plus évidente. Certes, ces progrès ne sont "pas à surévaluer". Mais c'est un changement, "l'occasion pour les syndicats,  d'affirmer plus fortement que jusqu'alors, leur posture sceptique et de refus vis-à-vis du pacte budgétaire, et leur engagement pour une alternative sociale."

Mieux s'organiser à l'échelle européenne

Le 29 février 2012, il y eut certes une mobilisation européenne des syndicats contre "la politique de durcissement de l’austérité comme réponse à la crise économique et sociale dont souffrent des millions d’Européens", pour signifier aux ministres européens leur refus de l'austérité. Toutefois, constate Heinz Bierbaum, les syndicats manquent d'organisation au vu de la "résistance concrète à mener" pour conserver sinon regagner leurs droits à mener indépendamment des négociations salariales.

La dimension européenne reste faible dans les résistances des syndicats à l'austérité. "L'Europe reste encore éloignée de la pratique syndicale." C'est en particulier le cas des syndicats allemands qui, dans leur majorité, "s'en tiennent à l'écart et misent plus sur la négociation au sein de l'entreprise que sur l'action syndicale". L'ancien syndicaliste ne croit  d'ailleurs pas que la résistance européenne puisse s'organiser efficacement à travers les comités européens d'entreprises.

Ces développements s'expliquent aussi en Allemagne par un développement contradictoire, une "crise encore relativement modérée". Certes, "les problèmes augmentent, la précarité grandit" mais "une partie du salariat traverse la crise relativement bien".

Il y aurait lieu, en conséquence, de mener de nouvelles initiatives syndicales européennes. En particulier le contenu politique de ces initiatives, mériterait selon Heinz Bierbaum que l’on crée une plate-forme de développement. A ce titre, il considère que les syndicats de la Grande Région disposent d’ores et déjà de premiers éléments communs dont ils peuvent discuter.