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Conférence de l’Université du Luxembourg et du Collège des Bernardins sur le thème "Démocratie(s), Liberté(s) et Religion(s)" - 1er atelier : Etat, démocratie et religion
01-06-2012 / 02-06-2012


Philippe Poirier, coordinateur du Programme gouvernance européenne de l’Université du Luxembourg, a introduit le premier atelier de la conférence sur le thème "Démocratie(s), Liberté(s) et Religion(s)" avec un état des lieux du fait religieux en Europe.

Philippe Poirier : un état des lieux du fait religieux en Europe

Philippe Poirier, conférence "Démocraties(s), Liberté(s) et Religion(s)", Université du Luxembourg, les 1 et 2 juin 2012Philippe Poirier est parti de la place du religieux dans les constitutions des pays du Conseil de l’Europe et de l’UE ainsi que dans les grandes discussions sur les textes fondateurs de l’UE du 21e siècle, Charte et traité de Lisbonne (autour de 80 contributions sur 2000 lui ont été consacrées au cours de la Convention sur l’avenir de l’Europe en 2003), des relations entre les institutions des cultes et l’UE et de la pacte du religieux dans les partis politiques européens.  

Un premier constat : la religion est un sujet constitutionnel "très banal" en Europe. 29 constitutions européennes évoquent soit Dieu, soit un Être suprême ou le christianisme ou deux religions (comme à Chypre) comme religions d’Etat. Un seul pays, la Bosnie-Herzégovine, ne l’évoque aucunement. D’autres pays, qui sont des exceptions, se définissent par rapport au fait religieux, comme la Pologne, l’Irlande, et dernièrement la Hongrie.

Tous les pays membres du Conseil de l’Europe reconnaissent la liberté religieuse et l’égalité devant la loi. Dans l’UE, 11 pays se déclarent laïques ou consacrent la séparation de l’Etat et des Eglises. Cinq ont des religions d’Etat, essentiellement luthériennes. Seize Etats membres ont ratifié des conventions avec le Saint-Siège pour régler le statut de l’Eglise catholique sur leur territoire, dont le Luxembourg.

Les relations entre l’UE et les religions ont pris de l’ampleur au cours des années 1990, surtout sous l’impulsion des Eglises allemandes et ont eu une répercussion dans la Déclaration 11 du traité d’Amsterdam,  une "Déclaration relative au statut des églises et des organisations non confessionnelles" qui dit que "l’Union européenne respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres" et que "l'Union européenne respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles".

A l’époque, souligne Philippe Poirier, la Commission et les gouvernements de l’UE étaient peu préparés à ce genre de questions, sauf la France et l’Allemagne. D’autres pays, comme le Royaume Uni ou la Suède, voulaient d’abord réformer leurs relations avec leurs cultes avant de s’engager sur quelque chose dans l’UE.

La Charte des droits fondamentaux quant à elle contient un article 10 qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion, mais l’UE ne se mêle pas de l’ordre constitutionnel des Etats membres en ce qui concerne leurs relations avec les cultes et elle mise sur les Etats pour garantir la pluralité sur ce terrain. Il existe un niveau de dialogue élevé entre la Commission et les différents cultes, dont les interlocuteurs sont la Commission des Episcopats de la Communauté européenne (COMECE) pour les catholiques, la Conference of European Churches (CEC) qui regroupe les autres églises chrétiennes d’Europe, et le Congrès juif européen (CJE) pour les juifs. Le dialogue s’avère plus difficile avec les musulmans, peu structurés en organisations qui peuvent servir d’interlocuteurs aux niveaux nationaux et européen. La même chose vaut pour les associations philosophiques ou les nouveaux cultes. Il n’en reste pas moins, explique Philippe Poirier, que pour la Commission Barroso, quatre principes restent à l’œuvre dans son approche vis-à-vis des cultes : les religions et les associations philosophiques sont parties prenantes de la société civile ; les cultes devraient aussi être associés à la gouvernance économique de l’UE ; il y a de plus en plus d’acteurs, ce qui nuit à la qualité du dialogue, et enfin, la Commission aimerait que les relations entre religions et associations philosophiques comme entre religions et associations philosophiques s’approfondissent.

Quant aux partis politiques européens, institutionnalisés dans le traité européen, ils ont dans leurs programmes, qu’ils soient de gauche ou de droite, des paragraphes consacrés à la relation entre la religion et la politique et à la nécessité de garantir le pluralisme religieux. Il n’y a que l’extrême droite qui met de plus en plus l’accent, sous le coup de la présence grandissante de l’islam en Europe, sur les valeurs laïques, et l’extrême-gauche qui exige un renforcement des aspirations laïques. Les démocrates chrétiens, les conservateurs, les sociaux démocrates et les Verts par contre veulent que les interventions de l’Etat suivent, face au pluralisme religieux grandissant, de nouveaux modèles qu’il faut encore élaborer.

Dans un tel contexte, a souligné Philippe Poirier, au Luxembourg, qui est "un Etat semi-concordataire", le gouvernement a ainsi poussé, afin de pouvoir les reconnaître, les petites églises orthodoxes autocéphales serbes, grecques, russes, etc. à s’entendre, à se reconnaître mutuellement et à se soumettre à un patriarcat « neutre », en ce cas celui de Constantinople. De même, il pousse les musulmans à se regrouper et à s’associer à une grande association européenne s’ils veulent que leur culte soit reconnu et conventionné selon les règles constitutionnelles en vigueur. Un tel modèle est suivi dans une dizaine d’autres pays européens.                

Finalement, à l’instar de la Commission, les partis politiques européens voient d’un bon œil la participation des cultes à une amélioration de la gouvernance économique de l’UE.  

Bernard Bourdin : ne pas confondre théologie du politique et politique chrétienne

Bernard Bourdin, conférence "Démocraties(s), Liberté(s) et Religion(s)", Université du Luxembourg, les 1 et 2 juin 2012Bernard BourdinBernard Bourdin, professeur de philosophie et de théologie à l'Université de Lorraine, a développé les grands axes d’un "civisme chrétien en contexte de démocratie libérale", surtout en référence au philosophe français Marcel Gauchet, qu’il qualifie de "théologien du politique".

Les chrétiens peuvent selon lui apporter aux sociétés une connaissance différenciée de l’être, de la mémoire et une conscience du temps, être une force d’éducation et de proposition et déclencher une discussion théologique dans des sociétés qui sont "sous régime d’autonomie où l’altérité est horizontale". Les Eglises sont dans ce contexte marquées "par la désorganisation de la croyance", soumises à un processus de désinstitutionalisation et n’ont plus de fonction publique normative. Pourtant, elles peuvent être des institutions publiques qui participent à la vie démocratique et qui peuvent même être sollicitées par les Etats dans des contextes de mise en forme collective de certaines démarches politiques. Ici, elles ont la possibilité d’intervenir, à condition de faire la différence entre les valeurs qui sont celles de leur théologie du politique et ce qu’elles peuvent induire dans le politique réel.

Dans la mesure où le politique est "plus que la représentation des individus", mais que "l’être ensemble" revêt aussi une dimension transcendantale, les Eglises et les chrétiens peuvent engager une relation particulière avec la délibération collective, qui serait de lui donner des valeurs, de la mémoire, des propositions, de sorte que sans vouloir ni déterminer, ni conformer à leur vérité normative la chose publique, ils pourraient être une "force instituante".

Ce qui est, aux yeux de Bernard Bourdin, d’autant plus vrai qu’il n’y a pas d’autonomie sans transcendance et que la politique n’est pas le seul repère des individus. Une communauté humaine ne tient pas ensemble ni par nature, ni par la force du même. Il faut la vouloir, il faut concrètement des personnes pour la vouloir. L’anthropologie sociale transcendantale de Marcel Gauchet est dans ce sens une anthropologie de l’être ensemble collectif. Une telle approche permet tout à fait à un civisme chrétien de participer à la démocratie libérale, à condition de ne pas se confondre avec une "politique chrétienne". Ou autrement dit, civisme chrétien et politique chrétienne, ce n’est décidément pas la même chose.               

Gerhard Robbers : les Etats membres de l’UE devant la question religieuse alors que "le sécularisme touche à sa fin"

Gerhard Robbers, professeur de droit à l’Université de Trèves, a parlé ensuite de l’Etat et des religions dans l’UE récente d’un point de vue de juriste. Premier constat : la religion est de nouveau une chose qui importe. Le sécularisme touche à sa fin, ce qui a des implications sur l’évolution des législations. Deuxième constat : la religion est un élément important de l’identité des personnes et des peuples, qu’on aime ça ou non, c’est ainsi.

En Europe, Gerhard Robbers distingue trois types de relations entre l’Etat et les Eglises : la laïcité, les Eglises d’Etat et la séparation de l’Etat et des Eglises dans un contexte de coopération amicale. Tout cela n’empêche pas que les Eglises aient perdu leur pouvoir d’explication. D’autre part, ces trois types de relations convergent. La laïcité s’est transformée en un système de coopération "light". Le régime des Eglises d’Etat est en train de se dénouer, le dernier exemple étant la Norvège, où Eglise et Etat se sont tout récemment séparés, et la Suède, où les procédures sont en cours. Il s’agit de séparations prudentes, sans rupture, où le clergé continuera d’être rémunéré par l’Etat tandis qu’une certaine intégration dans l’Etat continuera. Seule la Hongrie s’est engagée dans une sorte de contre-développement, pour le professeur de droit vraisemblablement parce qu’elle "se pose la question désespérée de son identité collective".

Pour Gerhard Robbers, l’UE a eu l’intelligence et la sagesse de reconnaître que la relation entre la loi des Etats et la religion est une chose importante et que la relation entre Eglises et Etats reste dans le domaine de compétence des Etats membres. Le seul vrai élément de discussion a été, lors de la rédaction du traité constitutionnel, de savoir s’il fallait inscrire une allusion à l’héritage chrétien de l’Europe dans le préambule.                

La question lancinante qui revient est entretemps, estime Gerhard Robbers, de savoir comment traiter la question d’un islam en Europe qui, s’il a fortement influencé la culture européenne, n’y a pas été très visible jusqu’à des temps récents, ce qui est en train de changer massivement. D’autre part, le processus d’intégration européenne, qui est aussi un processus d’élargissement doit tenir compte de la question religieuse, et son développement pourrait profiter d’un encouragement à la liberté religieuse.